Orange Days (drama)
Tout le monde ne dit que du bien d’Orange Days. Sérieusement, c’est l’un des drama japonais, avec Nodame Cantabile, à avoir la plus forte cote de popularité et le plus gros capital sympathie auprès des spectateurs. Je ne pouvais donc pas passer à côté. Petit retour 5 ans en arrière, donc, pour cette série qui a été diffusée au printemps 🌸 2004 sur la chaîne TBS. Très succinctement, le scénario reprend le pitch d’un dorama de 1995, Aishiteiru to Ittekure (« Dis-moi que tu m’aimes »), dans lequel une apprentie comédienne tombait amoureuse d’un jeune peintre sourd. Mais Orange Days, s’il part sur un thème analogue, écrit sa propre histoire avec beaucoup de talent et sait accrocher le spectateur dès le premier épisode.
Orange Days va donc s’attarder sur quelques mois de la vie de « Orange no Kai », le « groupe Orange » constitué de 5 jeunes hommes et femmes en dernière année de fac. L’histoire va se focaliser en particulier sur l’amour naissant de Kai Yûki et Sae Hagio. Cette dernière étant une jeune violoniste et pianiste de génie, au fort caractère, qui a peu à peu perdu l’audition depuis 4 ans. En filigrane, on trouve une représentation assez fine des questionnements liés au passage à l’âge adulte : entre d’un côté le temps libre et l’insouciance de l’étudiant(e), et de l’autre la pression sociale et la surcharge de travail des salary men / office ladies. Questionnements appuyés bien sûr par la société japonaise, qui a tendance à renforcer ce clivage que beaucoup de jeunes adultes, futurs ex-étudiants, connaissent chaque année.
L’orange comme symbole a pour vocation de représenter cette époque douce-amère où l’on se cherche, où les sentiments et l’humeur font du grand huit. Mais Orange Days est aussi l’occasion de traiter du handicap, un sujet évidemment délicat et peu abordé dans les dramas (mais ne voyons pas uniquement la paille dans l’œil de son voisin, car nous ne le traitons pas beaucoup non plus). Ici, c’est la surdité qui est notamment mise sur le devant de la scène, à travers la personnalité très travaillée de Sae, qui permet de ne pas faire passer les sourds-muets pour des nids à pathos dont il faut avoir pitié. Ainsi, la relation amoureuse va devoir s’affranchir du verbiage pour se construire autrement. Mais le scénario sait ne pas cristalliser ce genre de difficultés et on appréciera beaucoup, d’ailleurs, son réalisme dans la « consommation » de l’amour. Là où Hana Yori Dango montrait à demi-champ un smack tel un bisou volé, dans Orange Days, sans jamais que cela soit vulgaire, les protagonistes vont pouvoir s’embrasser et coucher ensemble beaucoup plus naturellement.
Je vais revenir un moment sur le fonctionnement de la langue des signes (Temane, en japonais) tel qu’il transparaît dans le drama. Outre le fait amusant que l’interprète de Sae soit une chanteuse de j-pop à succès, il est intéressant d’en voir la traduction à l’écran. D’abord, le sous-titrage japonais du langage des signes est écrit comme si Sae s'exprimait à l'oral. Au point qu’il reprend les codes linguistiques modernes avec intonations, contractions, et choix de mots liés au statut social, à l’âge, au sexe et à sa forte personnalité. Chose qui, évidemment, n'est pas possible avec autant de précision à travers les signes, malgré l'intention. Il n'est absolument pas question ici de déprécier cette langue mais de remarquer, par exemple, que Sae ne peut souvent s'exprimer qu'en plaçant les différents mots les uns après les autres. Je pense donc à l’absence de particules, véritables rouages de la langue japonaise, ce qui occasionne d'ailleurs quelques échanges et incompréhensions chez les protagonistes. Mais le sous-titrage, lui, fait fi de cette carence. On imagine que les auteurs voulaient pousser l'identification... Quand on connaît le désintérêt notable des Japonais pour le sous-titrage filmique (je parle d’un exemple comme Nodame Cantabile en France, et pas des accompagnements dans les talk-shows à la télé), on comprend un peu mieux. D’ailleurs, Kai et autres, qui utilisent la langue des signes pour communiquer avec Sae, ont souvent tendance à verbaliser pendant qu’ils signent.
Parenthèse fermée, je voulais également insister lourdement sur l’interprétation dans Orange Days, tout à fait remarquable pour tous les acteurs, et absolument marquante pour Kou Shibasaki qui interprète l’héroïne sourde-muette. Autant Tsumabuki Satoshi (Kai), Miho Shiraishi (Akane), Konishi Manami (Maho) ou même Narimiya Hiroki (Shohei) sont crédibles dans leurs rôles et dans l’utilisation –aisée ou limitée– de la langue des signes, autant Shibasaki est éclatante. Déjà physiquement, elle correspond tout à fait à ce personnage de jeune femme sublime au caractère de goret, mais elle sait magnifier son interprétation par une utilisation étourdissante de sa palette de sentiments, et une exploitation parfaite (vu de l’œil d’un néophyte) de la langue des signes. Sans connaître le contexte, on pourrait jurer que l’actrice est elle-même sourde. Elle a notamment fait un travail extraordinaire sur le regard et sur les émotions transmises. Clairement, Shibasaki Kô est le pilier de ce drama et, avec d’autres rôles comme la folle Mitsuko de Battle Royale ou Dororo, elle devient sans aucun doute possible, une des actrices phares de sa génération. Dans le reste du casting, on remarquera Eita et Ueno Juri, encore jeunes à l’époque dans leur apparence comme leur interprétation, ainsi que des apparitions de Yamada Yu, Matsumoto Jun ou encore Sato Eriko. Bref, plutôt du lourd.
Il faut également parler de la bande-sonore, évidemment capitale avec ce genre de sujet. Les pistes musicales ont cette empathie et cette justesse très judicieuses. Mais elles savent aussi se retirer pour laisser place à de simples bruits assez reposants. L’accompagnement ne va pas, en revanche, pousser la recherche esthétique jusqu’à la beauté paroxystique atteinte par Babel lors de la scène de la boîte de nuit. À part deux ou trois courtes séquences, qui restent intéressantes, je ne peux m’empêcher de penser qu’elles auraient mérité plus de place. Cela dit, tout est particulièrement bien construit, plutôt rythmé (bon ok, à part les pseudo-rivaux heureusement pas téméraires), et surtout très émouvant sans être larmoyant. Croyez bien que j’aurais fustigé Orange Days si ç’avait été le cas mais heureusement, les auteurs ne sont pas tombés dans le piège.
Pour être honnête, après pas mal de dramas, je suis vraiment ravi de pouvoir être autant surpris par une série à la base romantique. Autant on connaît le talent incroyable des Japonais pour l’humour décalé et décapant, autant on leur sait aussi plus de lourdeur sur les thèmes amoureux, quand ils ne rentrent pas dans le fantasmatique assumé à la I’’s. Orange Days, lui, passe tous les standards haut la main et offre un spectacle d’une richesse et d’une justesse rarement atteintes dans son genre. Chapeau (très) bas !