Mirror’s Edge
Hormis l’annonce fracassante de Final Fantasy XIII sur X360, Mirror’s Edge était un peu l’attraction de l’E3 2008. Dans ce salon décevant pour beaucoup, le titre des Suédois de DICE (pourtant cantonnés jusqu’alors aux froids Battlefield) a résonné comme un jeu original et innovant. Édité par EA et sorti en fin d’année dernière, il n’a malheureusement pas rencontré le public escompté. En effet, moins d’un million d’exemplaires ont trouvé acquéreur dans le monde, versions Xbox 360 et PS3 confondues. Et à mon avis, ce n’est pas la version PC qui va remonter la barre. Dommage que la prise de risque ne paie pas plus, car Mirror’s Edge montre des qualités graphiques et ludiques absolument remarquables.
C’est d’abord un design éblouissant et éthéré qui marque. Ses accents de REZ, Mirror’s Edge les complète avec une esthétique ultra-urbaine virevoltante, complétée par un champ de vision « première personne » élargi à 90°. Au passage, son prochain contenu téléchargeable sera encore plus fantasmatique, vers de la pure expérience de jeux céleste et sans décors ; Kandinsky se rapproche à grands pas. Sans interface à l’écran, le jeu fait le choix intelligent de mettre littéralement en lumière les éléments indicatifs de progression. Le game-designer s’en explique : « le jeu colore les éléments importants du décor en rouge. C'est comme si vous étiez un alpiniste et que vous regardiez un flanc de montagne : les bonnes prises vous sauteraient aux yeux. Moi, je ne verrais qu'un flanc de montagne ». Il fallait juste y penser – en situation de jeu, l’intégration et l’ergonomie sont parfaites.
Cette ambiance planante et aérienne est de plus servie par une piste sonore tout aussi brillante. À mesure que l’action ou ses efforts s’intensifient, le souffle et le pouls de Faith (le personnage incarné par le joueur) s’accélèrent. De la même manière, on ressentira nettement le bruit sourd et la souffrance d’un atterrissage pataud : tout converge vers une agilité requise pour une progression efficace. Plus concrètement, Mirror’s Edge use d’un gameplay dont les mouvements sont finalement assez inspirés des Prince of Persia en 3D. On n’est pas loin non plus du FPA à la Metroid Prime. Mais le titre de Digital Illusion sait dépasser ses références et se servir juste assez du Parkour qu’Altaïr d’Assassin’s Creed n’aurait, lui non plus, pas forcément renié. C’est d’ailleurs la même approche qui prévaut : une exploration discrète qui fait passer le joueur d’un rôle habituel de cible à celui de prédateur. Mais un prédateur fragile car Faith est désarmée (dont acte, d’ailleurs). Les seules munitions du jeu sont celles encore présentes dans les armes que l’on volera éventuellement aux ennemis. Mais le port d’une arme alourdit et atténue les capacités de l’avatar. Ce qui force à réécrire les schémas bourrins habituellement connus dans les FPS. Enfin, notons que tous les mouvements sont servis dans les premières minutes du jeu, lors du tutoriel. Il n’y a donc aucune évolution, sinon celle de la fluidité accrue à travers l’expérience du jeu.
Au fait, ne soyez pas effrayés par certain(e)s critiques de mauvaise foi : comme Super Mario 64 en son temps, Mirror’s Edge n’est pénible à jouer que si l’on a 2 mains gauches. Pour les gens normaux, sa maniabilité est bien pensée et intuitive pour l’utilisateur. Certains passages sont certes délicats, mais ce n’est pas la faute du gameplay, seulement du joueur ! La progression par l'échec, souvent naïvement invoquée, est plutôt à aborder comme une progression par l’apprivoisement et l’expérience. Ce qui est vrai, en revanche, c’est la courte durée du jeu : une demi-douzaine d’heures environ. Mais la rejouabilité est importante et, curieusement, on ne se sent pas frustré au générique de fin. Corollairement, l’histoire tient malheureusement sur un bout de papier. Le scénario, finalement classique et prévisible, sera heureusement dispatché via des belles cinématiques à la Kill Bill.
Durant les quelques heures que dure Mirror’s Edge, on se sent vraiment habiter Faith, ressentir la vitesse grisante de l’exploration, souffrir avec elle lorsqu’à bout de souffle, elle saute et se raccroche in-extremis à une corniche. Il y a ici une ambiance et un sentiment de liberté d’autant plus éminents qu’ils ne sont qu’écrans. Notre avatar nous emprisonne, dictée qu’elle est par des objectifs précis et des environnements pas si vastes qu’ils n’en ont l’air. La réussite est d’autant plus astucieuse : dans cette ville où l’information est contrôlée et les habitants suivis à la trace, je trouve la mise en abyme intéressante.
Mirror’s Edge transmet une expérience planante et intense. Il s’agit sans aucun doute d’un très joli coup d’essai, à vivre sans hésiter en attendant, souhaitons-le, une suite que ne justifient pas forcément ses ventes. Mais c’est surtout, au-delà du trip très pur, un bras (très fit) d’honneur au genre « première personne » que l’on sait si peu enclin à sortir de ses tranchées boueuses et ses vaisseaux spatiaux. Nonobstant d’autres innombrables qualités, rien que pour ça, on donnerait à Faith et Mirror's Edge le bon Dieu sans confession.