Shenmue

Shenmue Isshô Yokosuka

Retour sur le premier jeu vidéo de la série

⏱ 10 minutes

Ma nuit avait été ponctuée de rêves enchanteurs : Ryô, ShenFa et autre Sôryu s'étaient mus en onirismes enchanteurs... Il était 7h35 alors qu'un homme frappa à ma porte. Seul, je lui ouvris fébrilement, encore étourdi par mes fantasmes vidéoludiques nocturnes. Ses paroles n'allaient pas tarder à me réveiller. "Bonjour, j'ai un colis de la part d'une boutique d'import", me dit-il. "Oui, c'est pour moi" lui répondis-je avec un large sourire. Ma journée pouvait commencer...

Avant de démarrer la critique de suite, j'aimerais opérer un léger retour en arrière pour mieux situer les étapes de la création de Shenmue. A l'origine, un directeur de projet, connu sous le nom de SUZUKI Yu. Il est l'homme des mythiques Space Harrier, Hang On, et plus récemment des séries Daytona USA et Virtua Fighter. Un joli passé. Début 1997, il décide de réaliser un projet plus personnel, nommé alors par la presse spécialisée Virtua Fighter RPG. Il est, à ce titre, intéressant de noter qu'à l'époque le héros du soft devait être Akira de VF, d'où le nom. Plus tard, le projet avançant, ce qui n'avait été qu'une ébauche est rebaptisée Project Berk(e)ley, qui deviendra la démo non jouable livrée en bundle avec Virtua Fighter 3tb. Une interview du maître de 45 minutes expliquant sa carrière et son projet. L'objectif de SUZUKI-san : concevoir le premier jeu "4D" entièrement interactif, selon un principe de sa création appelé F.R.E.E (Full Reactive Eyes Entertainment). Se décidant à exploiter les capacités incroyables de la Dreamcast, l'homme travaille d'arrache-pied et voit les choses en grand : une œuvre divisée en 6 chapitres, dont notre coffret ne contient que le premier. Initialement prévu pour Printemps 🌸 '99, puis repoussé au 5 Août, au 28 Octobre, et jusqu'au Printemps 2000, Shenmue sera ensuite avancé au 29 Décembre '99 lorsqu'Enix repoussera la date de sortie de Dragon Quest VII. Importé en "avance" (comme le sont nombre de grands titres) dès le 25 décembre, le monument Shenmue pouvait être exploré de fond en comble. Enfin.

L'après-midi est enneigée à YOKOSUKA, et HAZUKI Ryô retourne chez lui au pas de course. Quelle n'est pas sa surprise de découvrir brisée la plaque de bois souhaitant d'habitude la bienvenue (irasshaimase) au visiteurs... Ryô commence réellement à s'inquiéter lorsqu'il voit garée devant sa maison une étrange voiture 🚙 noire. Il entre doucement dans la cour et trouve INE-san, la gouvernante, gisant au sol. "Je vais bien, lui dit-elle, mais Iwao-sensei est...". Se demandant ce qui a pu arriver, Ryô avance prudemment dans la cour, et s'arrête devant l'entrée du dojo, apparemment calme. Tout à coup FUKUHARA-san, l'apprenti de Iwao-sensei, est projeté à travers les portes du dojo en un grand vacarme, pour s'écraser au pied de Ryô. Après avoir murmuré faiblement le nom du jeune homme, FUKU-san s'évanouit. Ryô monte alors les marches vers le dojo et en ouvre lentement la porte. A l'intérieur il trouve son père, Iwao-sensei. face à face avec un personnage inconnu. L'homme, que l'on connaîtra bientôt sous le nom de Sôryu, est coiffé d'une nate et paré d'une longue toge ornée d'un énorme dragon, qui lui confèrent une allure sino-japonaise belliqueuse. Deux gardes du corps, tout de noir vêtus, lui bloquent le passage vers son père... "Reste en dehors de tout cela" lui dit celui-ci. Sôryu prend alors la parole, d'une voix calme et claire : "Je te le demande une nouvelle fois. Où est le miroir ?". Iwao-san s'obstinant à répondre, préfère attaquer son adversaire. Mais le Chinois évite habilement les coups, et après un court répit met le maître au tapis, à l'aide un puissant coup de pied. Ryô parvient à se débattre et s'approche rapidement de Sôryu, tente de le frapper, mais celui-ci le met à terre aisément. Il s'approche alors du jeune combattant, et le soulève du sol par le cou. Le tenant en l'air à bout de bras, il s'apprête à lui donner un coup fatal, lorsqu'Iwao-sensei, toujours au sol, l'arrête : "Non... Attends !! Sous le grand arbre dans la cour. Le miroir est enterré là". Un des gardes du corps sort, et revient rapidement, le miroir à la main. Sôryu prend alors l'objet et le tend en l'air, laissant apercevoir un mystérieux tatouage sur son bras. "Iwao, te rappelles-tu de Chosonmei, l'homme que tu as tué à Môson ? ... C'est moi. Maintenant approche, je vais t'offrir une mort digne d'un combattant". Iwao tente désespérément d'atteindre Sôryu, mais celui-ci évite habilement le coup et le projette violemment. Lui et ses hommes sortent alors du dojo. Ryô s'approche difficilement de son père, et parvient à le soulever. "Fils, reste toujours près de ceux que tu aimes...". Ce furent les dernières paroles d'Iwao-San...

Difficile, après une telle claque visuelle, de croire que SUZUKI et son équipe sont parvenus à réaliser l'intégralité de cette séquence en temps réel. Et pourtant, force sera de se rendre à l'évidence, après un bref passage par le sous-menu "Information". L'ensemble graphique, et tout en particulier le rendu de la modélisation des visages, est proprement surprenant, de la part d'une console que l'on va trop rapidement enterrer.

Shenmue s'inscrit donc dans la lignée des jeux d'aventure, tout en y allouant une "réalité" dite virtuelle bien plus poussée. Le système de jeu, modestement baptisé FREE, permet au joueur une véritable communion avec son personnage. Il faut dire que le nombre d'actions à effectuer paraît infini. Il est possible de tout scruter, prendre, analyser, de parler avec tout le monde et à tout moment. Et même si l'utilité de certains objets et de quelques personnages reste à définir concrètement, ils contribuent indirectement mais intelligemment à l'immersion de l'influent -à savoir le joueur- dans le monde de YOKOSUKA. Le travail sur les dialogues, en particulier, est spécialement affolant, au vu du nombre de conversations et de voix utilisées. Chaque habitant de la ville ou des docks aura quelque chose à vous dire, allant du vulgaire "je ne parle pas aux inconnus" au renseignement concret sur l'aventure. De toutes les façons, la progression se révèle particulièrement facilitée grâce au mémo que Ryô remplit au cours du jeu de chaque indice important.

Techniquement parlant, nous l'avons évoqué rapidement un peu plus haut, Shenmue est un véritable tour de force. Sidérant de beauté et de réalisme, le soft ne laisse jamais indifférent - même après des dizaines d'heures de jeu. Sans toutefois révolutionner un genre en passe de devenir surexploité, force est de constater que SUZUKI et son équipe ont fait de Shenmue une petite merveille graphique. Le réalisme est poussé à l'extrême, autant dans la modélisation des quelques 500 personnages que dans la reproduction de la ville, des entrepôts et de leurs nombreuses pièces. Il suffit un instant de regarder les séquences d'infos du CD Passport pour imaginer la somme colossale de travail que les développeurs ont dû abattre. Une telle modélisation des visages tient véritablement de l'exploit pur et simple. Tout ceci étant de surcroît sublimé par des mouvements criants de vérités et des digits vocaux enchanteurs. Indubitablement une prouesse épique qui marquera un tournant dans la réalisation d'un jeu vidéo 🎮.

Bien entendu, cette qualité graphique se retrouve lors des phases d'aventure classiques. Les mouvements du personnage sont saisissants, tout comme les effets de lumière qui l'accompagnent lors de ses déplacements, à l'image du retour chez soi lorsque la nuit est tombée. Les scènes de présentation et d'introduction, en particulier, sont particulièrement affolantes, puisqu'étant intégralement réalisées en full 3D. Leurs mises en scène et découpages ne cessent de rappeler des séquences cinématographiques. L'ambiance est présente dès le début, tout comme le suspense qui tient à la gorge du spectateur impatient, et dans le même temps ravi. Le fond musical en particulier, tout en orchestration quasi symphonique, ainsi que les effets sonores criants de réalisme, renforcent cette atmosphère captivante. Divin, tout simplement.

Pourtant, malgré une telle majesté dans la réalisation du jeu, on a du mal à admettre quelques petits défauts. D'une part, du fait de l'immensité des lieux traversés et le mouvement perpétuel de leurs habitants, la console charge à tout moment la position de chacun d'eux. De fait, lorsqu'elle doit afficher simultanément le positionnement et la mobilité de tous ces personnages, il arrive que des ralentissements surviennent (particulièrement lorsqu'il neige ❄️ ou lorsque l'on travaille sur élévateur). De temps en temps, certains éléments du jeu apparaissent tout simplement devant vos yeux, comme si de rien n'était - un brin gênant, particulièrement lorsqu'ils stoppent net votre course.

Avec une telle intelligence dans la direction de l'aventure, la progression se retrouve "accélérée", étant donné que l'on y revient le plus souvent. Pour ma part, il m'a "suffi" d'une petite quarantaine d'heures de jeu pour mener à terme ce Chapter 1. J'en suis ressorti bouleversé, et pourtant quelque peu sur ma faim. Il est vrai qu'avec un dénouement si intense, mais sans réponse à la scène d'intro magistrale, la joueur se retrouve dans l'attente non satisfaite du Chapter 2. Shenmue ne se joue pas tel un Shining Force III, et au vu de l'importance du scénario, il paraît contestable l'idée de diviser l'histoire en chapitres...

Que dire, sinon que ces maigres défauts sont si peu face à l'océan de qualités qui constituent Shenmue...

Evidemment, il paraît impossible de décrire tous les infimes détails pléthoriques qui font de Shenmue un archétype du genre. Tout juste nous contenterons-nous de vous dire que ce monument épique aux allures de joyau ludique impressionne plus qu'il ne surprend. En outre, Shenmue est quand même devenu le titre le plus beau et le plus intéressant cette année ; pour peu qu'il le reste jusqu'à la fin de l'année, on pourra dire qu'il aura été -soyons fous- le meilleur jeu vidéo du vingtième siècle. De toutes les façons, il reste l'un des chefs-d'oeuvre du monde vidéoludique, qui mérite audacieusement de figurer au panthéon des softs les plus impressionnants, saisissants et brillants... Vive la Dreamcast !

Critique de la version occidentale

Mise à jour du 31 octobre 2000

Après de nombreux mois d'attente pour les non-japanisants, voici enfin que débarque Shenmue aux States et en Europe. Vous le savez bien évidemment, la version française n'est pas traduite dans la langue de Molière. Voyons donc ce qu'a donné l'adaptation en langue américaine. Côté visuel, rien de changé ; on a préféré jouer la carte du respect à l'œuvre originale, en conservant les kana et kanji. Toutefois, les occidentaux pourront comprendre les inscriptions grâce à un sous-titrage efficace. Les cartes de la ville, quant à elles, bénéficient des mêmes sous-titres mais, cette fois, directement à côté des caractères japonais.

Concernant les doublages (soit l'énorme majorité du travail de localisation), le bilan est mitigé. Non pas que je remette en question la qualité de l'interprétation des doubleurs américains. Car au vu du nombre impressionnant de conversations à jouer, le résultat se révèle à la hauteur - quoiqu'un léger grésillement se fait parfois sentir. Un comédien a été utilisé pour chaque voix (ouf !). Mais si le novice se contentera allègrement de ces nouveaux digits, le joueur qui aura déjà à son actif une partie complète du Shenmue japonais fera sans doute la grimace. Que cela surprend d'entendre des voix différentes ! Ryô a la voix beaucoup plus grave, Nozomi beaucoup moins douce... Un brin gênant. Ceci dit, il est un point des plus importants à noter : tous les mouvements de lèvres ont été retravaillés pour coller aux doublages US. Du bon boulot !

Au final, Shenmue doublé dans une langue compréhensible au plus grand nombre n'oppose aucune résistance. L'aventure est vraiment très guidée, et le Note Book qui servait déjà énormément en japonais vous donnera bien plus que le nécessaire dans cette version. Alors, profitez de cette "facilité", et ne faites pas comme la plupart des joueurs européens qui se désintéressent du jeu après avoir écumé la quête principale. Shenmue regorge d'à-côtés...

Ne vous leurrez pas, on s'accoutume vite à ces changements, et a fortiori lorsqu'on ne parle pas bien japonais. Après tout, la compréhension du scénario reste la plus importante. Mais des voix américaines sur un jeu typiquement japonais, ça ne colle définitivement pas !

Mis à jour le 09 février 2021