Nintendo Revolution : contrôleur de jeu
Très franchement, je n'y croyais pas, en cette matinée du 16 septembre 2005, lorsque j'ai constaté que Nintendô avait bel et bien présenté le pad de la Revolution. Avec tout le buzz survenu sur le net ces jours au sujet d'une annonce lors de la Keynote d'Iwata, je m'attendais déjà à être déçu. Car avec Nintendô, il semble que plus on attend quelque chose, moins cela se produit (hum, hum… genre Super Mario 128 que l'on attend à chaque E3). Pourtant, la manette est bien là et la Revolution n'est donc plus un mystère.
Première image, première réaction : "c'est quoi cette m…". Honnêtement, comme crier au génie lorsque l'on voit une sorte de télécommande blanche, stylée comme un iPod, avec un nombre incroyablement faible de boutons. Comment faire avaler aux fans de Nintendô, comme à l'ensemble de la population, que l'on va découvrir une nouvelle façon de jouer, et surtout une façon encore meilleure que celle à laquelle nous sommes habitués, avec ce bout de plastoc blanc. Intrigué que je suis, je me lance donc dans l'étude approfondie des photos de la vidéo et surtout, des différents avis et explications trouvables à travers le net. Et là, le constat change du tout au tout. Nintendô est bien devenu fou, mais ne serait-il pas entrain de réaliser le plus gros coup de son histoire avec ce pari osé ?
Car mine de rien, avec cet accessoire simple, les ambitions de Nintendô sont plutôt folles. Tout d'abord, ils comptent bien conserver leur public, élevé au Mario depuis leur plus jeune âge, en général très exigeant. Ensuite, il y a les publics traditionnellement ignorés par le jeu vidéo 🎮. Adultes, personnes âgées, ou un public tout simplement pas intéressé car souvent rebuté par la complexité des pads ou des jeux. Enfin, il y a le public de la PlayStation et de la Xbox, qui pourrait lui aussi être tenté par découvrir autre chose. Il faut donc proposer une expérience de jeu simple, intuitive, accessible, novatrice tout en étant satisfaisante et en challenge et en durée pour les habitués. Bref, des exigences lourdes pour un si frêle morceau de plastique.
Mais impossible n'est pas Nintendô. Après nous avoir offert la majeure partie des évolutions en matière de manette de jeu (croix directionnelle, triggers, stick analogique, vibrations, etc.), Nintendô va encore plus loin dans le changement, en nous proposant un objet capable de ressentir le mouvement. Sous une apparence anodine, une télécommande, objet le plus accessible au monde qu'il soit, le pad renferme une technologie inédite dans le jeu, pour ne pas dire révolutionnaire. En disposant deux capteurs sous son téléviseur, cette manette permet donc de reproduire à l'écran des actions liées aux mouvements que vous ferez avec votre bras. Et cela ne se limite pas à de piètres mouvements imprécis sur un seul plan façon Eye Toy. Non, ici, on nous parle de mouvements horizontaux, verticaux, en avant, en arrière, rotations, pivotements, bref, comme bon vous le semble. Après les jeux 3D, on nous propose ici la manette 3D.
Sachant pertinemment que le nombre de boutons ne sera pas suffisant pour l'ensemble des jeux, Nintendô propose également une solution intéressante. La télécommande est équipée d'un port d'extension permettant ainsi l'ajout d'add-on. Les possibilités sont donc illimitées, même si on imagine bien que pour des raisons de coûts, il n'y aura qu'une poignée de compléments qui sera mise sur le marché et vraiment utilisée. Première extension présentée : le stick analogique. Complément idéal de la télécommande, il ajoute deux boutons et une possibilité de contrôle supplémentaire.
Armé de ces accessoires, dur de ne pas faire vagabonder son esprit et imaginer toutes les possibilités de jeu. La vidéo de Nintendô nous montre déjà plusieurs exemples : raquettes de tennis virtuelles, épée, pistolet, canne à pêche, couteau de cuisine, fraise de dentiste, lampe de poche, bref, des applications plutôt inédites pour un seul et même appareil. Mais on peut aller plus loin. Imaginez un jeu du style de Shenmue où l'on pourrait, par simple pression sur un bouton, passer en vue subjective et diriger ensuite avec le contrôleur la main du héros pour saisir des objets, fouiller des armoires, attaquer, bref, faire avec son bras ce que le héros du jeu ferait avec le sien. Un pas de géant dans l'immersion dans le jeu. Et même si la crainte de voir des genres de jeux exclus par cette configuration peu conventionnelle, je suis sûr qu'en faisant table rase de l'existant, et en réfléchissant bien sur de nouvelles manières de vivre le jeu, nous aurons droit à des expériences, nouvelles, uniques et inégalables avec un pad traditionnel. Il faudra cependant que les développeurs tiers, et pas seulement Nintendô, fassent ce travail de changement. Car ce sont ici les bases fondamentales de la manière de jouer qui sont touchées. Mais ils semblent en tout cas bien enthousiastes par ce que propose Nintendô. À voir encore donc leur soutien futur. Sûr, la mode du jeu copié sur plusieurs supports ne pourra malheureusement que difficilement être compatible avec la Revolution. Mais si la machine risque d'être privée de bon nombre de jeux, il faut reconnaître que les jeux multi-supports sur Gamecube ont souvent été contre-performants (exception faite d'un certain SoulCalibur II, certes). Et puis je ne pense pas qu'il faille compter sur ce genre de jeu pour obtenir les sensations nouvelles que je recherche avec la Revolution. Espérons juste que Nintendô ne sera pas trop seul sur sa console.
À voir aussi l'épuisement du bras au fil des parties. Le jeu vidéo était plutôt un divertissement de repos, avachi sur un canapé. Là, le joueur deviendrait plus actif. Pour plus d'immersion, certes, mais sera-t-il possible d'enchaîner des parties des heures durant en gigotant dans tous les sens ? Un autre point à surveiller sera la manière dont sera fournie la Revolution. Aura-t-on directement droit au combiné contrôleur "nunchaku" ou seulement la partie gyroscopique avec la machine ? Comment ces contrôleurs supplémentaires seront vendus ? Quels accessoires seront aussi disponibles, à quel prix ? Bref, des détails sur lesquels je l'espère Nintendô ne nous fera pas trop le coup de la console en kit avec extensions à prix fort.
Mais pour l'instant, le 16 septembre 2005 est à marquer d'une pierre dans l'histoire du jeu vidéo. Le jour à partir du quel tout pourrait changer, où un pas de géant pourrait bien être fait dans l'immersion, où l'on pourrait enfin trouver des sensations inédites à jouer. Ne reste qu'à attendre de voir les jeux et espérer qu'ils tireront bien profit de cette innovation. Mais avec cette nouvelle voie, Nintendô pourrait bien aussi parvenir à toucher ce large public évoqué plus haut. Les fans de la marque semblent, exception faite de quelques irréductibles insatisfaits blasés, conquis ; les personnes étrangères au jeu vidéo peuvent voir là un nouveau genre de divertissement captivant, et enfin, pour la clientèle Xbox 360 et PS3, jamais une console n'aura été aussi complémentaire à la leur. Dès lors, Nintendô pourrait frapper un très grand coup, bien plus grand que s'ils s'étaient enlisés à lutter, sans réelle chance de gagner, sur le même terrain que Microsoft et Sony. En tout cas, en ce qui me concerne, je n'en peux plus d'attendre 2006 !
Une remocon enthousiasmante
L'avis de Gael
J’ai du mal à ne pas partager l’enthousiasme de Julien. Après avoir visionné encore et encore cette incroyable vidéo, je n’arrive pas à m’en remettre. Nintendô se paye le luxe d’abasourdir des millions de spectateurs sur une simple bande-annonce ne dévoilant même pas une seule image de jeu ! Volontaire ou pas, c’est un pied de nez gonflé à la vidéo de Killzone 2 qui avait tant défrayé la chronique en mai dernier, concernant son éventuel temps réel. Rarement une vidéo ne m’aura autant impressionné, et donné un espoir aussi gigantesque concernant l’avenir du jeu vidéo.
Le premier réflexe que je vais devoir réfréner, c’est l’utilisation des termes « manette », « paddle » et de leurs proches du champ lexical. Ce qui nous permettra de jouer aux jeux Nintendô Revolution est plutôt un « dispositif de jeu » ou, plus simplement, un « contrôleur » comme le lexique anglais nous l’explique depuis tant d’années. Les Japonais de Nintendô, eux, nous enseignent « game remo(te) con(troller) ». Soit. J’éviterai le terme de « télécommande », réduit linguistiquement à l’état de zappette avec la surreprésentation de la télévision. Le dispositif de Nintendô pour sa prochaine machine est un contrôleur à fonctionnement gyroscopique en 3D, auquel pourront se greffer tout un tas d’extensions pour multiplier les expériences de jeu (cf. photo ci-dessous qui présente les premières idées de fans).
Nintendô s’est donc engouffré tête baissée dans la brèche ouverte avec succès par sa DS. Si Elektroplankton ou Pac Pix n’ont pas reçu le succès escompté, Nintendogs et les Atama Juku connaissent des résultats impressionnants qui, déjà, font des émules. Sur la base de l’expérience DS, Nintendô s’éloigne donc encore une fois de l’éternelle disposition « mouvement en main gauche / action en main droite » pour offrir aux joueurs des sensations totalement inédites. Et tout cela s’avère très excitant : le concept, ravageur sur le papier, alléchant en vidéo, ne demande qu’à être tiré par le haut par les développeurs software !
Au cours de la présentation privée, EAD a rendu Metroid Prime 2 GameCube compatible avec le combiné visible sur la photo ci-dessous. Raggal de Gamekult en dira : « Ca répond bien. C'est instinctif ! Ca fait bizarre au tout début, mais c'est très vite très précis, très rapide, très réactif. Tout ce que l'on demande à un FPS et que l'on n'avait jamais eu jusqu'alors sur consoles. J'ai du mal à imaginer quiconque vouloir jouer au pad classique à un jeu FPS ou TPS à la Resident Evil 4 après avoir tâté de ce couple magique ». Difficile d’être plus clair, d’autant que Nintendô se fait un plaisir d’inaugurer de tels concepts et de renvoyer la concurrence à son classicisme.
Si le contrôleur peut se tourner à l’horizontale pour être tenu comme une manette Famicom, apprécier à leur juste valeur les titres d’antan qui seront jouables sur Revolution et ainsi revenir parallèlement aux sources du jeu vidéo, l’on imagine déjà les possibilités offertes sur l’avenir par un appareil aussi ouvert dans son hardware. Restent quelques points plus flous que l’objectivité nous rappelle, et en particulier les lourdes craintes concernant le multi-plateformes. Le problème serait contourné pour certains par le branchement de manettes GC à la Revo. J’imagine même une nouvelle Wavebird vibrante disponible à un prix réduit à la sortie de la machine pour faire taire les éternels insatisfaits.
Cependant, l’utilisation aussi isolée du concept a son autre revers de médaille : le développement de titres exclusifs, qui ne pose pas de problème au constructeur qui est aussi développeur, risque de refroidir certains éditeurs. Si, d’après les interviews, les grands développeurs du marché semblent excités par le produit, il faudra encore convaincre les financiers d’investir dans des jeux qui sortiront sur une seule machine, à l’heure où le « tout-multi » assure des revenus planchers pour un coût de portage minimum, et surtout des positions confortables aux grands éditeurs. Mais d’après son PDG IWATA, Nintendô veut « étendre le public joueur [en concevant] une manette avec laquelle n'importe quel membre de la famille peut se sentir familier ».
Si le pari est tenu, Nintendô a de quoi révolutionner le monde du jeu vidéo sclérosé par un immobilisme latent de ces dernières années (la DS mise de côté). Pour l’heure, Nintendô se paye l’ironie de la part du lion d’un Tôkyô Game Show qu’il continue à bouder. Comble du comble, l’entreprise réussit ce tour de force en ne présentant qu’un contrôleur de jeu, vers lequel tous les regards du monde sont tournés depuis jeudi soir. Il nous reste encore à découvrir le véritable nom de la Revolution, puis à observer les premiers concepts en situation de jeu. 2006 paraît loin d’un coup, hein ?