Fable
Peter Molyneux
Depuis l'E3 2001, chaque année, c'était le même refrain. Molyneux et ses potes de Big Blue Box nous contaient leur fable, ou plutôt ce qu'elle allait devenir. Des propos souvent fabulateurs qui auront tôt fait d'éveiller la méfiance du joueur que je suis. Autant de bonnes intentions dans un seul jeu, développé sur tant de temps, ça cache forcément quelque chose. Je n'ai donc pas rejoint la secte des adorateurs de Fable, qui disaient à qui voulait bien l'entendre que ce jeu allait révolutionner nos vies. Non, j'étais plutôt du côté des personnes que l'on décrit comme "aigries" et de mauvaise foi parce que forcément, si t'aimes pas Fable, t'es un anti-Microsoft haineux des américains et tu retournes jouer au très spirituel FFX-2, certes ridicule, mais japonais, lui...
Le temps a passé, des avis contradictoires ont été émis sur les différentes versions de démonstration, afin de pouvoir étoffer l'argumentaire à la fois des détracteurs et des adorateurs, et enfin la version finale est arrivée en magasin. Alors quand après quatre ans de tapage médiatique, un des titres les plus ambitieux de cette génération débarque dans les étalages de notre revendeur préféré, je ne peux m'empêcher de craquer, le glisser rapidement dans ma console, jouer, et me dire avec un sourire béat que j'avais raison de ne pas m'emballer (et oui, que voulez-vous, à Kanpai! on est suffisamment méchants pour savourer ce genre de petits plaisirs).
Parce qu'aujourd'hui, il faut être réaliste. Les gars de chez Lionhead, Big Blue Box et Microsoft se sont quand même bien moqués de nous avec leurs promesses, en tout cas en terme de gameplay. Pour autant que vous ayez bu leurs belles paroles, vous tomberez de bien haut au fil de l'aventure, constatant que finalement, Fable est un Action-RPG tout ce qu'il y a de plus banal. Et oui, ça la fout quand même mal pour un jeu dit révolutionnaire. Mais rassurez-vous. Ce n'est pas parce qu'il ne tient pas ses promesses qu'il est foncièrement mauvais. Loin de là même.
Visuellement, le jeu tient bien toutes ses promesses. Malgré une animation trop souvent saccadée, en particulier dans les villages, et le fait que non, chaque brin d'herbe foulé d'une part ne s'écrase pas et d'autre part ne reste pas écrasé au fil des parties, il faut reconnaître que rarement un univers n'aura été autant enchanteur dans un jeu d'aventure. Le choix des couleurs et l'esthétisme des lieux ont été travaillés de sorte à rendre Albion à la fois réaliste et fantastique, avec une touche de magie, et l'on s'y immerge bien rapidement. Les personnages ont toutefois un look pas vraiment attachant. Mention spéciale au héros dans son enfance, qui avec son regard vide et son visage inexpressif semble atteint de trisomie. Heureusement qu'une fois le tutorial passé (ah, non, pardon la petite heure que représente l'enfance et l'adolescence du héros), l'on pourra commencer à faire du tuning sur son héros. Et s'il ne vous plait toujours pas, faites comme moi : offrez lui un beau titre genre "Face-de-Cul". Fous rires assurés lorsque les gens vous appelleront alors "Seigneur Face-de-Cul".
C'est bête, mais ce sont des petites choses comme ça qui font le charme de Fable. Le fait de pouvoir péter, roter, ou prendre toutes sortes de poses ou attitudes rendent l'intégration du héros dans l'univers assez naturelle et offre des possibilités d'interactions intéressantes avec les autochtones d'Albion. De même, le fait que chaque action ait une conséquence, et influence à la fois la personnalité et la réputation du héros sont des éléments assez novateurs pour pousser le joueur à avancer sa quête. Cependant, ils ne sont pas vraiment allés au fond des choses. Par exemple, impossible de terminer dans le bien une mission où vous êtes censé faire le mal… Un petit exemple qui illustre le gros défaut de Fable. Le jeu se veut être un modèle de liberté et pourtant, l'on s'y sent pieds et poings liés.
Le scénario tout d'abord impose les étapes de la vie du personnage. Ceci ne se fait pas naturellement. Ensuite, les magnifiques environnements se limitent trop souvent à des couloirs n'ayant que quelques issues, issues débouchant sur un relativement long loading, pour charger le couloir suivant. Et je ne parle pas de trop nombreux murs invisibles qui bloquent le joueur curieux qui pourrait s'égarer du chemin. Au final, côté progression dans l'univers, on se rend compte que l'on est nettement plus libre dans Zelda no Densetsu : Kaze no Takt, voir même dans Toki no Ocarina sur N64, que dans Fable ! Au risque de me répéter, toutefois, ces couloirs, malgré leurs limites, restent sublimes à parcourir. Enfin, le cœur du jeu est également limité, voir répétitif. L'on peut certes se promener des heures en Albion, discuter avec des gens, effectuer des quêtes annexes, draguer les charmantes demoiselles, se marier, acheter une maison, jouer à des mini-jeux, bref, faire deux tonnes et demie de choses, mais pour avancer le scénario, il faudra remplir les quêtes proposées par la Guilde. Ainsi, l'on se limite à prendre une mission à la Guilde, la remplir, retourner à la Guilde en reprendre une, et ainsi de suite. On suit donc un certain scripte, avec certes de temps à autre des choix personnels à faire, mais sans ne jamais trop s'en éloigner tout au long de la malheureusement beaucoup trop courte quête principale. Pieds et poings liés que je vous disais…
Malgré tout ceci, et tout ce qui avait été annoncé et qui n'a pas fait son chemin jusqu'au produit final, Fable reste un excellent A-RPG, genre d'ailleurs bien trop peu présent sur la console de Microsoft. Entre son univers enchanteur, ses possibilités d'interaction intéressantes et un système de combat ma foi fort bien pensé, le jeu s'avère être un régal à jouer. Une excellente surprise pour moi qui n'en attendais pas grand-chose (pour ne pas dire que j'attendais à ce qu'il déçoive), même s'il pourra décevoir ceux qui ont pu en attendre trop. On restera juste dégoûté par la courte durée de la quête principale, mais le monde d'Albion mérite assez qu'on y refasse un tour, en y faisant d'autres choix, juste pour voir ce que ça fait…
Gigantesque note d’espoir pour le jeu vidéo
Analyse de Gael le 21.07.2005
Comme Julien, je n’étais pas du genre à avaler les grosses salades de Big Blue Box. Même sans être technicien, à force, on connaît nos bécanes. Et les limites qu’elles imposent trop involontairement aux game designs respectifs des jeux qu’elles hébergent. J’ai pourtant craqué sur la Fable de MOLYNEUX, devant des critiques tantôt dithyrambiques, parfois injurieuses, en tout cas souvent injustes. Comme en avait fait les frais, il y a déjà six ans, le Shenmue Isshô du SEGA d’à-côté.
Car Fable est le bébé d’un véritable amoureux du jeu vidéo 🎮 (ou, au choix, d’un excellent homme de commerce). Tellement passionné par son travail qu’il semble mortifié par les limites de son support, lorsqu’il s’excuse platement sur les forums de Lionhead, déclenchant les foudres terribles des amateurs adjuvants comme opposants. Tellement rare que son génie, relayé par l’exceptionnel travail de Danny ELFMAN, emporte immédiatement tout connaisseur de jeu vidéo dans son monde diégétique. Un jeu aussi prenant, ça ne trompe pas, surtout quand l’auteur sait aussi mal raconter une histoire, use de tant de manichéisme, et est tellement castré par le processeur de la Xbox.
Fable n’est pas un jeu exceptionnel. Il révolutionne encore moins l’univers du jeu vidéo. Mais ses ambitions ne sont pas tout à fait velléitaires. Il me transmet une confiance incroyable dans le futur de la production. Car le jeu vidéo existe avant toute chose à travers la transcription des idées d’un directeur de projet. Et Fable nous renvoie à un état de fait incroyablement bienfaiteur : il nous explique que le jeu vidéo est très loin de ses limites, et que le « jeu vidéo total » dont parle Chronic’Art est en route. Et lorsqu’il arrivera, l’on se souviendra de Fable comme un embryon sidérant de bonne volonté. Alors ne ratez pas, à mon sens, l’une des marches importantes de l’évolution d’un jeu vidéo qui se sclérose de l’intérieur.