braid

Braid

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Il est assez ironique que Braid ait été imaginé et conçu par un Américain, nation qu’on range volontiers dans des considérations plus guerrières. Pour ce qui est des jeux vidéo ou de l’animation, les concepts envolés ou poussant à réflexion sont, généralement, plutôt l’apanage des Japonais. Mais laissons de côté ces poncifs éculés, car la sensibilité (et son absence) face à une œuvre n’a pas de frontière. Braid, de toute façon, ne toucherait qu’une certaine frange de joueurs : ceux qui ont un minimum de recul sur le média, peut-être une volonté de l’élever à un niveau plus culturel, ou en tout cas d’y chercher matière à réflexion sur des concepts plus vastes. Pour moi, ça a commencé avec quelques RPG des années ’90 : Secret of Mana et d’autres sur Super Nes, Final Fantasy VII et surtout Xenogears.

Braid impose son angle dès qu’on lance le jeu la première fois : pas de « Press Start », pas de menu d’options, on commence par le monde 2. De quoi écrémer l’expérience des Kévin en puissance. On ne peut pas « mourir » dans Braid ou plus exactement, contrairement à la vision Prince of Persia de cette fin en soi, il n’y a pas d’intérêt à ce que l’avatar « perde ». Car cela n’a pas d’importance ; on y contrôle le temps à travers 6 visions plus ou moins complexes de la relation de causalité. Mais nous y reviendrons. Sur le plan ludique, là où je parlais de leçon de game design sur Super Mario Galaxy, Braid en est une autre. Il réinvente la manière dont est abordé le plateformer 2D, dans un mélange entre les plus beaux passages de Mario, Gyromite, Cave Story ou encore Donkey Kong. Des références triple A comme celles-ci, le jeu en a bien d’autres, mais il sait les dépasser pour créer un environnement complexe qui mêle une partie puzzle essentielle. Revenir dans le temps ne sert pas à ne pas perdre, il s’agit plutôt de résoudre des problèmes posés. Chacun des mondes est construit sur un postulat ludique de gestion du temps différent, et décliné en quelques tableaux tout au plus : gestion du flot temporel, apprentissage de ses erreurs et prix à payer, construction autour de la notion de point de vue qui change la réalité… L’intelligence et la logique parfaite de la conception de Braid n’ont pas fini de vous surprendre.

Au-delà de ces considérations interactives, Braid est avant tout une narration très audacieuse. Il décline une ambiance proche de ce que fait Fumito Ueda avec ICO et Shadow of the Colossus ; on y retrouve également des accents de Passage. Mais là où les jeux cités ci-dessus s’exprimaient sur le plan graphique, presque sans texte, Braid fait l’inverse : il offre d’abord plusieurs niveaux de lecture textuelles, puis de nombreux indices graphiques qui n’ont aucune valeur si l’on n’a pas vu son Epilogue et réfléchi autour. Le monde 1 est à la fin d’une quête de pièces de puzzle, au propre comme au figuré, mais il est également son introduction. Braid n’est pas une narration en Omega, c’est un cycle terriblement déroutant une fois qu’on en a fait le tour (en l’occurrence, on ne peut pas parler de « terminer » un jeu). Tout cela s’évanouit alors en apothéose sur le sixième monde (le « World 1 ») qui est une réussite ludique et culturelle absolument supérieure. Toutes les actions ont un impact, sur la manière dont on a joué, dont le jeu a voulu nous faire progresser, l’apprentissage d’une leçon, la volonté et le pouvoir, sur les erreurs qui ont été commises, le retour d’expérience et son apogée, les conséquences du besoin et de sa satisfaction. Bluffant.

Braid a été développé en 2005 par Jonathan Blow, un indépendant qui a lui-même financé le projet. Ce n’est qu’avec l’aide de David Hellman pour son travail graphique et de Jami Sieber pour ses compositions musicales et leurs mutations, que le titre a pu sortir sur Xbox Live Arcade l’été dernier, et ces jours-ci sur ordinateur. Ces gens-là ont un recul nécessaire sur le jeu vidéo 🎮 pour en livrer une lecture bouleversante. Braid donne de réelles lettres de noblesse à la notion de vidéoludisme, à l’heure où tant de jeux aujourd’hui se contentent de livrer du divertissement linéaire sans originalité, de plus en plus proche du cinéma interactif. On ne juge pas un livre à sa couverture, et si vous plongez dedans, je ne sais pas si vous pourrez en ressortir. Plus largement, je ne vois tout simplement pas comment on peut prétendre continuer à jouer à des jeux vidéo sans avoir connu Braid.

Pour ceux qui ont fait le tour de Braid, consultez cette analyse du scénario

Mis à jour le 06 avril 2015