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Pompoko (analyse)

Heisei Tanuki Gassen Ponpoko (Isao Takahata - 1994)

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Pompoko est un film d’animation japonais réalisé par Isao Takahata du Studio Ghibli. Sorti en 1994 au Japon, il reçoit le prix de la critique au Festival d’Annecy en 1995. L’animé dresse le portrait des tanuki, chiens viverrins et animaux sacrés des contes folkloriques au Japon, qui se retrouvent confrontés aux humains pour défendre leur territoire naturel menacé par les constructions urbaines.

Précisions sur le titre et la sortie du film

Après Omohide Poro Poro, Isao Takahata souhaitait situer son nouveau film d’animation dans le Japon féodal, plus précisément autour de l’épopée Heike Monogatari. Celle-ci raconte la lutte de deux clans de samouraïs, Minamoto et Taira, pour le contrôle du Japon au XIIe siècle (on y retrouvera finalement une séquence référence dans Pompoko). Seulement, Hayao Miyazaki imaginait déjà son Princesse Mononoke et, de peur d’avoir deux films trop proches, Takahata choisit d’imaginer une histoire originale totalement différente centrée autour de tanukis.

Le titre original, Heisei Tanuki Gassen Ponpoko, signifie « Pompoko – la grande guerre des tanukis de l’ère Heisei ». Heisei, qui signifie « accomplissement de la paix », est l’époque où se trouve actuellement le Japon ; en plus du décompte classique, les Japonais comptent également les années en fonction de leurs empereurs. L’ère Heisei a débuté en 1989, avec l’avènement du règne de l’Empereur Akihito. Pour information, 2012 est donc également l’année 24 de Heisei. Dans le film, les tanukis possèdent eux aussi leur propre calendrier. Grâce aux informations données dans le film sur Tama, j’estime l’année de début du déroulement de l’action à 1971, soit l’année 46 de l’ère Showa, qui correspond à l’année 31 de Pompoko, selon le narrateur.

Quant à « Pompoko », il s’agit d’une onomatopée toute japonaise qui veut, selon la chanson enfantine Shojoji no Tanuki Bayashi, que cela soit le bruit que font les tanukis en tapant sur leur ventre comme sur un tambour. Dans le refrain, la chanson dit « Pom Poko Pom no Pom ! » lorsque les tanukis chantent sous la lune.

Pompoko aura eu la production la plus longue du Studio Ghibli jusqu'alors (vingt mois), mais sa sortie sur les écrans japonais en juillet 1994 le couronne de succès. Avec 3,25 millions de spectateurs, il devient le Ghibli le plus vu au cinéma et remporte la première place du box-office japonais de l’année (2,63 milliards de Yens 💴), battant un adversaire de poids : Le Roi Lion.

Tanuki : plus que des ratons-laveurs

Les protagonistes du film sont des tanukis, un animal méconnu en occident, surtout présent au Japon, en Corée et en Chine orientale. Si d’autres langues séparent l’animal réel de son pendant mythologique (en français, on l’appelle chien viverrin, et en anglais raccoon dog, soit « chien raton-laveur »), la langue japonaise utilise le mot tanuki aussi bien pour désigner l’animal que le yôkai, l’esprit magique de la forêt. En effet, celui-ci est présent dans de nombreux mythes et légendes, dans lesquels il est représenté debout avec un chapeau en paille de riz et une gourde de saké 🍶, le ventre rebondi avec des testicules démesurés.

Selon la mythologie japonaise, le tanuki est un personnage bonhomme dont les testicules sont souvent synonymes de bonne fortune. Ceux-ci sont supposés pouvoir s’étirer jusqu’à une superficie de huit tatamis, soit près de 13 m² ! Au Japon, il n’est pas rare de croiser des représentations de tanukis, par exemple devant des temples ou des sanctuaires, et de toucher ses testicules ; ce geste n’a alors pas de connotation sexuelle.

Mais on lui prête également des pouvoirs magiques, parmi lesquels celui de se métamorphoser à volonté. Dans les contes japonais, les tanukis posent une feuille sur leur tête et chantent pour se transformer (Oroku, l’une des responsables du clan, explique dans le film que c’est une technique de débutant). Les légendes disent aussi qu’ils peuvent transformer des feuilles en billets de banque. Certains d’entre eux sont puissants et célèbres et on les vénère comme une des nombreuses figures religieuses japonaises.

Dans la culture populaire, on les retrouve dans Super Mario Bros. 3, sorti sur NES en 1988 au Japon. Lorsque Mario récupère une feuille, il obtient des oreilles et une queue de tanuki qui lui permettent de voler quelques instants. Il lui est également possible de se transformer momentanément en statue jizô, ce qui le rend alors invincible. Dans le remake Super Mario Advance 4 sur Game Boy Advance (2003), Luigi peut lui aussi se transformer, mais en kitsune. Dans la plus récente version Super Mario 3D Land sur 3DS (2011), Mario renfile le costume complet du tanuki.

Représentation des tanukis dans Pompoko

Dans le film, les tanukis peuvent se montrer sous trois représentations différentes :

  • une version réaliste de l’animal, presque scientifique dans son rendu, ses mouvements et ses cris, lorsqu’ils sont à proximité d’humains ;
  • un aspect anthropomorphe et humanisé, dans lequel ils se tiennent debout, parlent japonais et peuvent porter des vêtements. C’est leur état naturel selon le film, qui permet au spectateur de s’y identifier et d’éprouver de l’empathie ;
  • un rendu plus dessiné, hommage au crayonné simple de Shigeru Sugiura (1908-2000) et de son manga L’étrange étoile - 808 Tanukis. Cette version est utilisée quand les tanukis sont extatiques, exténués ou ivres.

Isao Takahata a fait de ces animaux une tribu extrêmement sympathique, espiègle et pleine de petits défauts adorables. Leurs caractères bien trempés sont marqués mais cela n’empêche pas, par exemple, Shôkichi et Gunta de s’entendre, alors que le premier est sérieux et droit, et le second fougueux et impulsif. Toutefois, il est difficile pour beaucoup de tanukis de se concentrer et s’accorder, du coup les décisions communes sont branlantes et ne tiennent pas longtemps.

Avant la mise en route des chantiers sur leurs forêts, les tanukis vivaient paisiblement au rythme des saisons. Beaucoup avaient oublié leur histoire et la plupart n’exploitaient pas leur capacité de transformation. Pourtant certains d’entre eux, en particulier les trois anciens de Shikoku qui les rejoignent, sont des maîtres qui vivent dans des temples et sont vénérés par les humains.

Kitsune et yôkai, les esprits magiques et autres références

En-dehors des tanukis qui sont l’espèce principale de Pompoko, on trouve des références à de nombreux autres yôkai, des esprits magiques dans la culture japonaise.

Il y a d’abord les kitsune, des renards 🦊 considérés comme les messagers de la déesse Inari dans la religion shintoïste. Ils possédent les mêmes pouvoirs de transformation que les tanukis, mais sont généralement vus comme plus malicieux. Ryûtarô, que l’on découvre tardivement dans le film, est celui qui convaincra Kinchô, le sixième sage de Shikoku, de vivre parmi les humains : c’est la seule solution qu’il ait trouvé pour s’en sortir en tant que kitsune devant l’expansion des hommes.

La grande parade est l’occasion également de voir une quantité impressionnante de yôkai créés par les illusions des tanukis. Tous les citer serait une gageure, mais beaucoup de ces esprits sont tirés de légendes et contes japonais, d’estampes Ukiyoe, du théâtre Kabuki, ainsi que de l’œuvre du mangaka Shigeru Mizuki à qui l’on doit beaucoup de ces « monstres » aujourd’hui connus de tous les Japonais.

Parmi les yôkai les plus célèbres vus dans Pompoko, on peut citer :

  • Nopperabô, les sans-visage d’une vieille histoire de fantômes très connue ;
  • Bakezôri, une sandale de paille avec une œil, une langue et quatre membres ;
  • Umibôzu, de gigantesques fantômes de marins naufrageurs ;
  • les jumeaux infernaux, qui viennent de Futago no Hoshi (« les étoiles jumelles »), un histoire pour enfants de l’auteur Kenji Miyazawa (1896-1933), à qui l’on doit aussi Goshu le Violoncelliste, également adapté par Takahata.

Beaucoup des chansons du film sont des comptines pour enfants, dont certaines paroles ont été modifiées. On compte aussi des Warabe-uta, des chansons utilisées dans des jeux pour enfants.

À noter que lors du défilé de monstres (appelé yôkai parade), on aperçoit plusieurs personnages bien connus de l’univers Ghibli, dessinés en clin d’œil : Kiki, Porco Rosso, Totoro et Taeko.

Enfin, l’une des références les plus fortes est celle faite à Heike Monogatari, dont nous parlions plus tôt. Isao Takahata a recréé l’histoire de Nasu no Yoichi, que présente le tanuki de Yashima qui a vécu lui-même la scène car il a 999 ans ! Cette épopée a eu lieu au XIIe siècle, pendant la bataille des clans Genji et Heike. A leur défaite, ces-derniers fuirent l’île de Yashima sur des embarcations. L’une des femmes attacha son éventail à une poutre et défia les samouraïs Genji de l’atteindre. Vue la distance et la cible en mouvement, ils hésitèrent. Mais un jeune samouraï, Nasu no Yoichi, brandit son arc pour l’honneur et la fierté du clan, et parvint à décrocher l’éventail. Il fut félicité pour sa maîtrise par les deux clans.

Une fable écologique

L’action de Pompoko se déroule dans la région de Tama, à l’ouest de Tokyo. Avec la forte croissance économique dans les années 1960, Tama Kyuryô (les collines) devint Tama New Town (la nouvelle ville), un projet de développement urbain regroupant les villes de Tama, Machida, Inagi et Hachiôji. Aujourd’hui, ces villes sont intégrées au grand Tokyo. Tama, à vingt kilomètres ou une demi-heure de train 🚅 de Shinjuku, est aujourd’hui connue principalement pour son parc d’attraction Sanrio Puroland dédié notamment à Hello Kitty. À noter qu’un autre film d’animation du Studio Ghibli, Si tu Tends l’Oreille, se déroule également à Tama. Le nom Tama signifie littéralement « nombreux frottements », mais il peut aussi faire référence aux boules en tous genres, ainsi qu’aux testicules.

Ce gigantesque complexe résidentiel de 2.892 hectares est imaginé en 1965, pour une capacité d’accueil de 342.000 habitants. À ce jour, il s’agit encore du plus vaste programme de développement de logements réalisé au Japon. La mise en chantier débute en 1971 et s’est étalée sur plusieurs décennies, en différentes phases. Tama New Town est finalement divisée en vingt-et-un arrondissements, comprenant chacun trois à cinq mille logements, trois écoles, une poste 📮, de nombreux commerces, restaurants et un kôban (commissariat de quartier). Pour la construction, des forêts, montagnes et fermes sont rasées. C’est donc tout un écosystème qui est chamboulé, au sein duquel les tanukis ne se retrouvent plus.

Pompoko dévoile rapidement que le combat des tanukis contre les humains est vain. Ils vont de victoires en déceptions, leur moral fait le yo-yo et ils se prennent des coups durs répétés, jusqu’à en arriver à des solutions irréparables telles que les attentats suicide. Le film propose une autre vision de la dualité des milieux urbain et rural, que celle montrée également par Takahata dans Omohide Poro Poro. Ici, le point de vue montré est celui d’une population minoritaire en nombre comme en force, les tanukis étant plus insouciants, moins organisés et avec beaucoup moins de moyens que les humains. Ceux-ci ont oublié une partie de leurs racines (la campagne), de leurs traditions (le folklore) pour se concentrer sur une vie productive qui crée routine, aliénation et stress.

Le film se termine sur une note délicatement nostalgique, où les derniers survivants parmi les tanukis non-transformistes, dansent et chantent dans un parc construit par la municipalité de Tama.

Mis à jour le 06 février 2020