Le Vent se Lève : critique du dernier Miyazaki
Le Vent se Lève est l'un des derniers films d'animation japonais écrit et réalisé par Hayao Miyazaki et produit par le studio Ghibli. Sorti en 2013 au Japon, le long-métrage retrace la vie de Jiro Horikoshi, ingénieur en aviation, et son amour avec Nahoko. L'action tient place au début du XXe siècle, époque ponctuée d'évènements historiques forts comme le séisme du Kanto de 1923, la Seconde Guerre mondiale et les épidémies de maladies associées.
Il y a quelques jours, nous avons eu l'opportunité d'assister à une projection presse du Vent se Lève, le dernier film de Hayao Miyazaki, près de deux mois avant sa sortie en salles françaises. Évidemment, celui-ci porte une saveur toute particulière puisqu'il s'agit officiellement du onzième et dernier long-métrage d'animation du réalisateur japonais. Même si l'on a déjà pu entr'apercevoir son nouveau projet, un manga sur l'époque des samouraïs, Le Vent se Lève se doit d'être abordé comme le chant du cygne d'un maître incontesté du cinéma d'animation.
Le film déroule une narration elliptique de la vie de Jirô Horikoshi, ingénieur en aviation, de son enfance à la création du chasseur A6M Zero chez Mitsubishi pour son utilisation par l'armée japonaise dans le conflit mondial des années 1940. En parallèle, sa rencontre puis sa relation avec Nahoko ponctuent ce qui s'apparente à une biographie. On est donc loin des thématiques fantasques voire gaguesques avec lesquelles Miyazaki nous nourrit habituellement, Princesse Mononoke mis à part. Le Vent se Lève s'avère éminemment ancré dans le réel, mais n'en oublie pas non plus de jouer avec la frontière entre rêve et réalité.
C'est au spectateur de démêler les séquences actuelles de celles fantasmées. Ce flou orchestré par Miyazaki tout au long de sa filmographie semble atteindre son acmé avec Le Vent se Lève : ce qui est vécu dans un rêve n'est pas moins tangible que ce qui l'est dans la réalité. Sauf qu'ici, tout le volet animiste est laissé de côté pour se focaliser sur l'humain, définitivement au cœur du propos. Pour cela, la perception du film est rendue organique, des machines volantes parées d'ailes d'oiseaux aux bruitages à la bouche qui prennent alors tout leur sens dans cette narration ubiquitaire.
Si les déroulements fondamentaux du Vent se Lève sont sans doute moins fantaisistes qu'à l'accoutumée, ils conservent toutefois une place centrale à l'imaginaire sans oublier de disperser des clés de lecture ouvertes, de sorte à ce que le spectateur puisse lui-même définir ce qu'il classe comme rêve ou réalité, ce à quoi il choisit de donner du sens et participe de la construction des protagonistes. Paradoxalement, le récit semble ainsi moins imaginé car toujours perçu par un prisme, en l'occurrence celui de Jiro, Caproni n'étant qu'une seconde porte d'entrée. Cette limite de plus en plus ténue encourage une vision moins subissante de cette époque terrible abordée par quatre biais marquants de ce pan de l'histoire du Japon :
- la grande dépression des années 1920
- le gigantesque tremblement de terre du Kanto le 1er septembre 1923
- l'entrée en guerre du Japon dans la Seconde Guerre mondiale
- l'épidémie de tuberculose encore mal maîtrisée
Chant du cygne entre rêve et réalité
Plus organique voire plus charnel, Le Vent se Lève l'est également à travers toute sa construction dans le cadre d'une production fabuleuse, des décors à couper le souffle à l'animation saisissante qui illustre l'échappatoire offerte par les cieux. Plus étonnant encore est le casting principal du doublage, dont on sait pourtant que Miyazaki aime à bousculer les codes. C'est Hideaki Anno, rencontré autour de l'animation du robot géant de Nausicaä puis réalisateur notamment de la saga Evangelion, qui interprète Jiro de manière mono-expressive, collant étonnamment bien à son caractère. Le personnage de Castorp, représentation du collègue allemand Stephen Alpert doublé par lui-même dans un japonais balbutiant, participe également de cette volonté constante de renvoyer l'animation au concret.
Tous ces éléments mis bout à bout, Le Vent se Lève devient alors l'une des œuvres de Miyazaki les plus mélancoliques et symboliques d'une paix faite avec la perte d'espoir en l'humanité. Le poème de Paul Valéry dont son titre est tiré, et que les protagonistes citent dans le texte à plusieurs reprises, résume bien ce constat : "Il faut tenter de vivre", un slogan déjà inspiré avec Mononoké (Ikirô). Comme personnifié en Jiro, le réalisateur joue avec l'idée initiale et la structure du roman de Tatsuo Hori pour y adjoindre des éléments inventés. La fin du film, à ce titre, sonne comme un adieu sans regret. Jiro n'est qu'un pion parmi d'autres et il sait que le moteur de sa création lui échappera inexorablement ; hormis Nahoko et les avions ✈️, il ne portera jamais sur le reste du monde qu'un regard volontairement naïf et détaché du réel.
Nous ne savons pas si le public occidental se retrouvera dans Le Vent se Lève, très détaché de la structure superficielle de construction des précédents films de Hayao Miyazaki, et profondément ancré dans l'histoire japonaise, quoique forcément anglé. Les enfants, en tout cas, s'y ennuieront certainement ; servez-leur plutôt Porco Rosso. La virtuosité du film est pourtant, là encore, "aussi belle que le vent".
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Le Vent se Lève sortira dans les salles françaises le 22 janvier 2014. Une avant-première se tiendra le jeudi 5 décembre à 20:30 au forum des images à Paris, dans le cadre du festival Carrefour du cinéma d'animation.
Mise à jour du 21 mai : Le film sera disponible en DVD et Blu-Ray le 24 septembre 2014.
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Retrouvez un chapitre d'analyse complet sur Le vent se lève dans le livre L'œuvre de Hayao Miyazaki - Le maître de l'animation japonaise rédigé par Gael :