mes-voisins-yamada

Mes Voisins les Yamada (analyse)

Hohokekyo Tonari no Yamada-kun (Isao Takahata - 1999)

⏱ 7 minutes

L’adaptation d’une bande-dessinée

Avec Mes Voisins les Yamada, Isao Takahata a la lourde tâche de succéder au formidable succès critique et public de Princesse Mononoke, de Hayao Miyazaki. Cinq ans après Pompoko, « le réalisateur qui ne dessine pas » cherche à explorer de nouvelles pistes cinématographiques. Mes Voisins les Yamada est le résultat de cette recherche, qui prend la forme d’un OVNI d’animation parfois mal compris par les spectateurs.

Le film est l’adaptation d’une bande dessinée du dessinateur Hisaichi Ishii, publiée dans le journal quotidien Asahi Shinbun. Sa particularité est qu’il s’agit d’une BD en quatre cases (appelée « yonkoma »), à l’image de Peanuts ou Calvin & Hobbes. On suit la vie quotidienne d’une famille japonaise classique : Takashi le père, Matsuko la mère, Noboru l’adolescent, Nonoko la fille, Shige la mère de Matsuko, et Pochi le chien. Le ton général est parfois cynique mais très généreux, et derrière ses notes humoristiques se cache une analyse souvent fine de la cellule familiale japonaise moderne.

Mes Voisins les Yamada se traduit en un film d’une heure quarante, non sous une seule histoire commune mais constitué de plusieurs arcs narratifs, eux-mêmes découpés en petits sketches tirés de la bande-dessinée originale. Au titre original « Tonari no Yamada-kun » (« Mes Voisins les Yamada »), le film ajoute le préfixe « Hôhokekyo » du cri du rouge-gorge que l’on retrouve dans le générique du début. De plus le suffixe « kun », là où l’on attendrait plutôt un « san », montrent une proximité éloignée du formalisme. Ces deux notes indiquent ainsi dès le départ que la tonalité du film est très relaxée.

Depuis la sortie du film, la bande dessinée d’Ishii a été renommée depuis Nono-chan, en rapport avec le nom de la fille de la famille.

Une réalisation infographique inédite

Le Studio Ghibli avait déjà fait des essais d’animation assistée par ordinateur sur ses deux derniers longs métrages : Si tu Tends l’Oreille et Princesse Mononoke. Avec Mes Voisins les Yamada, Takahata souhaitait réaliser une adaptation au style très crayonné et coloré à l’aquarelle. Ces techniques auraient nécessité un travail beaucoup trop long et compliqué avec des celluloïdes classiques, pour un résultat probablement moins précis, il fut donc décidé de réaliser le film intégralement en infographie.

Les technologies numériques furent même poussées jusqu’à réaliser deux séquences en 3D : la glissade en bobsleigh sur le gâteau de mariage au début du film, ainsi que le survol de la ville à la fin. Ces deux passages conservent un style extrêmement proche du reste du long-métrage, leur technique de réalisation est donc généralement transparente pour un œil non averti, preuve de la qualité du travail des artistes.

La quasi intégralité du film reprend la base du style graphique dans le manga : un trait « SD » (pour « Super Deformed ») des personnages, où les proportions du corps ne sont pas respectées, puisque la tête est plus grosse et les membres plus courts. Ce traitement, qui permet un habillage moins sérieux des situations, est renversé dans l’une des dernières séquences du film, beaucoup plus sérieuse, où Takashi fait face à des « bosozoku », une bande de motards agressifs. Proportions plus réalistes et crayonné de remplissage plus dur accompagnent le propos, jusqu’au désamorçage farfelu de Matsuko et sa mère, qui correspond au retour du SD caricatural.

Un échec commercial

Pour pouvoir mettre en œuvre ces techniques d’animation nouvelles, le Studio Ghibli dut s’équiper en ordinateurs dédiés, transformant une partie des locaux en de véritables salles informatiques. La production compta avec ces dépenses qui, couplées à des retards sur le planning, alourdirent considérablement le budget. Mes Voisins les Yamada coûta finalement 2,36 milliards de Yens 💴.

La sortie du film fut un véritable échec commercial, dû à un enchaînement de mauvaises circonstances :

  • l’intermédiaire historique Tokuma s’était fâché avec le distributeur habituel Tôhô et dut se rabattre sur Shôchiku à la puissance de frappe bien moindre en nombre de salles ;
  • sa sortie au cinéma pendant l’été 1999 l’a vu se confronter à une concurrence bien plus solide : Star Wars La Menace Fantôme et le premier film Pokémon ;
  • l’accueil du film à l’international fut extrêmement frileux en termes d’entrées (il ne fut d’ailleurs jamais projeté publiquement aux États-Unis), à cause de sa difficulté d’appréhension pour un non-japanophile.

Au final, Mes Voisins les Yamada rapporta seulement 1,56 milliards de Yens au box-office. Après ce film, Takahata arrêta la réalisation de longs-métrages pendant près de quinze ans, avec pour seule exception son intervention dans le film d’animation choral Jours d’Hiver en 2003 : la visite d’un poème de Bashô, grand maître Haïku du XVIIe siècle. Cette longue absence des grands écrans prendra fin avec Taketori MonogatariLa légende du coupeur de bambous »), adaptation du célèbre conte du Xe siècle Kaguya Hime no MonogatariLa légende de la princesse Kaguya »), prévu pour l’été 2013.

De plus, même s’il est difficile de l’attribuer fermement à Mes Voisins les Yamada, cette période marque également une dégradation de la relation entre les deux réalisateurs vedettes du Studio Ghibli, Takahata et Miyazaki.

La famille japonaise croquée

Fidèle au traitement réaliste qu’il affectionne, Isao Takahata dresse un portrait réaliste, mais non moins caustique, de la relation communautaire au sein d’une famille japonaise classique. Les spectateurs japonais peuvent s’identifier aux protagonistes qui présentent une facette souvent gentiment caricaturale, tantôt mélancolique puis humoristique. Cette dernière touche est notamment renforcée par le dialecte que parlent Matsuko et sa mère : le Kansai-ben, une sorte de patois local de la région d’Osaka, traditionnellement employé dans la culture populaire japonaise pour forcer les traits d’humour.

Mes Voisins les Yamada joue sur les traditions de la société japonaise, ses rites et ses codes imposés auxquels doivent se plier, chacun à leur niveau, les membres de la famille, comme tous les individus du groupe sociétal au Japon.

Takashi est un salary-man, employé de bureau parmi tant d’autres, happé par sa vie d’entreprise, au service de ses partenaires de travail et de sa hiérarchie, rentrant régulièrement ivre des nomikai (les soirées d’entreprise obligatoires). Matsuko peine à assumer avec sérieux sa place de mère au foyer modèle : fainéante, elle use de stratagèmes pour éviter de préparer les repas, s’occuper du linge ou tenir la maison. Shige, la grand-mère qui vit sous leur toit, libérée de nombreuses obligations sociales, semble se laisser aller à une relative « cruauté » malicieuse dans ses propos. Les cas des enfants Noboru et Nonoko sont moins abscons pour un regard occidental.

Des références à la culture traditionnelle

Pour sa transcription en film d’animation, Mes Voisins les Yamada se découpe en plusieurs courts-métrages elliptiques, entrecoupés de Haïku. Ces poèmes courts viennent rythmer les narrations à plusieurs reprises, offrant une ouverture philosophique décalée sur les relations interpersonnelles et le temps qui passe.

Le scénario fait également référence à plusieurs clés historiques de la culture japonaise. Il y a d’abord les contes Momotarô et Kaguya-Hime (Taketori Monogatari) pour évoquer les naissances respectives de Noboru et Nonoko, selon lesquels le garçon naît dans une pêche et la fillette dans un bambou. Lors du périple de la vie conjugale, on voit également Takashi et Matsuko au creux de la Vague des 36 vues du Mont Fuji 🗻 du peintre Hokusai, ou encore dans une estampe en noir et blanc de style Nanshûga / Bunjinga.

Bien entendu, ces références ont une résonance pour les Japonais, mais ne trouvent que très peu d'écho auprès du spectateur occidental.

Mis à jour le 06 février 2020