Le Garçon et le Héron (critique)
L'antépénultième Miyazaki ?
Le Garçon et le héron est le dernier film d'animation japonais en date réalisé par Hayao Miyazaki et produit par le studio Ghibli. Sorti en 2023, le long-métrage retrace l'aventure fantasmatique de Mahito Maki, jeune garçon qui se retrouve face au deuil de sa mère morte sous les bombardements de la Seconde Guerre mondiale à Tokyo. Le titre du film en japonais Kimi-tachi wa do ikiru ka est tiré du roman Et vous, comment vivrez-vous ? de Genzaburo Yoshino.
Déjà 10 ans se sont écoulés depuis le dernier Miyazaki, Le vent se lève, mais l'annonce de sa retraite n'est même plus un running-gag puisqu'il est désormais acquis qu'il ne raccroche pas encore le crayon après Le garçon et le héron. Ce dernier film en date est très librement (comme toujours) inspiré d'une nouvelle philosophique publiée en 1937 par Genzaburo Yoshino : Et vous, comment vivrez-vous ?, un incontournable de la littérature japonaise humaniste centré autour de la vie du collégien Junichi Honda, opportunément traduit en français en 2021.
Les mois ayant précédé la sortie du Garçon et le héron, particulièrement au Japon, ont été marqués par l'absence quasi totale de promotion, ne serait-ce qu'une bande-annonce ou même de simples images tirées du film. Seul un poster famélique était censé représenter un long-métrage alléchant, tant la réputation de Hayao Miyazaki n'est plus à faire. Tentant de respecter tant que possible ce souhait du Studio Ghibli, le trailer occidental restait contemplatif et heureusement peu descriptif :
Nous avons eu la chance de voir le film en avant-première, préalablement à sa sortie française du 1er novembre 2023. Voici donc, en tant que grands amateurs de Hayao Miyazaki, notre avis sur Le garçon et le héron.
Cette critique contenant des spoilers plus ou moins mineurs, il est peut-être préférable de ne pas la lire si vous souhaitez rester vierges dans votre entrée dans le film.
Après un Vent se lève particulièrement réaliste, étonnamment historique et presque timidement onirique, ce 12ème long-métrage redonne du champ aux mondes imaginaires. Et vous, comment vivrez-vous ? démarre lentement avant de se détacher du roman éponyme pour prendre son envol par le prisme Miyazakien et s'assumer en tant qu'opus comme il nous les livre depuis la charnière Chihiro. Ce premier acte de l'omega en monde réel ne cache aucunement ses accents autobiographiques et livre déjà discrètement beaucoup de clés pour l'interprétation. Entre le fond de Seconde Guerre mondiale, le décès d'une mère et la cupidité d'un père directeur d'usine de pièces pour les avions ✈️ de combat nationaux, ou encore le déménagement vers ce que l'on imagine être la préfecture de Tochigi, le réalisateur met en images sa propre adolescence avant la fuite en avant fantasmatique.
Les habituels tropes carrolliens permettent alors de retrouver un Miyazaki plus libéré, allant référencer sans fard des éléments de ses précédents longs-métrages :
- un mix de l'imaginaire shinto du Voyage de Chihiro et du monde marin de Ponyo ;
- certains intérieurs et le jardin nocturne du Château 🏯 ambulant, jusqu'au personnage de Himi qui rappelle fortement Sophie dans son visuel aussi bien que dans son rôle calciférique ;
- le bestiaire, soit un mélange de noiraudes (Totoro / Chihiro) et de sylvains (Mononoke) pour créer les wara-wara, soit aux marques caractéristiques de Totoro sur les poitrines velues des oiseaux ;
- plus précisément, le roi perruche et sa tour comme un mélange du Roi et l'oiseau (référence éternelle de Miyazaki) et du tyran du Royaume des chats 🐈 ;
- ou encore, le personnage du héron cendré qui rappelle férocement le bonze Jiko-bo.
Paradoxal, Le garçon et le héron l'est jusque dans sa robe technique. Ainsi, le long-métrage s'ouvre sur une séquence d'incendie superbe dans son animation, avant de revenir à des décors plus statiques, quoi qu'inventifs et variés dans le monde alternatif, offrant toutefois certains tableaux sublimes. Ils trouvent directement une réponse dans l'accompagnement musical étonnamment modeste mais volontairement frugal, ne déviant jamais du trio piano / violons / chant.
Par tous ces éléments, cette proposition 2023 s'avère personnelle et complexe, inadaptée aux enfants par nature, et sans doute peu appréciable si l'on ne connaît pas sur le bout des doigts la filmographie de son réalisateur. Très voire presque trop dense, Le garçon et le héron n'a pas l'excuse de la production accidentée du Château ambulant pour manquer de structure. Paradoxalement peu écrit (mais on en a l'habitude avec Miyazaki depuis une vingtaine d'années), le film ne peut s'empêcher de dévoiler sur sa fin des accents Lynchiens et éminemment mélancoliques sur la transmission.
Le parallèle avec le Studio Ghibli se montre évident, Miyazaki se parlant à lui-même en tant que grand oncle sur l'impossibilité à trouver un successeur, Goro ayant prouvé à plusieurs reprises n'avoir aucunement les qualités requises pour succéder à ses différents senpai. Comme un écho à cette retraite que l'on ne voit jamais venir depuis plus d'un quart de siècle, Hayao semble prophétiser son 13ème long-métrage en mettant en scène ces pierres dont l'équilibre vacille (les Japonais n'ayant pas l'aversion occidentale pour ce chiffre, aucune interprétation n'y est à trouver de ce côté). En surcouche, un surprenant syncrétisme exacerbe le film : les mamies gouvernantes bienheureuses du manoir endossent le rôle des 7 divinités du bonheur (Kiriko en tant qu'Ebisu), puis une protagoniste n'hésite pas à lâcher vertement un "namu amida butsu".
On dit des Japonais qu'ils naissent shintoïstes et meurent bouddhistes. Au Japon, le héron est un oiseau de bonne augure qui incarne la paix et la longévité, mais également guide le voyage de l’âme après la mort. En ce sens, Miyazaki reconnaît et met ici en scène de manière émouvante son propre crépuscule. Puisse-t-il encore avoir l'équilibre de poser cette 13ème pierre comme il l'entend.