Le paradoxe japonais des jeux d’argent
Le gouvernement de Shinzo Abe tente depuis quelque temps de promulguer une loi concernant un assouplissement autour des jeux d’argent, afin de permettre l’ouverture des casinos avant les Jeux Olympiques 🏅 de Tokyo 2020. Cela peut sembler étonnant quand on sait que l’industrie du pachinko a rapporté l'année dernière plus de 24 billions de yens (~145,4 milliards d'euros), ce qui la place comme troisième industrie de loisir du pays.
Seulement, l’article 23 du code pénal au Japon datant de 1907 interdit tout simplement les jeux d’argent au sein du pays. Le risque encouru est de 500.000¥ (~3.030€) d'amende et trois ans de prison pour les récidivistes. Ceci dit, même si la législation japonaise s'avère plus ferme que dans bon nombre d'autres pays, en réalité peu de peines sont prononcées à l'encontre des joueurs.
En revanche, si la répression contre les joueurs demeure secondaire, les autorités luttent notamment en fermant les établissements jugés illégaux ou en retirant temporairement voire définitivement la licence à ceux qui ne respectent pas cette loi. Quelques exceptions légales furent autorisées avec le temps concernant certains paris sportifs, ainsi que les loteries.
Du coup, les casinos tel que nous les connaissons en Occident n’existent pas au Japon de manière légale. Bien évidemment, il existe quelques casinos clandestins mais intéressons-nous plutôt aux méthodes utilisées afin de contourner cette fameuse loi.
Les machines à "sous"
Au Japon, il existe une multitude de machine à "sous". Comment une industrie en théorie interdite peut elle être aussi florissante ?
Dans ces casinos alternatifs, à votre arrivée, vous échangez de l'argent contre des billes ou des jetons (en fonction du type de machine). Lors de votre départ de la salle, vous pouvez troquer ces billes / jetons dans une machine qui vous remet un ticket servant de monnaie d'échange contre des voyages, friandises, produits manufacturés ou autres... mais pas d'argent. Si vous souhaitez obtenir de l'argent, il faut troquer vos billes et équivalents contre des plaques qui deviendront échangeables contre de l'argent dans une boutique extérieure à la salle de jeu.
Les petites boutiques en question (généralement tenues par des yakuza) profitent d'un flou juridique qui n'a pas été vraiment légiféré et que les autorités tolèrent plus ou moins tellement la pratique est devenu courante.
Les 4 types de machines les plus populaires sont :
- Pachinko : une machine hybride entre le flipper, la machine à sous type jackpot. Il existe au Japon 15.000 salles dédiées pour un total de 2 millions de pachinko.
- Pachislot : une machine qui se rapproche le plus du type de machine à sous, type jackpot, mais contrairement à son homologue occidental, les gros gains se réalisent souvent en plusieurs étapes.
- Keiba game : une machine virtuelle de pari équestre, dont le principe reste assez similaire au fonctionnement de la PMU, sauf qu'ici les courses sont générées virtuellement. En général, ce genre de pari se réalise en petit comité.
- Pusher game ("pousse-pièce") : il s'agit du type de machine le plus connu dans nos contrées (via les fêtes foraines ou casinos). Il suffit de faire tomber une pièce dans une "cascade" et la pièce servira à faire tomber d'autres pièces par un phénomène de poussée. Des récompenses (plaques ou objets) servent de monnaie d'échange.
Contrairement aux machines à sous traditionnelles occidentales, les machines japonaises jouent sur un côté plus ludique et addictif à travers de petites cinématiques évolutives lors de vos parties (même si il existe des bornes sans écran). Dans les salles, le bruit est assourdissant et les joueurs comme hypnotisés.
Quelques noms de sociétés vidéoludiques bien connues participent à ce secteur comme Sega Sammy, ou Konami. Ainsi, il est possible de jouer sur des pachinko Saint Seiya, Silent Hill, Dragon Ball, Evangelion...
Les jeux de cartes et de tuiles
Le mahjong est un jeu très populaire au Japon, et ceux, malgré la fermeture de près de 20.000 salles en deux décennies (il existe encore plus de 10.000 salles dédiées sur l'archipel). À l'inverse le poker, qui fut plutôt discret pendant des décennies, commence à acquérir une certaine "popularité" au Japon en partie lié au smartphone 📱, et une percée asiatique de ce jeu. Le poker est encore loin de la notoriété du mahjong, mais plusieurs salles dédiées ont vu le jour récemment. De plus, le joueur Naoya Kihara s'illustra en remportant le bracelet du World Series Of Poker en 2012.
Ces jeux tombent sous le joug de la loi sur les jeux d'argent. En théorie, il n'est donc pas possible de parier de l'argent pour en gagner contrairement à l'occident, ou certains pays asiatiques. La technique consiste à faire payer au participant sur ce genre de "tournoi" un forfait sur des boissons, ou de proposer divers services à des tarifs relativement élevés (comme une exposition). Ce tarif élevé déguise en réalité des frais de participation qui servent à récompenser les vainqueurs avec diverses récompenses. Il devient ainsi possible de gagner de l'argent.
Certains clubs évitent les récompenses sous forme monétaire pour éviter tout risque de poursuite judiciaire, mais offrent aux vainqueurs par exemple un voyage pour Macao ou Singapour. D'autres clubs utilisent la même technique que les salles de pachinko avec des récompenses intermédiaires échangeables dans une boutique à proximité.
Une législation assouplie
Toutefois avec le temps, le gouvernement a fait quelques concessions, souvent dans une optique économique.
La loterie existe au Japon depuis les années 1630 mais fut interdite en 1842. En 1937, le gouvernement japonais autorisa exceptionnellement une loterie dans le but de remplir les caisses de l'état. Une opération similaire intitulée "Takara-kuji" fut organisée peu de temps après la seconde Guerre Mondiale. Ce nom fut conservé pour les loteries suivantes.
De 1948 à 1954, plusieurs aménagements ont été pensés autour d'un assouplissement de la législation de la loterie. Depuis, les Takara-kuji ressemblent au fonctionnement de la Française Des Jeux en passant aussi bien par le loto que les jeux à gratter. Pendant cette phase d'aménagement légale, le gouvernement en profita pour autoriser les paris sportifs uniquement dans le cadre des koei kyogi (sport public).
Quatre sports basés sur la course entrent dans ce cadre légal ; il s'agit :
- des courses de chevaux (keiba),
- du vélo (keirin),
- de la moto (oto resu),
- et de l'hydroplane (kyotei).
En 1998, le gouvernement japonais autorisera les paris sportifs concernant le football (Toto). Une exception qui s'explique par une volonté d'apporter un financement à ce sport populaire à travers le monde et devenir ainsi plus compétitif.
Une évolution lente, mais qui arrivera certainement
La plupart des Japonais sont contre l'ouverture des casinos au Japon ; pour la majorité d'entre eux, des jeux comme le poker représentent un simple jeu de hasard sans gain. Toutefois, les mentalités évoluent.
Bien que les États-Unis possèdent le meilleur chiffre d'affaire pour le secteur du casino, et contrairement à une croyance populaire occidentale véhiculée notamment à travers le cinéma, les dix plus grands casinos du monde se situent en Asie (8 à Macao et 2 à Singapour). Chaque année, ces deux petits états rattrapent l'ogre américain en partie grâce à la multitude de nouveaux riches asiatiques ainsi que les touristes ou l'explosion du poker.
Forcément, cet attrait asiatique motive certaines personnes au Japon pour l'ouverture de vraies salles de casinos. L'explosion du marché du smarphone et de ses applications, ainsi que l'expansion du web à l'échelle planétaire ouvrent également de nouvelles portes pour le public japonais.
On estime que 3,2 millions de Japonais seraient dépendants aux jeux d'argent.
-- Note du 15 décembre 2016 : Le Parlement japonais vient de voter la légalisation des casinos au Japon.