Lost in Translation
A propos du manifestement très en vogue Lost In Translation, tout le monde semble crier au génie, autant qu’il avait été d’ailleurs constaté pour un Virgin Suicides aussi beau qu'ennuyeux. C’est dire s’il s’agit d’un film superbe ! Concernant ce premier, je ne suis pas forcément d'accord avec tout ce qui a pu être dit ou écrit.
Oui, c'est un film magnifique, qui absorbe sincèrement la vie Tokyoïte par épisodes. Oui, les acteurs (Scarlett Johansson en tête) interprètent chacun leur rôle avec force sincérité, et l'idée de la recherche du moi dans un environnement aussi inhabituel tient parfaitement la route. Oui, la mise en scène, le rythme et les couleurs font preuve d'une impressionnante maîtrise des outils à disposition. Et surtout, oui, Lost In Translation dépeint à merveille l'ambiance et les petits détails de la vie à la japonaise, a fortiori celle de Tokyo. C'est absolument frappant, voire très chargé émotionnellement pour qui a eu la chance de vivre dans la capitale. L’amour pour cette mégalopole, qui s’est révélé chez Sofia Coppola, déborde de l'écran et je trouve qu'elle a su avec brio en tirer une essence distillable en cette heure et demie.
L'ambiance des rues, des gares, les jeunes hommes qui maîtrisent les jeux dans les salles d'arcade pendant que leur compagne les regarde, les petites mimiques à la Japonaise et tout un tas d'autres clins d'œil très doux rythment le long métrage, en particulier au cours de sa première moitié, d'une sublime manière.
Toutefois, et c'est là que j'entre en désaccord avec beaucoup de ce qui a été dit, en dehors de ces instants captés par Sofia Coppola qui d'ailleurs ne trouveront écho qu'à ceux s'intéressant au Japon et a fortiori ceux y ayant vécu, Lost In Translation n'est sûrement pas selon moi un hymne au Japon. Très loin de là.
J'ai abhorré cette idée sous-jacente selon laquelle tout individu non bridé de l'archipel serait par défaut un Américain. J'ai fulminé en constatant que l'un comme l'autre des protagonistes en arrivent, sans montrer aucune bonne volonté, à s'ennuyer dans une ville comme Tokyo, et c'est pour moi un non-sens terrible. J'ai hurlé au scandale en découvrant que le film n'hésite pas à porter tout le long la sublimement complexe langue Japonaise au rang de charabia : ce n'est pas de l'Américain ou de l'Anglais, c'est donc non pas une autre langue, mais un langage incompréhensible. Et la liste de maladresses grossières est très longue...
Il n'y a pas, derrière une technique de qualité et une base scénaristique intéressante, uniquement matière à critiquer. Mais j'ai trouvé que Lost In Translation s'était malheureusement fourvoyé, derrière des comportements savamment perçus et retranscrits, dans un méli-mélo de saynettes au mieux très maladroitement expliquées, au pire à la limite du xénophobe.
En ce sens, c'est à mon goût une très mauvaise idée de l'avoir exporté dans les salles japonaises, compte tenu de la portée très "grand public occidental" qui constitue le squelette de Lost In Translation.
Un nouveau regard sur le film
Note du 9 avril 2008 : il y a 4 ans, j’écrivais une critique assez incisive de Lost in Translation. Je vous propose aujourd’hui un deuxième avis sur ce film si particulier.
Sofia Coppola aime le Japon et Tokyo. C’est une évidence qui transparaît dès les premières minutes de son Lost in Translation. Mais la vision qu’ont ses deux protagonistes est biaisée, faussée, tronquée. Bob et Charlotte se cherchaient déjà avant de débarquer à Tokyo. Lui est un acteur quinqua sur le retour, obligé de se « prostituer » dans une pub à l’autre bout du monde. Elle, fraîchement diplômée, ne sait pas à quoi ça va lui servir et suit son jeune mari avec toujours plus d’ennui.
Tous deux ont ce point commun d’être lâchés dans un pays qu’ils ne connaissent pas, qu'ils n'ont pas envie de connaître et pour lequel ils n’ont pas envie de faire d’effort. Sous la couche de vernis bien polie par le Park Hyatt de Shinjuku se cachent des merveilles dont ils n’ont que faire. Car, dès le départ et quel que fût le pays, il n’y a pas la volonté de comprendre quoi que ce soit ou même de chercher à s'intéresser au pays, à la culture, à la langue.
Cette lecture du film n’est pas forcément évidente au premier visionnage. Il faut déjà voir au-delà de deux acteurs phares : Scarlett Johansson totalement ensorcelante malgré une plastique peu travaillée, et Bill Murray excellent dans son rôle d’acteur sur le retour, maugréant à la moindre contrariété. Les interprétations sont excellentes, mais c’est l’utilisation qui en est faite qu’il faut exploiter. Le tournage et le montage sont faits avec cynisme, recul et poésie. La portée du message dépendra non seulement de votre sensibilité, mais aussi de votre ouverture et de votre intérêt ou non au Japon. En quelque sorte, le spectateur est Bob ou Charlotte, il se regarde et juge son inadaptation à un univers loin de ses habitudes quotidiennes.
Mais le Japon n’est finalement pas un vrai personnage dans Lost in Translation. Il n’est qu’une toile de fond, un terrain de jeu pour l’idylle naissante entre les personnages de Bill Murray et Scarlett Johansson. Ses décors, présentés comme toujours comme un idéal « entre tradition et modernité », ne sont qu’un simulâcre. Il s’agit surtout de dénoncer à travers Tokyo et Kyoto la perte de communication entre les hommes, qu’ils soient de culture radicalement opposée ou extrêmement proche. Le Japon de Lost in Translation sert de théâtre grandeur nature, de temple voué à la dénonciation des décalages : horaire, culturel, linguistique, générationnel.
Tout n’est qu’anecdote, futilité, inintérêt. Tokyo et le Japon sont la scène, pour l’espace de quelques jours, d’une profonde dépression et d’un amour naissant a priori impossible. Lost in Translation est finalement ce « film nuage » qu’on veut bien y trouver. Si tant est que, contrairement aux deux protagonistes, on consente à faire un petit effort…