David-Minh Tra : entretien avec le reporter de "Japon, qui es-tu ?"
Interview épisodes série documentaire
Rencontre amicale avec David Minh Tra, auteur de "Japon, qui es-tu ?". Dans cette série documentaire initiée en septembre 2010, le reporter d'origine Vietnamienne se met en scène à la découverte du Japon et de sa culture, de Tokyo jusqu'à Miyajima.
Avant de démarrer l'interview et pour celles et ceux d'entre vous qui ne connaîtraient pas les vidéos de David, voici son huitième et dernier épisode en date :
Bonjour David ! Peux-tu te présenter aux lecteurs de Kanpai et nous introduire ta série documentaire "Japon, qui es-tu" ?
Bonjour, je m’appelle David-Minh TRA, diplômé d’une grande école d’ingénieur parisienne, je travaille dans le eCommerce. J’aime voyager et rencontrer les gens dans tous les pays visités. Le reste du temps ? j’écris des histoires et je réalise des séries documentaires. "Japon, qui es-tu ?" est une série qui raconte la culture japonaise à travers le regard d'un voyageur solitaire. Le spectateur y découvre les difficultés qu'il pourrait rencontrer en se rendant pour la 1ère fois au Japon, il découvre les lieux à visiter et se fera une opinion à travers les sentiments que j'exprime au fil des épisodes.
Préparer, tourner et monter chaque épisode doit être chronophage. Est-ce ton activité principale ?
A côté de mon travail, on peut dire que c'est mon activité principale.
Il y a une certaine maîtrise technique et on te sent à l'aise devant la caméra. As-tu été formé à cet exercice ou es-tu plutôt autodidacte ?
Je suis totalement autodidacte. D'ailleurs, j'ai appris ou plutôt j'ai réalisé grâce à l'école que... l'on pouvait finalement quasiment tout apprendre par soi-même !
Il y a comme un "style" sensiblement différent du documentaire classique. Comment cherches-tu à donner de l'identité à tes reportages ?
Je suis tout simplement moi-même. Je n'ai pas de "codes". Je fais les choses de façon spontanée, comme elles viennent. J'avance à l'instinct.
Tes vidéos rencontrent un certain succès, notamment les premières. Cela a-t-il changé quelque chose pour toi au quotidien ?
Au quotidien, non pas vraiment. Par contre, je suis toujours surpris qu'on me reconnaisse parfois dans la rue et pas forcément à Paris au Japan Expo ! Par exemple, j'étais descendu rendre visite à mes parents à Saint-Etienne (je suis né dans cette ville) et en me promenant dans un centre commercial à Givors, une petite ville située à quelques kilomètres, un jeune homme vient vers moi en prononçant mon prénom. Il a parlé longuement de la série "Japon, qui es-tu ?". J'aime beaucoup recevoir les impressions des gens sur mes vidéos et connaître leurs sentiments. Il y a un souvenir qui m'a vraiment touché, une femme handicapée m'a déclaré avoir vu l'épisode 4 où j'effectue l'ascension du mont Fuji 🗻 et me dit : "Cet épisode m'a redonné l'envie de poursuivre ma rééducation pour réapprendre à marcher un jour. Et grâce à cette vidéo, j'ai un rêve : effectuer l'ascension du mont Fuji jusqu'au bout." Ce genre de discours me touche profondément et là oui... ça change énormément de chose dans mon esprit et ça donne tout le sens que j'ai toujours voulu donner à mon travail de réalisateur.
Quand comptes-tu retourner à nouveau au Japon ? As-tu envisagé l'expatriation ?
Je ne prévois jamais quand je vais au Japon. Je pars souvent au dernier moment. J'ai tellement d'épisodes à réaliser que je ne sais pas encore quand je retournerai au pays du sushi 🍣. L'expatriation ? mmm... c'est une excellente question. Oui j'y ai songé. Mais pour le moment, je veux aller le plus loin possible avec mes futures séries documentaires. Et si la vie me guide vers une expatriation vers le Japon, je suivrai ce que mon coeur me dira de faire.
Tu as ouvert ton propre blog l'année dernière. Quelle était le but de cette démarche, en plus du documentaire ?
Quand je réalise chacun des épisodes de "Japon, qui es-tu ?", je m'efforce de ne pas tomber dans le piège des documentaires qui, selon moi, traînent souvent en longueur. En expliquant la culture japonaise de façon la plus concise possible, il y a des détails, des sujets que je n'ai pas pu traiter. Par conséquent, j'ai créé mon site personnel dans le but de traiter des sujets non évoqués dans mes documentaires ou tout simplement prendre le temps d'expliquer par des photos et du texte des concepts culturels complexes. Entre la publication des épisodes de la série documentaire "Japon, qui es-tu ?", je publie régulièrement des articles sur mon site web sur le Japon. Par contre, je ne me spécialise pas dans le guide de voyage, il y a déjà l'excellent site Kanpai qui est une référence dans ce domaine. Je parle plutôt du Japon à travers mon vécu, à travers des récits, des expériences. Récemment, j'ai remporté la 3ème place des Golden Blog Awards en Novembre 2013 dans la catégorie "Voyages" seulement 6 semaines après la création du Blog. L'encouragement du jury et des viewers sur ma chaîne YouTube, ma page Facebook et mon compte Twitter m'ont vraiment touché.
La vidéo est-elle une fin en soi ? T'en sers-tu comme un tremplin pour des objectifs plus larges et/ou à plus long terme ?
J'ai réalisé un rêve, c'est de partir tout seul au Japon et produire tout seul une série documentaire. La vidéo sur le web est un tremplin pour faire connaître son travail. Le web en général (et Youtube en particulier) est un excellent laboratoire pour sentir la réaction du public. La sentence est rapide, on est fixé tout de suite si notre travail plaît ou pas. Les remarques peuvent être violentes comme elles peuvent être extrêmement élogieuses. Pour le moment j'ai reçu de très bons retours sur la série et j'en suis très fier. Mais je reste humble car j'ai effectivement des objectifs bien plus larges : pouvoir porter toutes mes séries documentaires sur une grande chaîne de TV française par exemple. Le reste de mes idées, je préfère les garder pour moi... tout simplement car j'aime offrir des surprises à ceux qui me suivent !
Dans tes reportages, tu traites parfois des différences sociétales entre le Japon et le reste du monde. Qu'est-ce qui te paraît si marqué dans la civilisation japonaise ?
Mon 1er voyage au Japon m'aura traumatisé car il ne ressemble à aucun autre pays dans le monde. Même en Asie, le Japon est un pays à part. C'est un pays insulaire, n'ayant pas de voisins frontaliers. De ce fait, il est comme isolé du monde. J'ai de nombreux exemples de particularités que j'ai relevées chez les japonais : leur politesse, leur calme de façade, le respect de la nature, le fait d'éviter les conflits, leur loyauté, le sens de l'engagement, le patriotisme, la force du collectif et la quasi absence de l'individualisme. Ces valeurs-là existent dans d'autres pays, d'autres peuples, mais au Japon, ces valeurs sont si fortes qu'elles dressent une identité japonaise unique au monde selon moi. Ces mots n'ont de valeurs que s'ils sont accompagnés par des actes et le monde entier a pu le constater récemment lors du terrible tremblement de terre survenu le 11 mars 2011 en observant l'attitude collective des japonais.
Le sens de la politesse et du respect japonais fait parfois débat puisque certains le ressentent comme une forme d'hypocrisie (en particulier autour de honne / tatemae). Quel est ton opinion sur ce sujet ?
Les codes comportementaux ne sont pas les mêmes en Orient et en Occident. Un comportement jugé "bon" dans un pays peut être jugé "mauvais" dans un autre. La première chose à retenir, c'est que les japonais cherchent l'harmonie et veulent éviter les sujets conflictuels. C'est un fait, il n'y a pas d'hypocrisie. Quand on va dans un pays, il faut se forcer à faire un reset (mise à zéro) de ses propres origines, de ses propres principes inculqués dans son pays de naissance, comprendre les codes de la culture du pays où l'on se rend pour enfin comprendre les sources de leur comportement. La culture japonaise a une grande histoire. Il faut la comprendre, l'accepter et éviter de la juger à travers son oeil d'occidental. Une fois je mangeais dans un restaurant de ramens 🍜 et j'ai entendu des touristes étrangers critiquer les japonais qui avalaient bruyamment leur soupe... en effet, dans les codes comportementaux occidentaux, cette façon de manger est irrespectueuse. Au Japon, mais aussi dans d'autres pays asiatiques, manger en aspirant bruyamment ses nouilles est une forme de politesse vis à vis des cuisiniers pour leur montrer notre admiration. Quand on s'efforce de connaître les origines de la culture japonaise, on finit par comprendre leur comportement et se sentir plus à l'aise avec eux. Mais j'avoue que tout cela est parfois très difficile à comprendre pour les occidentaux. J'ai eu récemment un débat sur ce sujet avec une amie japonaise. Elle-même m'avoue que la culture japonaise est très complexe pour elle.
On sent également chez toi un intérêt marqué pour le shintoïsme, en particulier la relation que vivent les Japonais avec la nature et les animaux. Est-ce quelque chose de fondamental pour toi ?
Le Shintoïsme... c'est un thème très largement abordé dans mon dernier épisode documentaire ("Japon, qui es-tu ?" Episode 8, voir plus haut). Est-ce quelque chose de fondamental pour moi ? Oui, absolument ! Je pense avoir trouvé la réponse à une bonne partie de mes interrogations sur le peuple japonais. La pureté et l'harmonie font partie du fondement du culte Shinto. C'est en partant de ces principes de vie que l'on peut comprendre le tempérament du peuple japonais et ce qu'on appelle "l'ordre naturel". Ce concept de pensée n'est pas seulement japonais mais asiatique. Respecter l'ordre naturel est fondamental dans les relations humaines que ce soit dans les relations professionnelles, amicales ou plus particulièrement amoureuses. D'ailleurs, j'ai envie d'illustrer mon propos par un exemple simple dans les relations amoureuses. J'ai souvent remarqué que les relations rapides et forcées finissent très souvent tôt ou tard par une cassure. Les vraies relations qui durent demandent du temps, de l'observation, de l'écoute en suivant justement un ordre... l'ordre naturel. Ce qui nous appartient nous appartiendra... selon moi, il ne faut rien forcer. Les choses doivent venir d'elles-même.
Enfin, as-tu un dernier mot pour les lectrices et lecteurs de Kanpai ?
Bonjour chers lectrices et lecteurs de Kanpai. Parmi les passionnés de la culture japonaise, je reçois de mon coté beaucoup de questions pour préparer un voyage. Certains le font pour réaliser un rêve, d'autres par défi de s'en sortir dans un pays où les codes de vie peuvent déboussoler n'importe quel étranger la 1ère fois, vivre une expérience hors du commun, apprendre la langue, ou venir en aide aux victimes du tsunami du 11 mars 2011... Très souvent ce sont des rêves tellement sincères qui vous rendent beaux, qui vous élèvent dans le sens spirituel de la vie et qui donnent un sens profond à votre existence. Mais ce que j'ai parfois remarqué, c'est que la peur de se lancer persiste. Je veux vous encourager et ne pas hésiter à vous lancer dans ce défi. Que ce soit un voyage raté ou réussi, la vie est vraiment excitante quand on se découvre face à l'adversité. On affronte nos peurs, notre timidité, on se prend en main, on prend confiance en soi, on s'ouvre aux autres. J'ai eu un rêve après mon 1er voyage au Japon, je voulais absolument revenir un jour tout seul et parcourir plusieurs villes inconnues pour réaliser une série documentaire. Je suis fier d'avoir réussi mon pari. J'ai vécu des "échecs", parfois des moments pénibles. Mais c'est au retour de voyage que j'ai réalisé à quels points ces moments m'ont permis de voir la vie autrement, de relativiser et prendre conscience de beaucoup de choses dans les relations humaines. Faire tout seul l'ascension du mont Fuji en pleine nuit était un réel défi. Je n'étais pas sûr d'avoir la condition physique mais j'ai osé traverser une partie du globe pour relever ce défi. Je n'ai pas atteint le sommet de la montagne mais j'ai certainement vécu l'une des plus belles expériences humaines de toute ma vie. J'ai voulu avancer et suivre mon instinct, la vie m'a offert des expériences inattendues et des rencontres formidables. Alors le meilleur moyen de lutter contre vos peurs, c'est de les affronter. Alors, avec toute ma sincérité et mon amitié, n'hésitez plus : foncez ! :-)
Merci pour cette interview, et longue vie à Kanpai !
David-Minh TRA (Reporter)