Assassin's Creed Unity : la révolution tuée dans l'œuf
Pour vous être tout à fait honnête, nous ne nous imaginions même pas tâter celui qui deviendrait Assassin's Creed Unity. Black Flag s'avérait certes un opus plutôt correct l'an dernier, après la catastrophe AC3 en 2012, mais sa méta-histoire conférait à la série dans le monde réel une propension mercantile inquiétante. Quand Ubi décide de prendre les joueurs pour des pigeons, il le fait désormais quasi ouvertement.
Deux raisons principales nous auront finalement fait pencher vers ce qui sera donc sans doute notre chant d'adieu à cette saga sacrifiée sur l'autel du capitalisme. D'abord, le fait qu'elle se passe en France au cours d'une des périodes les plus adaptées à un Assassin's Creed. Et puis, naturellement, la première vraie claque next-gen attendue après un WatchDogs terriblement décevant sur ce plan.
Si beau mais si bancal
Manette en main, Unity s'avère effectivement beau à se damner et parfois même impressionnant dans le nombre de personnages affichés simultanément. Paris a été reproduite avec un talent incontestable et se balader dans ses rues, sur ses toits et au cœur de ses bâtiments familiers à travers diverses époques procure un plaisir immense, qui nous rappellera les émois du second opus basé à Rome. Qui plus est, tout cela est servi par une bande son largement à la hauteur.
La puissance de la nouvelle génération est enfin exploitée et l'entrevue de ce que les studios première partie pourront réaliser a déjà de quoi faire saliver. De plus les animations ont été nettement étoffées pour coller au nouveau parkour ascendant / descendant et les assassins profitent désormais d'une démarche féline bien plus fluide.
Mais à quel prix ! Pour atteindre ce festival de rétine, le jeu a en effet rogné sur plusieurs autres branches techniques pourtant pas négligeables :
- une gestion aléatoire de la distance qui réduit largement la qualité des éléments éloignés (ce que les grands écrans ne peuvent que mettre en lumière) ;
- des temps de chargement parfois interminables qui trahissent probablement un manque de maîtrise des librairies de développement ;
- un capping de résolution à 900p, faute à la Xbox One dont le partenariat publicitaire quasi-exclusif empêche les aveux d'Ubi ;
- et surtout une animation catastrophique à 30 images par seconde quasi jamais tenues, car très peu constantes et qui n'ont de cesse d'écorcher l'expérience.
Au-delà de l'affichage, Assassin's Creed Unity se révèle surtout bardé de bugs en tout genre qui s'enchaînent pour abîmer le game-design et frustrer son joueur. Après la catastrophe du troisième volet il y a deux ans, on croyait que la leçon serait retenue. Las ! Pour toute réponse, Ubisoft a choisi de publier une... page dédiée aux patches correctifs. On croit rêver.
Dans tout ça, le fond peine à remonter la barre, avec des missions peu intéressantes et redondantes pour qui aura déjà tâté de l'Assassin, un Arno souvent vide de sens et peu attachant (une constante depuis Ezio), une absence d'implication incompréhensible dans les grands évènements de la Révolution française ou encore, hélas, une méta-histoire désormais aux abonnés absents qui livre une fin du jeu à l'encéphalogramme plat.
Et que penser, dans la version originale, de ces incompréhensibles accents arborés par les personnages principaux ? Le père comme la promise du protagoniste ont leur flegme tout british dans la voix et jusqu'au doubleur du héros lui-même ne peut cacher bien longtemps qu'il est Canadien ! Voilà qui prouve encore le désintérêt total de la production pour ce qui ne sont tout de même pas des détails...
Le symbole d'un marché essoré
Ce septième Assassin's Creed canonique est donc pour nous celui de trop. Il prouve par la même occasion qu'aussi belle soit la plastique, elle ne peut masquer des défauts aussi récurrents qui accusent le lourd poids des années. La saga et par extension Ubisoft sont devenus les totems de ce qui ne va plus dans le jeu vidéo 🎮 d'aujourd'hui.
Il y a d'abord ce marketing déceptif à base de hype et de présentations survitaminées, si éloignées du jeu réel (pensez WatchDogs, The Crew et le futur The Division). Cette absence de considération des joueurs se retrouve dans les excuses plus que médiocres formulées à l'endroit de l'absence de protagonistes féminines jouables ("trop d'animations à réaliser" !) ou du framerate que nous abordions plus haut ("une expérience plus cinématographique" !).
Jusqu'aux journalistes et blogueurs sont malmenés par la défiance intolérable de l'éditeur. Pour continuer à recevoir des jeux de la part d'Ubi, il leur fallait signer un NDA (pour info, nous n'y sommes pas soumis) interdisant la publication de tout test ou critique avant le jour-même à midi aux États-Unis. Ceci afin d'éviter les annulations de précommandes d'un jeu dont ils savent bien que la critique va le saigner.
Au cœur de l'expérience elle-même, il y a désormais un mépris étonnant du joueur qui se voit imposer, au-delà du bavardage incessant, une série usante de liens transmédias impossibles à éviter pour qui veut ne serait-ce qu'ouvrir des coffres et surtout une suite de micro-transactions insistantes qui, mises bout à bout, pèsent plus lourd que le prix du jeu lui-même en espèces sonnantes et trébuchantes bien réelles !
Plus largement, ce rythme de sortie effréné imposé à la série Assassin's Creed crée une redondance importante entre les itérations et une lassitude qui fatigue jusqu'aux développeurs du jeu eux-mêmes ! Difficile de masquer ce panier de studios low-cost qui viennent prêter main forte, dans une coordination pressée, au studio principal de Montréal. Lié ou pas, le départ récent de Jade Raymond, figure de proue de la saga, a de quoi inquiéter sur le cap choisi pour la suite des aventures historiques.
En tout cas, nous, on ne nous y reprendra plus.