Idol ou la femme-objet japonaise
Sexisme et AKB48 : la place des starlettes au Japon
Le "World Economic Forum" est formel : selon son dernier rapport sur l'égalité des sexes dans le monde, le Japon se place 101ème sur 135. C'est le pire classement des états membres du G8, très loin derrière le quator de tête (dans l'ordre : Islande, Finlande, Norvège et Suède) et même de sa meilleure ennemie la Chine, en 69ème position. En Asie, seules l'Inde et la Corée du Sud traînent plus que le Japon, respectivement à la 105 et 108ème place. Bien que discutable, comme toute étude non-scientifique, ce rapport montre un décalage du Japon par rapport au reste du monde, sur la place de la femme dans sa société.
À commencer par le travail, plaque tournante du bien-vivre dans la société japonaise. L'absence de parité hommes-femmes aux postes de management et sur le salaire est tellement profonde depuis si longtemps que beaucoup de Japonaises semblent vouloir, d'elles-mêmes, devenir femmes au foyer à la naissance du premier enfant. Résignation ? Il y a probablement de ça. Mais une fois mariées, et si possible avec un conjoint à revenu plus important, les Nipponnes bénéficient d'un relâchement de pression selon les chiffres officiels : elles se suicideraient 2,5 fois moins, subiraient le karôshi (mort par excès de travail) 20 fois moins et on compterait près de 30 fois plus de SDF hommes. En cas de divorce, les femmes Japonaises conservent la garde des enfants dans l'écrasante majorité des cas.
Et puis il y a ce statut d'idol qui cristallise la femme-objet... Tellement complexe et spécifique qu'il mériterait une analyse bien plus poussée de ces starlettes. En attendant, l'actualité de ces derniers jours fait froid dans le dos. Des paparazzi ont découvert et dévoilé que Minegishi Minami, membre des AKB48 depuis les débuts du groupe en 2005, avait passé la nuit chez Shirahama Alan, membre du boys-band Exile. À première vue, rien d'étonnant ni de grave à 20 ans, sauf que son contrat lui interdit d'avoir des relations sentimentales et plus si affinités ! Le jour de la publication du scoop dans le journal Shukan Bunshun, "Miichan" présentait des excuses publiques. Pas par le biais d'un communiqué ou même d'une conférence de presse, mais dans une vidéo de près de 4 minutes (aux millions de vues, mais retirée depuis) sur la chaîne YouTube officielle du groupe : seule, en larmes et... la tête rasée, comme pour se repentir. Elle y parle de cette sortie comme d'un "acte irréfléchi et immature" .
Si d'un point de vue occidental, le geste rappelle des heures sombres de notre histoire, au Japon beaucoup prennent cela au sérieux. Dans la longue tradition de lavage d'honneur, du bushido (code des samurai) à la coupe des petits doigts chez les yakuza, la catharsis japonaise a longtemps mené jusqu'au suicide rituel. En l'occurrence, on pourrait parler d'un seppuku cosmétique. En supprimant un symbole fort de sa féminité, Minegishi cherche à expier sa faute là où la courbette n'aurait pas suffi. Dans la hiérarchie omnipotente des AKB48, la jeune femme a été immédiatement rétrogradée au rang de kenkyûsei ("stagiaire / apprentie"). L'affaire fait beaucoup réagir, car elle symbolise parfaitement l'hypocrisie qui règne autour des idols. Poupées kawaii objets de fantasmes de fans otaku / wota en mal d'amour, ces filles sont modèles et actrices d'un système souvent pervers qui leur défend d'avoir des relations normales mais les encourage au fan-service décomplexé.
Quelques semaines après la publication en photo d'une autre AKB48, Tomomi Kasai, nue avec la poitrine tenue par un enfant (nous avons choisi de ne pas partager cette photo pour des raisons évidentes), ce nouveau buzz semble encore bien orchestré au sein d'une une stratégie marketing très rodée. La gestion et l'image des AKB48 a toujours été très borderline, jouant avec les limites sociales japonaises et la sexytude exacerbée de ses membres. Mais pour plaire aux fans obsédés par leurs idoles, que l'une d'elles puisse avoir des relations, c'est mauvais pour les affaires. On ne devient pas le groupe numéro 1 depuis tant d'années par hasard, et qu'importe si cela passe par une forme de sexisme moderne et décomplexé.
-- Mise à jour du 7 février :
Quelques jours seulement après le scandale, Minami Minegishi est réapparue sur scène avec les AKB48 en tant que kenkyûsei, coiffée d'une perruque (voir photo) ! Après de nouvelles excuses, le public l'aurait applaudi. Les commentaires de fans en ligne semblent moins cléments, notant qu'avec cette perruque, elle ne semblait pas regretter son acte. Du point de vue du management du groupe, gageons qu'une idol rasée n'encouragerait pas les ventes...
-- Mise à jour du 12 février (décidément) :
Voici ce qui se passe lorsqu'un fan apprend qu'une autre idol des AKB48, Kashiwagi Yuki, a passé une soirée gôkon (rendez-vous galant à plusieurs) avec des membres de l'équipe Olympique japonaise de football. Dans la vidéo, il s'exclame "Est-ce vraiment toi ? Pourquoi vous nous trahissez, nous les fans ? Il t'est interdit d'avoir des rendez-vous. Yuki-rin (son surnom), pourquoi ? Tu dis que tu es différente, que tu ne fais pas ce genre de choses... C'est mal" puis sort de ses gonds "C'est mal ! Pourquoi tu fais ça ? Ne trahis pas tes fans !" :
-- Mise à jour de septembre 2015 :
Une idol de 17 ans, restée anonyme, vient de se faire condamner par la justice japonaise à payer 650.000¥ (~3.991€) d'amende à son management pour être allée dans un love hotel 🏩 avec un de ses fans. Son contrat lui interdisait également.
-- Mise à jour de janvier 2016 :
Le tribunal de Tokyo vient de statuer : une idol a le droit de sortir avec un fan !