Neon Genesis Evangelion
Avec Shinseiki Evangelion (Neon Genesis Evangelion), ANNO Hideaki démontre une nouvelle fois, après Top o Nerae ! et Fushigi no Umi no Nadia, ses incroyables talents de scénariste et réalisateur. Cette série de 26 épisodes diffusée en 1996 sur TV Tôkyô a littéralement déchaîné les passions des spectateurs japonais -et ce aussi bien dans le grand public que chez les anime fans - concernant les desseins des sujets abordés. On a longtemps pu constater dans les magazines nippons la polémique autour du véritable but de la diffusion d'Eva. Toujours est-il que, comme le souligne très justement mon collègue Julien, la réputation de Shinseiki Evangelion n'est plus à faire, et qu'elle constitue l'une des œuvres majeures, à différents niveaux, de la japanimation contemporaine. Alors, succès commercial programmé ou véritable œuvre d'auteur ?
Réalisation technique
Techniquement, la série n'a rien à envier aux productions contemporaines de sa sortie. Si l'on excepte certains des codes habituels du Dessin Animé Nippon brisés, intrinsèquement la série propose une qualité graphique très correcte, avec des couleurs bien choisies, des contours nets, et une stabilité du trait particulièrement constante. De plus, les character et mechanical design (respectivement dirigés par SADAMOTO Yoshiyuki et YASHITA Ikuto) restent parmi les plus classieux réalisés ces dernières années. Par ailleurs, l'animation s'avère elle aussi d'assez bonne facture - lorsqu'elle est employée, cela va sans dire, de manière traditionnelle. Elle offre même parfois des passages saisissants, en particulier lors des combats spectaculaires, de par leur dynamisme, entre Evas et shito.
Au niveau musical, la série mélange habilement des compositions de SAGISU Shirô (pas très originaux, ils ont tout de même le mérite d'être efficaces) avec des titres extrêmement connus piochés pour la plupart dans le répertoire classique international, à l'image des compositions de BEETHOVEN ou encore BACH. Ailleurs, on retrouve même plusieurs remix, dans le générique de fin d'épisode, du titre de Franck SINATRA Fly me to the Moon. Tous ces morceaux sont employés à très bon escient et se révèlent en adéquation autant avec le fond qu'avec la forme. Mention spéciale au thème d'ouverture, Zankoku Tenshi no Teze, interprété par TAKAHASHI Yoko, qui accompagne parfaitement le générique et demeure l'un des titres les plus connus des amateurs d'animation japonaise. A noter également la performance de l'orchestre philarmonique du Japon qui a formidablement réorchestré quelques morceaux de la série, au cours de la soirée Kôkyôgaku en 1997.
Pour ce qui est des seiyû, encore une fois on ne peut que s'abaisser devant tant de talent : HAYASHIBARA Megumi est bouleversante avec Yui et surtout Rei (et Pen Pen ?!), OGATA Megumi nous livre un Shinji superbement interprété avec des hurlements impressionnants ; tout autant que les autres ISHIDA Akira (Kaoru passionnant), MIYAMURA Yûko (Asuka excessive), MITSUISHI Kotono (Misato excentrique puis sérieuse), TACHIKI Fumihiko (Gendô idéal de charisme et de mystère), sans oublier bien sûr les membres de la NERV très justes, et les dirigeants de la Seele imposants voire effrayants par tant de mystères.
Evangelion profite donc d'une qualité technique indiscutable ; cependant, ses attraits principaux ne porviennent pas principalement de sa forme.
Proposition d'analyse
Attention : le chapitre suivant ne concerne qu'en priorité les lecteurs ayant vu l'intégralité de la série Shinseiki Evangelion, ainsi que les deux films alternatifs Death / True-Rebirth et Air - Magokoro o Kimi Ni.
Shinseiki Evangelion est jalonné de bout en bout par une pléiade de références. Celles-ci se révèlent parfois tellement flagrantes -les croix bibliques, notamment- que l'on conserve ses doutes quant à l'intégrité et l'athéisme pourtant clamés par ANNO ; ailleurs, elles apparaissent si subliminales que l'on éprouverait presque une certaine fierté à les avoir "découvertes". On peut également penser qu'il est possible d'en voir là où il n'y en a pas. D'aucuns proclament que chacune de ces références tient une place primordiale dans l'évolution du scénario. Ne serait-ce pas, partant, un simple jeu du réalisateur / scénariste qui semble autant s'amuser à reprendre des clichés de panthéismes extrêmement divers qu'à glisser quelques auto-références comme des clins d'oeil ? On assiste de toutes les façons à une surabondance et une répétition des symboles, que ce soit dans les noms, les nombres ou les combats.
Un des intérêts propres aux œuvres de ANNO réside par ailleurs dans le fait qu'il reste l'un des rares scénaristes et réalisateurs à pousser son "spectacteur" à l'introspection, et ces références participent de cette volonté. Ceci est particulièrement flagrant au cours des deux épisodes clôturant la série, bien sûr, mais aussi tout au long des 26 épisodes, en particulier lorsque Shinji réfléchit, psalmodie, ou même "discute" avec la gent féminine de la série, posant des questions qui débouchent la plupart du temps sur une réponse ouverte invitant le spectateur à s'interroger lui-même. Et si les otaku n'entendent pas cette philosophie de la même manière, et que l'homme doit réécrire l'épilogue par le biais du film Air - Magokoro o Kimi ni, il n'emploie toujours pas un excipit fermé. Certes, la mise en scène et l'action plus conventionnelles se rapprochent nettement de la japanimation courante, mais cette conclusion pousse autant à se questionner que les épisodes XXV et XXVI, sinon plus encore.
En outre, comme chacun sait, c'est en bouleversant les codes qu'une œuvre fait parler d'elle. ANNO les dérange antant sur la forme que dans le fond. Sur la forme, bien sûr, au cours des deux derniers épisodes (avant-gardistes ?) qui ont déchaîné les passions sur l'archipel, notamment de par l'absence d'utilisation de celluloïdes ; mais également lorsque l'écran se fige plusieurs secondes durant (épisode XXIII, sur l'Hymne à la Joie, avant la décapitation de Kaoru), lorsque les personnages sont hors-cadre, éloignés ou suggérés par des ombres, lorsqu'une animation ou une tirade sont tant répétés que cela en devient dérangeant. Dans le fond, lorsque l'on réduit vulgairement Eva à un simple amalgame de références pour la plupart européennes, présentes par "hasard" et déformées pour servir un synopsis qui s'inspire d'écrits religieux moins shintoïques ou bouddhiques que catholiques, judaïques ou même kabbalistiques ; lorsque le récit débute avec le Second Impact et le troisième shito sans que l'on ne nous apporte jamais, ou presque, d'informations concernant les précédents.
Pourtant, et c'est peut-être là une des grandes forces de Shinseiki Evangelion, ces inspirations religieuses et ésotériques s'inscrivant au sein d'un scénario qui regroupe également nombre de références scientifiques semblent (miraculeusement ?) tenir debout, en conférant même un certain aspect mystique et par-là même mystérieux -donc attirant- à la série.
Au-delà de toutes ces considérations, pour la plupart d'ordre purement spéculatif, il convient de remarquer que l'ensemble de la série Eva semble s'articuler autour d'un seul vaste thème philosophique : le rapport à autrui. Est-ce un hasard si le leitmotiv d'IKARI Gendô se résume en un "plan de complémentarité" ? ANNO affirme que ce plan (en japonais, hokan signifie littéralement "combler un vide") serait une allégorie du monde de l'animation. On pourrait y voir en effet une transposition de ce domaine dans l'archipel : Gainax, un groupe d'amateurs face aux professionnels du milieu, serait symbolisé par la NERV face à l'ONU dans la série. ANNO déplore également dans certaines interviews l'attitude dommageable selon lui des otaku qui, coincés toute la journée dans leurs chambres à regarder des séries d'animation, seraient totalement coupés du monde extérieur. Ainsi, le microcosme Evangelion pourrait-il également être perçu comme une allégorie, toujours selon ses idées, de l'univers des anime fans. Comme le montrent les 26 épisodes de la série, avec en fil rouge des exemples de "dilemme du hérisson", chaque protagoniste cherche à se rapprocher d'autrui, tout en voulant s'en préserver.
Il convient également de remarquer que la série balaye tout manichéisme. De par l'étonnante confrontation que nous propose l'auteur : les shito -terme traduit en français par "ange"- combattent des Evas censées représenter la justice et la bienveillance, mais à l'aspect tout aussi démoniaque que leurs adversaires. Sans oublier, en point d'orgue de ce "flou scénaristique", Rei et Kaoru qui sont à la fois children et shito. De par, encore, l'absence d'information quant à la confrontation des shito face aux Evas (lesquels sont les adjuvants et les opposants ?) et, a contrario, l'étonnante source d'informations que semble posséder la NERV, et qui représente un danger voire une menace pour le gouvernement.
Pourquoi, enfin, le scénario s'évertuera à nous glisser que le génotype des shito est à 99,89% identique à celui des humains, ou encore que les Evas sont les clones d'un shito (entre autres informations) sans jamais nous expliquer les raisons ?
Oui, Shinseiki Evangelion est une série pleine prétentions ; oui, plusieurs aspects en elle semblent purement commerciaux ; oui, elle laisse parfois un arrière-goût d'amalgame peu habile et "touche-à-tout". Pourtant, force est de remarquer que, pour avoir mobilisé des foules autour de ses buts commerciaux, elle constitue l'une des séries animées japonaises les plus connues et reconnues ; et que, sans pour autant apporter toutes les réponses attendues, elle pose une multitude de questions philosophiques passionnantes. En soi, cela représente déjà une belle progression par rapport à bon nombre de séries animées, toutes nationalités confondues, qui restent encore trop peu ambitieuses.
L'animé est diffusé sur Netflix à partir du 21 juin 2019.