Assassin's Creed IV : Wind Waker... euh, Black Flag
Test AC4 sur PS3
Ubisoft n'aime pas trop l'avouer, mais il y a de très fortes chances pour que le report de Watch Dogs soit lié à la force de frappe de la licence Assassin's Creed, donc une décision marketing de calendrier et non technique. En quelques épisodes, AC a construit un rendez-vous automnal annuel extrêmement puissant, quitte à tirer sur la corde plus que de raison. Puisque Watch Dogs a de fortes chances de suivre le même chemin, s'offrent alors deux choix de calendrier :
- soit les deux licences alternent leurs sorties, pour tenir chacune sur un rythme bisannuel et par-là même relever quasi mécaniquement le niveau qualitatif ;
- soit elles s'enfoncent dans le syndrome poule aux œufs d'or et se partagent les semestres de manière boulimique, AC à l'automne et WD au printemps, ce que l'on peut malheureusement craindre.
Concernant Assassin's Creed, je signalais dans ma critique d'AC3 que la licence commençait à user jusqu'à ses plus fervents défenseurs. J'ai adoré la trilogie Ezio, sincèrement, d'AC2 à Revelations en passant par Brotherhood. Je trouve que ces trois épisodes constituent un entier fabuleux, agencé autour d'un protagoniste comme rarement le jeu vidéo 🎮 nous aura permis d'expérimenter et d'explorer. La déception du troisième opus se comprend d'autant plus que la construction de Connor marque de vraies faiblesses. Alors que le protagoniste d'AC4 n'est autre que son grand-père, Edward Kenway, le choix d'une nouvelle itération canonique dévoile clairement que la révolution américaine a peu passionné. Place donc au monde des...
Pirates des Caraïbes
Comme beaucoup d'autres titres pendant l'année à venir, Assassin's Creed IV est multi-générationnel. L'intérêt de le jouer sur PS3 ou Xbox 360 offre un avantage bien au-delà de son mois d'avance dans le calendrier : il s'agit pour la dernière fois de la version de référence, ce qui signifie que les éditions next-gen ne seront que des portages techniques. Les essais de la version PS4 confirment bien cet état de fait : visuellement, la différence est minime et le vrai gap graphique ne nous parviendra que fin 2014 avec un éventuel AC5. En revanche, la PS3 qui tirait déjà la langue avec le précédent opus, est désormais à bout de souffle. Les villes, en particulier, sont si riches de vie et de détails qu'il faudra oublier toute fluidité dans les rotations ou dans la course.
Il faut toutefois signaler le tour de force technique que d'avoir réussi cet open-world. Non content d'être tout à fait cohérent, il prouve le savoir-faire indiscutable d'Ubisoft sur cette fin de génération, comme l'avait proposé The Last of Us d'une autre façon sur PS3. On a donc hâte de voir ce qu'Ubi va pouvoir faire après quelques années de développement sur la prochaine salve de consoles. Mais comment ne pas condamner, dans ce cas, ce HUD parasitaire avec tellement d'infos à l'écran qu'il nous fait constamment sortir de l'expérience ? Certes il est possible de désactiver les éléments un à un, mais le jeu repose tellement dessus que cela perturbe la progression. C'est d'autant plus regrettable que la direction artistique que ce quatrième Assassin's Creed canonique séduit à tous les instants : l'océan et ses innombrables trésors cachés remplace avec talent les villes comme clé de voûte de l'aventure. On ne peut que saluer le travail incroyable réalisé sur l'ambiance, la variété des environnements et le fourmillement de vie à tous les coins de l'immense carte.
Pour le reste Black Flag assume une filiation étonnante avec, d'un côté, une longue lignée d'Assassins qu'il n'ose plus du tout faire évoluer, comme sclérosé par une peur panique d'innover et, de l'autre, Zelda Wind Waker en ce qu'il reprend finalement le concept des îles éparpillées et du monde ouvert accessible en bateau 🛥️. Très franchement, je n'avais pas été séduit par cet apport naval de l'épisode précédent ; je voyais donc sa mise au premier plan d'un œil méfiant. Manette en main, la mise à niveau est très appréciable et le sentiment de liberté apporté relève nettement l'intérêt. Du coup, au-delà de Havana, Nassau et Kingston, ce sont plutôt les mers des Caraïbes que j'ai eu envie d'explorer avec ses îles, ses jungles, ses forts, ses cavernes et toute sa vie plus ou moins sauvage. Une respiration inattendue et bienvenue, appuyée par des ajouts collatéraux de bonne facture comme les abordages ou la découverte sous-marine.
Pas de nouvelles, mauvaise nouvelle ?
Toutefois en-dehors de l'apport de gameplay sur les navires (ou plutôt leur évolution depuis le troisième opus), Assassin's Creed 4 ne surprendra que trop peu. Certes, quelques petits ajustements ergonomiques sont les bienvenus, apportant une touche sensible de fluidité à l'ensemble. Certes, le contenu pléthorique encourage le joueur à prolonger longuement son expérience dans un univers déjà très accrocheur. Certes, quelques petits défauts énervants ont été gommés voire évincés et les bugs sont moins présents que dans AC3 (mais pouvait-il vraiment faire pire sur ce point ?).
Reste que malgré le socle solide de cinq précédents épisodes majeurs, Black Flag n'évite pas encore certaines erreurs grossières ou des contraintes étonnantes qui rendent certains passages peu permissifs voire punitifs si l'on ne suit pas à la lettre le déroulement prévu. De même pour les combats humains, légèrement optimisés mais presque toujours aussi scriptés et brouillons. Quant aux missions, inutile de vous prévenir que si vous avez plusieurs Assassin's Creed derrière vous, il n'y aura pas grand chose de neuf sur la terre ferme. On se surprend alors parfois à préférer l'annexe au fil rouge scénaristique.
De ce côté-là d'ailleurs, la construction narrative est sans surprise non plus, avec un découpage caractéristique tellement classique qu'il nuit presque à l'expérience. L'histoire en elle-même est parfois très inspirée et son protagoniste intéressant, en-dehors d'un passage à vide au milieu de l'histoire, mais les opposants (en particulier les templiers) manquent de charisme pour la plupart et peinent à convaincre. La méta-histoire offre quelque chose également et floute plus encore la frontière entre assassins et templiers. En revanche elle rapproche étonnamment Abstergo de... Ubisoft dans le présent, autour du marketing, le liant même sans vergogne avec WatchDogs. Je n'arrive pas encore à déterminer si tout cela est très malin ou juste maladroit.
La fin du jeu, en revanche, ne peut s'empêcher de décevoir une nouvelle fois, tant elle craint de faire avancer l'histoire. Du coup, le générique tombe comme un cheveu sur la soupe et laisse un goût amer en bouche. En réalité, le scénario ne fait plus que stagner ou presque et plus aucune place n'est laissée à l'interprétation ni même à l'analyse. Pour en savoir plus, consultez mon analyse de la fin d'Assassin's Creed 4.
Pourtant, avec tout ce que l'on peut encore lui reprocher en terme de manque d'innovation, Assassin's Creed 4 Black Flag s'avère l'un des opus les plus réussis, voire sans doute le meilleur en tant que pièce unique. Son univers accrocheur et homogène, son contenu pléthorique et son aventure cohérente vous embarquent sans peine dans un jeu solide et maîtrisé. Toute la question est de connaître votre degré de lassitude avant de replonger dans la saga.