Xenogears
Test PSone / PSN
Une fois Xenogears fini, après une cinquantaine d'heures de pur RPG, on peut raisonnablement s'avancer à son propos : il s'agit sans doute de l'un des tout meilleurs role play qui existent sur console. Peu d'artifices, pas une révolution, mais une véritable réflexion.
I am Alpha and Omega.
the beginning and the end.
the first and the last.
Xenogears n'est pas réellement mis en avant dans nos contrées. Sorti uniquement au Japon et aux États-Unis, il se fait rare parmi les écrits francophones. Pourtant, il s'agit véritablement d'un chef-d'œuvre, comme seuls une poignée d'équipes de développement peut se targuer de créer. Ce n'est pas un soft facile, son accessibilité est faible, et l'histoire se révèle longue à mettre en place. Les bases du scénario sont très importantes, et les nombreux efforts produits au cours des quarante heures de jeu du premier CD ne seront (amplement) récompensés que durant les dix dernières heures de jeu. Dix heures parmi les plus intenses du RPG. Xenogears se savoure, tel un best-seller ; l'on pourrait presque distinguer les phases de jeu des phases de lecture. Chaque évènement est travaillé de sorte que le joueur s'immisce lentement mais complètement dans cet univers incroyable et pourtant si réaliste. Xenogears est une critique du monde moderne remplie de symboles, une réflexion philosophique poussée qui se dévoile au travers d'un scénario peaufiné à l'extrême. Plus que tout, c'est une analyse profonde de personnalités complexes - en proie pour la principale à une schizophrénie chronique de très grande envergure. Xenogears offre ce que trop peu de jeux vidéo 🎮 proposent : une réflexion post-ludique.
D'entrée de jeu, ce RPG bouscule certaines règles fixées à l'accoutumée par Square même. D'une part, les persos en bitmap évoluent dans des décors en 3D temps réel. La plupart du temps, il est possible de tourner la caméra à volonté. Un des boutons est assigné aux sauts, ce qui porte parfois le jeu aux frontières du A-RPG. D'autre part, il n'y a dans Xenogears quasiment aucune séquence en images de synthèse. La préférence de l'équipe va aux séquences animées réalisées dans la plus pure tradition nippone, qui plus est d'excellente qualité, en plein écran et sans temps de chargement. De plus, leur nombre et durée sont extrêmement bien calculés. Elles se font particulièrement rares durant la première partie du jeu, et beaucoup plus présentes vers la fin, car nécessaires à créer cette ambiance si caractéristique du synopsis. Tout est pesé, justifié, des excellentes séquences animées de début (audacieuse et subtile) et de fin à la plus courte cinématique. En outre, fait exceptionnel dans une production Square, ces séquences en anime sont doublées. Certes, les voix digits ne sont pas très bien calées, et pas assez fortes par rapport à la bande sonore (tout du moins dans la version américaine), mais c'est un fait suffisamment rare pour être souligné.
Pourtant, dans son déroulement, Xenogears reste des plus classiques, si ce n'est dans l'agencement des combats. Les bases sont présentes (combat au tour par tour, invocation de magies, d'items, voire de NPC dans certains cas ; évolution avec l'expérience), mais l'équipe de KIYOSHI Yoshii a inclus un système de puissance de coups. Un coup faible vous prendra un point, une attaque moyenne deux, et une frappe puissante trois. Vous devrez répartir ces points selon un potentiel évolutif. En outre, Xenogears inclut un système de deathblows, des combos dévastateurs. Ces combos progressent en puissance au fur et à mesure de l'aventure, et vos personnages pourront en apprendre de nouveaux au passage de certains caps (they are removed their limiters !). Encore meilleur : selon les besoins du scénario, vous combattrez comme humains ou à bord de mecha surpuissants, les Gears. Les Gears ne sont pas évolutifs en expérience, il vous faudra donc les ré-équiper plusieurs fois au cours de l'aventure. Cette séparation offre de nombreuses possibilités, et un système de combat double très intéressant et rafraîchissant.
Toutefois, Xenogears n'est -malheureusement- pas exempt de défauts, inhérents pour la plupart aux capacités techniques de la machine. Les graphismes, d'une part, malgré une relative stabilité, restent extrêmement pixellisés. De plus, même si Square fait toujours de gros efforts d'effets spéciaux lors du déclenchement des combats ou des magies, force est de constater que les textures des décors ne sont pas à la hauteur. De même, comme stipulé plus haut, les protagonistes sont réalisés en 2D. C'est d'autant plus regrettable au vu du résultat des Gears en trois dimensions lors des combats ; l'on est alors en droit de se demander pourquoi les personnages "physiques" n'ont pas subi le même traitement. Car, étant en bitmap, ils ne bénéficient que d'une faible animation, en particulier sur les rotations qui demeurent assez inélégantes. De même, la World Map (identique à celle de Final Fantasy VII sorti un an plus tôt) souffre de problèmes de clipping et de pop-up. Selon moi, Xenogears n'est pas sorti sur le bon hardware. Un tel scénario aurait dû profiter d'une machine bien plus puissante. Certains passages sont presque "massacrés" par cette 3D faiblarde. Dommage...
Penchons-nous à présent plus en détail sur le scénario, qui est sans aucun doute l'un des plus réussis sur console de jeu. Le synopsis de Xenogears évoque en particulier le passé trouble de deux protagonistes. Nous ne vous dévoilerons aucune bribe de l'histoire, car un tel titre doit se savourer et se découvrir, mais sachez seulement qu'on est loin -très loin, même- de ce que les autres équipes de développement ont pu nous offrir jusqu'à présent.
Le scénario se révèle tellement complexe qu'on reste parfois une demi-heure entière à lire du texte ; ce qui caractérise une relative linéarité dans le jeu. Mais rassurez-vous, mise au service de révélations et de rebondissements imprévus, on la pardonne aisément. A ce propos, il faut féliciter les équipes de traduction américaines, car les sentiments des protagonistes sont extrêmement bien rendus ; ce qui était primordial pour ne pas dénaturer le jeu. Les noms sont conservés (et on ne peut pas les modifier - ouf !) et différents types de langages sont employés suivant le caractère du personnage. Presque aucune faute à l'horizon. Le niveau linguistique vous demandera certainement l'aide d'un dictionnaire, mais n'est toutefois pas extrêmement complexe. C'est donc un travail de titan parachevé à la quasi perfection. On comprend d'ailleurs pourquoi ce titre n'a pas dépassé officiellement les frontières des États-Unis.
Au niveau de la bande sonore, MITSUDA Yasunori n'avait pas le droit à l'erreur, puisqu'il se devait d'accompagner parfaitement un tel scénario. C'est bel et bien le cas, fort heureusement, puisque le compositeur a produit l'une de ses plus belles soundtracks. La bande sonore de Xenogears se révèle empreinte d'onirisme, ne dévoilant toutefois de sublimes envolées lyriques que dans les dernières heures de jeu. Les vingt premières heures restent agréables quoiqu'assez inégales, il faut se l'avouer, mais la suite relève largement le niveau général. Au final, certains thèmes se retrouvent inexorablement en mémoire, qu'ils soient entraînants (tels Leftovers from the Dreams of the strong ; ou le victorieux Wings), reposants (l'enivrant The Wounded Shall Advance Into the Light ; le sympathique June Mermaid), voire même touchants (à l'instar des troublants Jaws of Ice, Lost... Broken Shards, de l'inoubliable Shattering Eggs of Dreams ou -cela va sans dire- du grandiose générique de fin The Beginning and the End). Dans tous les cas, la majorité d'entre eux auront accompagné parfaitement l'évolution scénaristique. De l'excellent travail.
Il faut en outre féliciter le travail des chara-designers qui sont parvenus à retranscrire les personnalités tourmentées à travers des visages éblouissants de sincérité. Leurs traits sont d'une beauté séraphique, aux regards éthérés d'une majesté ineffable. Les diverses expressions de haine, de colère ou d'amour se révèlent parfaitement rendues. Les regards bouleversés de Fei et Elly ont été parfaitement retranscrits par TANAKA Kunihiko qui a réalisé un travail étonnant. Dans un registre quasiment similaire, les Gears des protagonistes observent tous un style différent et particulièrement évocateur de chacune des personnalités. Les créations de ISHIGAKI Junya révèlent de formidables inspirations parmi les séries de mecha les plus connues. Mention spéciale au dernier Gear de Fei, le Xenogears (tiens ?) qui reste à mon humble avis l'un des mecha les plus stylés. Un petit chef-d'œuvre !
Pour conclure cette critique de Xenogears, j'aimerais vous préciser qu'il m'a été extrêmement ardu de traiter des différents thèmes inhérents au jeu sans vous dévoiler des bribes de synopsis. Car si le scénario est le propre du jeu d'aventure, il est pour Xenogears son essence même. Ce qui m'a particulièrement touché, c'est le fait que le script -comprenant en outre une pléthore de références mythologiques et religieuses fascinantes - emmène le joueur au-delà d'une aventure épique. Il s'agit plus, à travers cette virtuosité scénaristique, d'une réflexion sur la place de l'homme dans l'univers, mâtinée d'une analyse assez profonde de troubles mentaux et psychologiques graves (tels que la schizophrénie), le tout encerclé par un formidable hymne à l'amour et contre la violence. Xenogears se révèle particulièrement touchant, et parvient à ses desseins en manipulant les sentiments du joueur. Un fabuleux travail de TAKAHASHI Tetsuya et KATO Masato.
Au-delà de ses qualités scénaristiques et musicales indiscutables qui en font l'une des grandes références dans son genre, Xenogears préfigure du meilleur pour les RPG à venir. Si un tel synopsys est cumulé avec des graphismes de console nouvelle génération, nous aurons affaire sans doute à un titre inoubliable. Pour l'heure, Xenogears saura contenter les fans de RPG déçus des scénarii trop "plats" de ces derniers temps. En attendant Xenosaga, qui s'annonce comme un préquelle surprenante...
Lire mes articles concernant les explications du scénario de Xenogears et le Perfect Works