L’Antiquité japonaise
De l’influence chinoise aux premiers traits culturels japonais
L’Antiquité japonaise, ou âge classique japonais, désigne la période durant laquelle les bases de la culture japonaise se forment. Elle s’étend du milieu du VIe siècle à la fin du XIIe siècle, et comprend 3 grandes subdivisions historiques : les périodes d’Asuka, Nara et Heian. La compréhension de la civilisation japonaise classique se base essentiellement sur les traces laissées par ses élites.
L’antiquité japonaise voit se former et se consolider l’État japonais au cœur de la région du Kansai, entre Kyoto, Nara et Asuka. Comme à la période préhistorique, l’influence du continent asiatique est toujours forte, mais une culture autochtone se développe, qui va poser les bases de la culture classique et raffinée de l’archipel.
La période d’Asuka (538 ou 552 - 710)
C’est une période où le centre du pouvoir est nomade, déplaçant ses quartiers au gré des événements considérés impurs ou néfastes (décès, révoltes, etc.) mais toujours autour d’Asuka, ville qui a ultérieurement donné son nom à cette ère.
Les historiens font débuter la période d’Asuka au milieu du VIe siècle (538 ou 552) c’est-à-dire à l’introduction officielle du bouddhisme au Japon, qui concerne la Cour impériale dans un premier temps. Le temple Zenko-ji à Nagano conserverait la première statue bouddhiste offerte au Japon ; le premier temple bouddhiste, quant à lui, serait l’Asuka-dera, construit à la fin du VIe siècle. Il s’agit d’un tournant culturel qui marque la volonté des dirigeants d’imiter la Chine, grande puissance de l’époque.
L’Empire du Milieu va en effet être le modèle dans la constitution progressive d’un état centralisé et administré par un corps de fonctionnaires et son influence s’étendra jusque dans l’architecture religieuse, palatiale et la construction des capitales selon un plan quadrillé géométrique.
Le prince Shotoku Taishi (574 - 622), régent à partir de 593, centralise les institutions de l’état, proclame le bouddhisme religion d’état et fonde notamment le temple Shitenno-ji d’Osaka ainsi que le Horyu-ji. Il aurait également été le premier à utiliser le nom Nihon pour désigner le pays.
Le titre d’empereur, Tenno (天皇), encore utilisé aujourd’hui, est employé pour la première fois par l’empereur Tenmu (règne de 672 à 686). Sans négliger le bouddhisme, celui-ci renforce également les relations de la maison impériale avec le sanctuaire d’Ise.
Le nouvel État entend aussi asseoir son autorité sur les populations du Tohoku et de Hokkaido, contre lesquelles il envoie des expéditions. Les relations avec le continent asiatique restent étroites et les transferts de technologies (tissage, orfèvrerie, laque, charpenterie, etc.) continuent.
Le clan Fujiwara commence à étendre son influence à la Cour, et le clergé bouddhiste à développer son pouvoir. Le transfert relativement durable de la capitale à Heijo-kyo en 710 ouvre l’époque de Nara, nommée d’après le nom actuel du site.
La période de Nara (710 - 794)
Caractérisée par une capitale fixe construite sur un plan en damier à l’image de la capitale de la Chine des Tang, et bien qu’elle dure moins d’un siècle, cette période est riche en évolutions. Les pouvoirs politiques et religieux sont centralisés, l’état continue son expansion dans le sud de Kyushu et l’ouest du Tohoku, avec la fondation de la province de Dewa (actuelles préfectures de Yamagata et Akita). Le Régime des Codes, un système politique qui sera en place jusqu’à la fin de l’époque de Heian, est instauré pour régir le pays en mêlant coutumes locales et réglementations à la chinoise.
Toujours selon le modèle continental, une histoire officielle est établie avec les compilations des premières chroniques impériales en sino-japonais et en chinois :
- le Kojiki (古事記, "Chroniques des faits anciens") en 712, pour mettre en avant les origines divines de la famille impériale. C’est aussi dans ce récit que les Aïnous, peuple autochtone d’Hokkaido, sont mentionnés pour la première fois par des sources japonaises ;
- le Nihon shoki (日本書紀, "Chroniques du Japon") en 720, qui propose une histoire du pays jusqu’à la fin du VIIe siècle.
Les échanges avec la Chine et les royaumes coréens sont toujours aussi intenses et se concrétisent notamment par l’envoi d’ambassades, des alliances, des échanges de savants et de biens. Le commerce est florissant et c’est à cette époque que le thé est importé pour la première fois au Japon, ainsi que le tofu, le miso, ou encore le jeu de go et divers instruments de musique.
L’époque de Nara est aussi très riche sur le plan culturel. La première anthologie de poèmes japonais, le Man'yoshu, a été compilée vers 760. Toujours d’actualité, c’est dans son texte que l’on puise pour nommer les ères impériales encore aujourd’hui.
Le VIIIe siècle voit le développement, souvent sur la base de modèles chinois :
- des emakimono, des rouleaux enluminés se déroulant horizontalement, initialement pour représenter les sutras, puis pour illustrer un récit ;
- de la sculpture en laque sèche et en terre séchée dans la sculpture bouddhique.
L’architecture religieuse bouddhiste est celle dont nous sont parvenus le plus d’exemples, comme le Todai-ji fondé en 752. Les villes sont le lieu de résidence des élites, qui occupent des maisons à toits de tuiles dotées de jardins d’agrément. Le reste de la population est essentiellement composé d’agriculteurs vivant en villages ou hameaux, dans des maisons semi-enterrées aux toits de chaume ressemblant beaucoup aux habitations des époques précédentes. Néanmoins, on assiste aux prémisses de la maison traditionnelle japonaise, avec les premières constructions de maisons surélevées sur des poteaux.
L’influence du clergé bouddhiste est grandissante et s’étend au-delà de la cour impériale grâce à des moines errants comme Gyôki (668 - 749) qui répandent les enseignements de Bouddha tout en travaillant à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales.
À son apogée, Heijo-kyo (future Nara) s’étendait sur plus de 4 km² et aurait abrité près de 200.000 habitants dont 10.000 fonctionnaires.
À la fin de la période, la capitale est déplacée à Heian (future Kyoto) afin de mettre à distance l’influence du clergé bouddhiste. Heian-kyo devient ainsi la résidence de l’empereur pour plus de 1.000 ans, jusqu’en 1868 !
L’époque de Heian (794 - 1185)
La stabilité politique de la période de Heian permet l’affirmation du pouvoir de la cour impériale, notamment par le développement d’une culture et d’arts proprement japonais, malgré la persistance de l’influence culturelle chinoise.
À un emplacement stratégique dans le Kansai, Heian-kyo occupait le centre actuel de Kyoto. Bâtie selon les principes de géomancie et d’urbanisation chinois, la ville était limitée par le palais impérial au nord et se déployait tout autour de celui-ci en direction du sud. Protégée au nord-est par le mont Hiei, elle était traversée par la rivière Kamo et bénéficiait d’un accès à la mer par la rivière Yodo jusqu’à la baie d’Osaka. Elle était connectée aux provinces de l’est par la route. Le plan de Heian-kyo est similaire à celui de Heijo-kyo, mais ses dimensions sont bien plus grandes : 4,5 km d'est en ouest et 5,3 km du nord au sud.
L’empereur Kanmu (735 - 806, règne de 781 à 806) représente l’apogée du pouvoir impérial. Il mène à son terme une longue campagne militaire (de 38 ans !) contre les Emishi, une population vivant dans le nord et l’est du Japon, qui lui permet d’étendre son territoire jusqu’à l’est de Honshu en 802, sans pour autant parvenir à conquérir tout le pays. En parallèle, des liens commerciaux sont entretenus avec les Ezo (population de Hokkaido, probables descendants des peuples arrivés à l’époque Jomon).
Cependant, dès la seconde moitié du IXe siècle, l’empereur ne règne plus que nominalement et le pouvoir est réellement exercé par des régents, principalement issus de la famille Fujiwara qui a réussi à tisser des liens matrimoniaux très étroits avec la dynastie impériale, assurant sa mainmise sur le pouvoir jusqu’à la fin de la période.
C’est aussi le début de la montée en puissance des provinces, à partir du Xe siècle et dont les élites locales tendent à constituer des forces armées, donnant progressivement naissance à la classe des guerriers, les bushi.
Au cours du IXe siècle, les liens diplomatiques avec la Chine se distendent et en 894, Sugawara no Michizane, homme d’état et lettré vénéré sous le nom de Tenjin dans les sanctuaires Tenman-gu, y met fin, ce qui a pour conséquence indirecte un isolement volontaire du pays.
Dès lors, va se développer "l’esprit du Japon" (Yamato-damashii), notamment par la création des syllabaires kana qui permettent l’éclosion de la littérature japonaise, surtout à la Cour et au sein du clergé bouddhique. Ainsi, l’époque voit naître les premiers romans et récits historiques contemporains, dont les Contes d’Ise (anonyme, Xe siècle) ou le Dit du Genji (Murasaki Shikibu, XIe siècle). Ces textes seront notamment illustrés de peintures dites Yamato-e, polychromes, caractérisées par des représentations de scènes en intérieur dans une perspective aux toits enlevés, et la stylisation des corps.
En architecture, la fin de la période est marquée par l’apparition du style Shinden-zukuri dans la construction des palais, plus adapté au climat japonais, surélevés sur des pilotis, avec des cloisons amovibles privilégiées aux murs, des sols en tatami et une toiture couverte d’écorce de cyprès hinoki. Pour les temples, le style reste principalement d’inspiration chinoise même si des galeries couvertes sont ajoutées, comme au Byodo-in (Uji). Les sanctuaires shinto sont construits dans le style nagare, caractérisé par un toit asymétrique dont une des pentes plus longue d’un côté crée une avancée, comme on peut le voir au sanctuaire Ujigami-jinja (XIIe siècle).
En sculpture, le bois remplace la laque et la terre, et les statues, d’abord modelées à la façon des statues de la dynastie Tang, évoluent vers une plus grande stylisation similaire à celle de la peinture Yamato-e. La décoration s’enrichit de laque d’or et d’incrustations de nacre, comme au temple Chuson-ji de Hiraizumi.
Le bouddhisme continue son expansion et 2 branches se distinguent :
- la branche Tendai ("terrasse céleste") fondée en 805 par Saicho (767 - 822), un moine en opposition avec le clergé de Nara, car sa doctrine implique que tout un chacun peut atteindre l’éveil. Il a fondé l’Enryaku-ji sur le mont Hiei à la fin du VIIIe siècle ou au début du IXe siècle.
- la branche Shingon ("parole de vérité") spécifiquement japonaise, elle, a été fondée par Kukai (774 - 835, nom posthume : Kobo Daishi) et peut être présentée sommairement comme un syncrétisme du bouddhisme et du shinto, avec un rôle important accordé à l’ascèse. Kukai est à l’origine de la fondation du monastère du Mont Koya en 816, mais aussi du pèlerinage des 88 temples de Shikoku.
Plus globalement, le bouddhisme et le shinto ne s’opposent pas mais ont tendance à se compléter et il n’est pas rare que les pratiques des 2 spiritualités se mêlent à l’époque.
La fin de l’époque de Heian est marquée par la montée en puissance de la classe des bushi qui culmine lors de la Guerre de Gempei (1180 - 1185), opposant les clans Taira et Minamoto dans le cadre d’un conflit de succession au trône impérial. Elle se solde par la prise du pouvoir par Minamoto no Yoritomo, qui établit sa capitale à Kamakura afin de s’éloigner des ingérences du clergé et des nobles.
Au milieu du XIIe siècle, le Japon est peuplé d’environ 7 millions de personnes réparties à peu près équitablement dans le Kinai (c’est-à-dire autour des actuelles Kyoto, Nara et Osaka) et le Kanto.