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Issekinicho : entretien avec Alex et Delphine autour de leurs livres

⏱ 9 minutes

Vous connaissez peut-être Delphine et aAlex, alias les Issekinicho, via leur blog ou les livres qu'ils publient depuis 2012.

Amateur de leur travail sans concession, j'ai choisi de les mettre en lumière à travers un long entretien qui présente leur activité, leur point de vue sur le Japon et se focalise également sur les difficiles décisions à prendre en tant qu'éditeur.

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Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Kanpai : qui se cache derrière Issekinicho ?

Nous sommes un couple d’illustrateurs français et nous sommes partis vivre au Japon pendant 2 ans ( en 2011 et 2012 ). Pendant ces 2 années nous avons publié sur notre blog, issekinicho.fr, des petites histoires en BD et des photos pour partager nos découvertes, nos ressentis, nos moments de joie, nos galères, nos balades, nos plats préférés… bref, notre quotidien japonais.

Comment s'équilibre votre activité entre Issekinicho et vos emplois en freelance ?

Issekinicho c'est maintenant 2 choses : l'édition et le blog.

Les éditions Issekinicho c'est la conception de livres sur le Japon ainsi que leur promotion. Actuellement c'est 100% du temps de travail d'aAlex et 20% du temps de Delfine.

Du côté du blog Issekinicho on réalise des notes bd et des séries photos sur le Japon, même si nous sommes rentrés il y a un an, il y a encore beaucoup à raconter.

À côté, on a notre activité d'illustrateur indépendant pour la presse et l'édition jeunesse.

En gros, on jongle entre ces 3 activités (illustrateur, éditeur et bloggeur ) en continu. C'est assez physique mais c'est passionnant.

Vous avez vécu au Japon pendant deux ans. Quel est votre rapport à ce pays, cette société et sa culture ? Avez-vous l'intention d'y retourner, en voyage ou pour vous y installer définitivement ?

Ces 2 années nous ont permis de découvrir plus en profondeur le pays même si il nous reste encore beaucoup à faire. L'objectif était de pouvoir prendre le temps de voir la vie au quotidien et rencontrer les japonais. Nous ne voulions pas être blasés du Japon, au bout de 2 ans on commençait à perdre le regard que l'on avait en arrivant, nous avons alors préféré rentrer pour valoriser tout ce que nous avions dans nos valises.

Nous n'avions ✈️ jamais eu comme projet de nous installer définitivement ni même de rester sur une très longue période au Japon. Pour l'instant, pas de voyage de prévu car notre travail nous demande trop de temps. Mais c'est vrai que repartir pour visiter le nord du pays ( nous n'avons pas été plus haut que Sendaï) nous intéresserait beaucoup.

Il y a un peu plus d’un an, vous avez publié deux livres sur le Japon : Tokyo Ohanami et Neko Land. Pouvez-vous nous raconter l'aventure de cette création, de l'idée originale jusqu'à la sortie ?

Dès la fin de notre première année au Japon on avait constitué un grand catalogue photo que l’on publiait sur le blog. On a commencé à chercher des thématiques intéressantes pour un livre.

Faire un livre prend au minimum 6 mois donc il faut vraiment un sujet fort qui nous donne envie d’aller au bout.

Il n’était pas question de faire des livres généralistes, mais de trouver des thèmes qui permettent une approche originale sans non plus faire de livres élitistes ou uniquement destinés aux fans purs et durs du Japon. Le but c’est aussi d’intéresser les gens qui ne connaissent pas ce pays et même les personnes qui ont des préjugés négatifs ou des idées préconçues.

Pour Nekoland, c’est un hasard. Partis en voyage dans le sud du Japon, nous avions croisé beaucoup de chats 🐈. Une fois rentrés, j’avais posté une note photo sur le blog. Ma démarche photo a pour objectif de montrer le Japon d’une façon naturelle sans artifice et à travers les photos de chats j’ai trouvé un fil conducteur intéressant pour faire voyager les gens dans des lieux pas forcement touristiques du pays. Quand j’ai commencé à réfléchir à un livre pour parler du Japon, c’est devenu une évidence de traiter le thème des chats. J’ai aussi continué à prendre des photos de chats car il y avait du défi, beaucoup de chats errants ne se laissent pas approcher. Il faut les « pister », reconnaître les indices qui trahissent leur présence et être patient pour obtenir LE cliché. J’ai donc pris beaucoup de plaisir dans cet exercice.

Pour Tokyo ohanami le livre présente la floraison des cerisiers 🌸. C’est une période très populaire mais aussi un moment très symbolique qui marque la fin de l’hiver. Toujours dans le but de montrer le Japon du quotidien, le Ohanami est l’occasion de montrer la ville de Tokyo de façon très esthétique. Beaucoup des lieux que je présente dans le livre ne sont pas dans les guides touristiques, mais restent très populaires auprès des tokyoïtes. En plus d’être un livre photo, c’est un guide avec plein d’infos très utiles pour les personnes qui aimeraient préparer un voyage à Tokyo spécialement lors de la floraison des cerisiers.

Quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées lors de la construction des livres, et que ferez-vous différemment à l'avenir ?

Étant donné que nous éditons, il y a 3 étapes dans le travail :

  • la conception graphique ( photos, illustrations, mise en page )
  • la fabrication ( devis imprimeur, calcul de budget, impression )
  • la vente ( réception des livres, envois, salon, convention )

Disons que la partie conception graphique n’a pas été compliquée. C’est très long, mais on n’a pas eu de surprise. Les illustrations de Tokyo ohanami sont très détaillées et m’ont demandé quand même une bonne vingtaine de jours. Les difficultés sont plutôt arrivées ensuite à la fabrication surtout pour trouver un imprimeur motivé car on imprime des petites quantités. À partir de là ce n’est plus trop de la création mais de la fabrication pure et dure, des trucs pas forcement très marrants mais c’est la clé pour faire de beaux livres.

Qu’est-ce qui vous a motivé à choisir une auto-publication, plutôt qu'un rapport classique avec un éditeur déjà existant ?

Nous n'avons pas cherché d'éditeur. Étant Delfine et moi, illustrateurs freelance depuis 10 ans, nous travaillons déjà avec des maisons d'éditions et pour nos projets de livres sur le Japon, nous n'avions pas envie d'avoir un éditeur "sur le dos" qui aurait eu des remarques ou l'envie de modifier pour adapter à son public. On voulait proposer aux lecteurs un projet qui nous ressemble. Nous sommes curieux et c'était aussi l'occasion de travailler des aspects de la chaine du livre que nous ne connaissions pas ou peu.

Généralement le livre auto-édité a une image de livre qui n'a pas trouvé d'éditeur, de livre sans réelles qualités de contenu et de fabrication. Je pense que nous avons pu démontrer le contraire.

Comment se répartit le volume de commandes entre la vente en direct sur le site et celle en librairie ? Qu'indique la récente réédition des deux premiers ouvrages ?

Début 2013, voyant la rupture de la 1° édition de Nekoland arriver, nous avons décidé de voir plus haut que la simple vente par internet 📶.

Seuls, nous ne pouvions pas vendre en librairie. Nous nous sommes alors mis en recherche de partenaires pour que nos livres soient disponibles en librairie.

Les 2 partenaires indispensable pour ça :

  • un diffuseur (qui présente le catalogue de nos titres aux libraires et prend les commandes)
  • et un distributeur (qui gère le stock de livres et les envois aux libraires),

Comme ça, ça a l'air simple mais c'est extrêmement difficile de les intéresser quand on est un petit éditeur avec peu de titres et des faibles tirages.

Quand nous avons trouvé, ça a été le feu 🔥 vert pour lancer une réédition de Nekoland et l'édition de Nippon no haikyo.

Nous gardons un petit stock d'exemplaires pour la vente sur notre site et sur les salons. Le reste du stock est donc géré par le distributeur qui s'occupe de la partie librairies/FNAC et Amazon.

Que représente pour vous le format eBook, qui semble plutôt jouer le rôle de "porte d'entrée" vers vos livres ?

Nous avions proposé des versions numériques de nos livres pendant une période, pour permettre aux personnes ne désirant pas investir trop d'argent dans les versions papier ( ça reste des livres assez volumineux donc chers à fabriquer ) de pouvoir quand même en profiter. Depuis les nouveaux titres sortis en novembre nous ne proposons plus de version numérique. Il faut que l'on remette tout ça à plat et voir ce qui peut être intéressant de proposer.

Vous avez créé les éditions Issekinicho il y a quelques semaines : pourquoi ce choix et que représente-t-il sur le plan administratif ?

En fait, les éditions Issekinicho existent déjà depuis un an, avec un statut juridique "light" puisque l'on faisait uniquement de la vente en ligne et sur les salons en direct avec les lecteurs. On a du choisir un statut plus solide au moment où on a commencé à travailler avec un diffuseur et un distributeur. On a maintenant un statut de SARL.

Votre troisième livre, Nippon no Haikyo sorti tout récemment, est le premier des éditions Issekinicho à mettre en lumière le travail d'un autre photographe : Jordy Meow. À l'avenir, souhaitez-vous laisser encore la part belle à d'autres auteurs ?

Le but de la maison d'édition est de mettre en avant le travail de gens qui le méritent. On a une très longue liste de gens avec qui aimerait travailler afin de leur donner un espace d'expression. Mais nos finances ne nous permettent que de publier un ou deux titres par an, ça sera long de tous les éditer :)

Les ouvrages que vous publiez laissent une grande place à l'image, et moins au texte. Ce choix est forcément motivé par votre amour et vos compétences en photographie. Cette ligne directrice va-t-elle évoluer ?

Après 2 ans au Japon, à mon retour en France, j'ai été très déçu de voir un rayon de livres photos sur le Japon très redondant avec des livres qui ne présentent que de façon très superficielle le pays. Quand on voit la diversité de livres photos ou graphique dans les librairies japonaises, il y a un champ énorme de publication encore possible en France. Notre ligne éditoriale se dessine petit à petit mais nous voulons avant tout présenter le travail de photographes et d'illustrateurs français et japonais apportant un éclairage sur le pays et ayant un point de vue original. J'aurais aussi envie d'acheter les droits de certains livres de photographes japonais très intéressants. Après, nous sommes une toute petite structure et nous buttons sur des problèmes d'ordre financier mais dans 1 an ou 2 qui sait…

Enfin, avez-vous un dernier mot pour les lectrices et lecteurs de Kanpai ?

Merci à eux d'avoir lu cet entretien jusqu'au bout ! Je les invite à venir feuilleter nos livres sur notre site, ou à aller y jeter un œil en librairie.

Mis à jour le 25 octobre 2022