ICO : retour sur l'icône (réflexions)
Fin d'ICO et analyse du scénario
Attention : ce texte est bourré de spoilers pour qui n'a pas fait le jeu.
ICO a été parmi les premiers jeux à pouvoir être qualifié d'œuvre d'art. Sorti en 2002 après 4 années d'une gestation difficile par une équipe d'artistes extérieurs au monde du jeu vidéo 🎮, il a été plus ou moins bien reçu par la critique. Le papier de Julien à son sujet est caractéristique de cette difficulté à l'aborder et, conséquemment ou non, le titre a réalisé de faibles chiffres de vente. Je ne proposerai pas ici de test ou de critique, mais simplement un recueil d'impressions et mes pistes de réflexion autour de cette petite merveille.
Le jeu puise certaines de ses inspirations de titres comme Another World, Heart of Darkness ou Prince of Persia. L'influence du superbe Roi et l'Oiseau de Paul Grimault a également marqué le créateur Fumito Ueda, tant dans ICO que dans Shadow of The Colossus d'ailleurs. Mais Ueda et son équipe ont su créer leur propre univers autour d'un imaginaire caractéristique : le lien indéfectible entre un garçon et une jeune fille, vers cet objectif commun qu'est l'échappatoire du château 🏯 labyrinthique où ils sont retenus prisonniers. A l'écran, cela se transcrit par l'absence de quelconque indication, que ce soit une barre de vie, de temps, des points d'expérience ou encore un inventaire. Cela permet de focaliser l'attention du joueur sur la densité de l'histoire et la portée émotionnelle du lien qui unit Ico à Yorda. Dans les faits, le système de combat marque ces choix avec brio : le garçon à cornes est encore limité dans ses possibilités, il a plutôt une attitude défensive et protectrice envers les monstres des ténèbres, bien loin de toute autre complication ou d'une attitude belliqueuse. Le simple bâton retranscrit cette impression de faiblesse et d'une méfiance presque attentiste. Enfin, le game over n'est possible que si la jeune fille se fait happer dans un trou d'ombre, et que vous avez donc failli à sa sauvegarde. Aussi simplement que cela.
Mais ICO va bien au-delà de ces affrontements. Le titre est avant tout basé sur l'exploration des lieux, la réflexion et le dénouement des énigmes qui permettent de progresser dans le château. A ce titre, l'architecture de la bâtisse est tout à fait hallucinante, puisqu'au lieu de la succession habituelle de salles, ici c'est un ensemble homogène et cohérent qu'il faut aborder en tant que tel. Tellement cohérent, d'ailleurs, que le retour vers la première pièce visitée à la fin du jeu apparait d'abord comme surprenant, puis diablement logique. Les salles gigantesques succèdent aux catacombes, en passant par les jardins intérieurs et le fameux passage du moulin à vent, qui tous ensemble forment un tout. L'environnement d'ICO passe au travers d'une mise en scène époustouflante. Le soleil d'une fin d'après-midi vient taper dans les extérieurs, éblouit et montre ses flares. Lors d'un retour dans le château, l'on ressent presque la fraicheur conservée par les murs gigantesques qu'on imagine épais et séculaires. Les impressions et ressentis des avatars sont comme palpables.
La chaleur qui se dégage de l'expérience est avant tout humaine : Ico doit faire preuve de bravoure pour protéger Yorda, dont il ne comprend même pas le langage. La jeune fille fantomatique est frêle, faible, éthérée. L'on retient son souffle lorsqu'elle s'apprête à traverser un précipice, rattrapée in extrémis par son jeune garde du corps d'infortune. L'on s'inquiète dès que l'on doit aller activer un mécanisme à quelques pas, lâchant la main de sa belle en tendant l'oreille pour vérifier à chaque seconde que les chimères ne reviennent pas pour l'enlever. L'on arrête sa recherche de résolution à une énigme pour l'observer quelque instant, déambulant dans les jardins avec grâce, courant derrière les oiseaux ou pointant du doigt un indice, accompagné d'un petit cri dont le sens -linguistiquement incompréhensible- semble vouloir dire : "par là !". La confiance nait avec le temps, chacun est utile à l'autre et l'entraide sera capitale pour s'en sortir, devant toutes les embuches. Les deux protagonistes sont des rebuts, confinés dans ce château par crainte d'une malédiction ; le contraste avec leur comportement est tout à fait marquant et renforce l'identification et la portée émotionnelle des situations. L'absence de musique et le physicalisme de l'agrippage des mains (à travers le bouton R1) renforcent ces impressions : Ico et Yorda ne vivent pas une aventure en tant qu'avatar... leur quête est vitale et réelle. En terminant le jeu, Yorda deviendra contrôlable par un deuxième joueur pour valider définitivement l'expérience.
Ueda complète son œuvre par un final tout aussi marquant que le sera celui de Wanda to Kyozô. En retournant dans la salle des sarcophages pour retrouver une Yorda catatonique, Ico s'aperçoit que tous ces monstres noirs qu'il a anéantis jusqu'alors sont ses congénères et ce à quoi il était destiné, s'il n'avait pas réussi à sortir de son cercueil au début du jeu. En mourant, la Reine reste sur son fardeau et anéantit le manichéisme : on ne contrôle jamais son destin et Yorda ne pourra échapper à sa peine. Les cornes d'Ico se sont pourtant arrachées au cours de l'affrontement, vers sa libération finale de post-générique. Fumito Ueda appuie son génie en expliquant, au détour d'une interview, que la Yorda sur la plage 🏖 n'est peut-être qu'un rêve. La fin heureuse est donc une représentation fantasmée des désirs du joueur. Le seul échappatoire serait alors fantasmagorique, comme le cliquetis des vagues sur le récif, ou le bruit du vent dans les branches d'un arbre. Au-delà de la fin (la libération), il y a donc avant tout le moyen (la rencontre) et le contexte (l'expérience) d'un essai poétique et évanescent.