Que devient la presse spécialisée française ?
Magazines de jeux vidéo en France
L’autre jour, je suis tombé sur un vieil article que j’avais publié sur ce site il y a de longues années. J’y copiais une lettre envoyée à un groupe de presse français -dont le sigle reprend les initiales des prénoms des tristement célèbres frères CHEMLA- avant de réfléchir sur le devenir de la presse française du jeu vidéo 🎮. Devant la demande expresse de retirer des attaques perçues comme diffamatoires sous peine de saisie d’huissier, émanant du plus Franck des deux, et l’imbécilité d’un grand nombre de réactions reçues, il est devenu le seul article qui ait depuis été retiré de nos archives. En relisant ce papier, j’ai été frappé de constater à quel point il y a quatre ans, je me plaignais déjà de la pente qualitative descendante sur laquelle s’était engagée cette presse. Et à quel point aujourd’hui, la situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire.
Le marché ayant largement évolué ces dernières années, un bref rappel des forces en présence s’impose. Aujourd’hui, la presse du jeu vidéo est plus ou moins gouvernée par Future France, filiale française (si si, je vous jure) du groupe anglais Future Publishing / Edicorp. Celle-ci édite Jeux Vidéo Magazine, Joypad, PS2 Magazine, les officiels Xbox et Nintendo, Consoles Max et quantité d’autres titres. Future détient la plupart du marché, et brandit en fer de lance l’excellent produit qu’est JVMag, avec ses soixante-dix mille exemplaires vendus chaque mois. Le reste du marché est partagé entre FJM Publications (Gameplay RPG et quantité d’autres mauvais magazines qui apparaissent et disparaissent chaque mois), Emap France (Consoles+, le plus vieux des magazines de jeu vidéo encore en activité), Diximedia (XBM, deux ou trois Total truc), et la toute petite Japan Culture Press qui publie péniblement GameFAN.
Globalement, le constat qualitatif que l’on peut dresser de cette presse est tout au plus médiocre. Les textes, maquettés à la chaîne, manquent d’originalité, de vécu, de risque. Ils sont pour beaucoup bourrés de fautes d’orthographe et de syntaxe, et constitués de formules usées et abusées (« une tuerie sans nom », « le meilleur jeu de [circonstanciel le plus vaste possible] », « powa / killa » et autres néologismes, anglicismes et truismes). Contrairement à beaucoup d’autres genres de presse, les rédacteurs ne sont ni journalistes, ni issus d’une formation de lettres (lorsqu’ils ont une formation, complèteront les mauvaises langues). En effet, l’on embauche plutôt sur la culture vidéoludique, ce qui en soi n’est pas un mauvais choix, hormis le fait qu’il se fasse au détriment des capacités rédactionnelles du-dit rédacteur.
L’on peut se poser la question de savoir pourquoi le jeu vidéo, secteur autant voire plus porteur que le cinéma ou la musique, se travestit dans une presse médiocre ou corrompue (quand elle n’y est pas incitée, à l’aide de l’éternel « je t’achète des pages de publicité si tu surnotes mon jeu ce mois-ci »). Toutes les presses sont dépendantes de leur public. Or, le public qui lit des magazines de jeu vidéo peut être classé en deux catégories : les « vétérans », vous et nous, qui lisons moins par nécessité que par habitude voire que par nostalgie (Tilt Consoles+, Player One et consorts nous ont vu grandir) ; et les plus jeunes, force majeure de la demande, qui cherchent plutôt des astuces, de la note d’intérêt pour savoir si papa devra acheter tel titre, et se satisfont des textes de mauvaise qualité puisqu’ils ne les lisent pas. Quod erat demonstrandum.
Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette baisse de qualité. L’on pense immédiatement à la mainmise de Future qui, en rachetant les plus gros titres de cette presse, s’est constitué une assise hégémonique efficace. L’absence de concurrence sérieuse l’encourage dans la publi-critique et le communiqué de presse dithyrambique, malgré une qualité formelle tout à fait acceptable. Face à elle, FJM persiste dans l’inondation du marché (et pas seulement autour du jeu vidéo), délaissant totalement le qualitatif du fond et de la forme, et payant à solde fixe des rédacteurs qui écrivent chaque mois des dizaines de pages pour plusieurs de leurs magazines. Quant à JCP, leur GameFAN se présente comme une alternative, mais de plus en plus au bon goût et à la qualité, et ceci hormis les aberrations d’ex-publication lisibles sur cette mine d’or qu’est leur forum officiel.
En outre, une nouvelle forme d’exploitation a vu le jour avec cette presse inaugurée par les publications FJM : le magazine ne coûte presque plus que l’impression et la distribution. Pour GameFAN par exemple, les « locaux » sont en réalité l’arrière-boutique de Japan-Type, le magasin de jeux import appartenant au rédacteur en chef actuel. Et puis, il est loin le temps des 900FF la pige de Player One : certains rédacteurs expliquent sur Internet 📶 à qui veut l’entendre que la page est parfois rémunérée jusqu’à 15€, ou qu’ils sont payés à peine le SMIC pour des centaines de lignes par mois. Du coup, les éditeurs sont de moins en moins regardants sur la qualité de leur produit, puisque le public continue d’acheter.
Et pour s’assurer une marge la plus importante possible, les magazines sont hors de prix. Encore un fois, l’on se souvient tous des PO à 15FF. Aujourd’hui, lorsque je vais acheter mon Première ou le Cosmo pour ma copine, j’en ai pour 2€, voire moins si je prends le pratique format A5. Mais lorsque je lorgne du côté du rayon jeux vidéo, il n’y a rien à ce prix hormis JVMag, ses 3€ et sa qualité de feuilles version papier toilette recyclé. Le reste est au minimum à 5,5€, lorsque l’on n’atteint pas des sommets de ridicule, par exemple 6€ pour la petite centaine de pages du publi-rédigé Nintendo Magazine.
Gaming, qui était vendu 4€, n’a pas duré plus de six mois à ce rythme, salaires conséquents, papier de bonne qualité, belle maquette et articles de fond y compris. Ce qui prouve bien que l’ancienne formule ne fonctionne plus. Les plus intelligents de chez Canard PC, qui avaient début 2004 misé leurs indemnités de licenciement sur le lancement de leur bébé, ont largement réussi leur coup. Une vingtaine de pages chaque semaine sur du papier pas toujours en couleurs, certes, mais l’idée est judicieuse et le succès mérité. Reste que plus globalement, le journaliste n’en est plus un à nos yeux, et n’est de loin plus parole d’évangile. En tant que lecteur, j’ai déjà les infos qu’il distille depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines, et j’ai envie de les commenter puis d’en discuter. D’où l’attrait d’Internet, et la présence de plus en plus marquée des pigistes sur les forums de discussion.
Alors, le besoin d’un véritable magazine de fond se fait ressentir. Il manque encore et toujours un Cahiers, un Inrocks ou un AnimeLand du jeu vidéo. Régulièrement, je pense à m’entourer de bons rédacteurs qui traînent à droite à gauche pour lancer un magazine comme je rêve d’en lire, sur lequel je n’apposerais ni « l’alternative », « par des joueurs, pour les joueurs », « le jeu vidéo autrement » ou « le premier magazine spécialisé ». D’autres rêvent du retour des vieux ados déconneurs de notre jeunesse, attendent l’arrivée d’un new games journalism français comme le messie, ou d’un véritable journalisme d’analyse comme il se trouve si l’on fouille un peu : sur Overgame, à la rubrique jeux vidéo de Libération et leur supplément du vendredi, sur le blog d’Erwan CARIO, ou en important Edge d’Angleterre et Play Magazine des états-Unis. Parce qu’en continuant d’engraisser les patrons de Future et FJM, on se fait mal aux yeux autant qu’au cul.