Heavy Rain : le test
Shenmue a beau être une série officiellement abandonnée depuis bientôt 10 ans, la saga continue à alimenter des discussions enflammées et autres espoirs infondés. Yakuza, parfois considéré comme sa suite spirituelle, peine à s’imposer dans les cœurs malgré des ventes au Japon tout à fait impressionnantes. Cependant, de plus en plus repliés sur eux dans le média, les Japonais plébiscitent l’intrigue mafieuse dans Tokyo plutôt que les avancées ludiques. Et pour cause, Ryû ga Gotoku est peut-être plus rigide encore que ne l’était Shenmue en 1999.
Contre toute attente, c’est plutôt du côté des petits Français qu’il va falloir chercher une suite spirituelle aux aventures de Ryô Hazuki. Car Heavy Rain a tout du petit frère de génie, à tel point d’ailleurs que, sans son environnement de province japonaise et le charisme éblouissant de son protagoniste, Shenmue passerait presque pour le brouillon du genre. Son fils spirituel, en tout cas, n’a pas ménagé ses efforts pour promouvoir les pistes explorées. Celles qui tentent de dépasser le statut fainéant dans lequel le jeu vidéo 🎮 s’est peu à peu embourbé.
Alors, Heavy Rain tente ni plus ni moins d’insuffler un nouvel espoir au média. Avec d’un côté des Japonais cristallisés par l’évolution stupéfiante du marché mobile dans les années 2000 puis leurs chutes de ventes incontrôlées sur console, et perdus en traduction face aux demandes des occidentaux ; d’un autre côté, ces mêmes occidentaux auto-enchaînés dans des déversements de violence guerrière et de radio-bière 🍺-foot, narcissiques de leur grosse puissance graphique ; et au niveau global une propension inquiétante à déverser du casual gaming comme parfois une atteinte pure aux règles du ludisme, sous le couvert à peine dissimulé de vendre du temps de cerveau disponible à pépé-mémé ; l’enfant terrible de David Cage tente avec audace de redéfinir la notion même d’interactivité.
Certes, il le fait sur des bases déjà (timidement) installées, comme les multiples embranchements, les différentes fins possibles, l’approche mature du scénario, les Quick Time Events, les motion et face capture… Mais il a le mérite de les pousser dans un nivellement par le haut qui souhaite redonner une pertinence au concept de jeu vidéo. Ici en dévoilant une intrigue digne des meilleurs films de cinéma (entre Se7en et Saw), là en osant présenter les rapports humains dans la profondeur ou la nudité telle quelle, puis en donnant tout au long de l’aventure une réelle importance à vos choix dans le déroulement, en impliquant véritablement le joueur dans la progression.
Si le jeu vidéo prétend connaître une facette artistique, c’est clairement à travers Heavy Rain, parmi d’autres, qu’il devra passer. Certes pas exempt de défauts de jeunesse (une certaine linéarité inévitable, la maniabilité pas toujours au poil dans des environnements réduits, certaines textures très en deçà, quelques transitions un peu abruptes, des QTE parfois très scriptés, certains choix trop francs sur la fin), le titre éblouit néanmoins par une maîtrise mature des cartes données en main et ouvre la porte à des recherches encore beaucoup plus abouties autour du concept même de vidéoludisme. Une aventure de jeu dont je suis enfin le héros.