Wii U et ses jeux : impressions
Cela n’aura échappé à personne : la Wii aura réussi non seulement à remettre Nintendo en tête de la guerre des consoles, après deux générations de traîne (N64 et GameCube), mais également à installer le jeu vidéo 🎮 dans les foyers des non-joueurs. Ca, c’est pour le double tour de force, qui se solde par 100 millions de ventes du hardware. Maintenant, l’excitation sur cette Wii est retombée comme un soufflé, d’abord chez un public très difficile à capter sur le long terme, mais également auprès des gamers dont beaucoup se sont sentis trahis malgré un catalogue, certes limité, de titre exceptionnels.
Après une présentation en demi-teinte la semaine dernière lors d’un E3 qui l’aura été tout autant, la Wii U qui lui fait office de successeur dès la fin de l’année, a tout à prouver. Julien vous a déjà servi il y a quelques jours un compte-rendu de l’E3 2012 long et passionnant. Pour ma part, j’ai été invité par Nintendo à tester en avant-première la console, sa manette-tablette et les versions jouables des premiers jeux prévus à sa sortie.
Mon sentiment avant d'aller essayer la Wii U était mitigé. Je reste déçu par certaines annonces, tel que le recyclage jusqu’à la corde de New Super Mario Bros. au détriment de nouvelles licences, la puissance faiblarde de la machine pour 2012, ou encore le manque flagrant de killer-app de lancement (où sont les vrais nouveaux Mario, Zelda, Metroid, F-Zero, Smash Bros., Donkey Kong…?). Dans le même temps, je suis paradoxalement et étonnamment excité par l’écosystème MiiVerse / Wara-Wara / Nintendo Network, et surtout par la capacité de Nintendo à explorer des pistes ludiques dans ce nouveau gameplay asymétrique dont il parle, GamePad en premier lieu. Mais l'exploiteront-ils vraiment ?
Voici mes impressions, donc, après quelques heures passées sur la Wii U et ses jeux. Vous pouvez cliquer sur les miniatures pour afficher les photos en taille réelle.
Wii U et GamePad en mains
Mes premières remarques concerneront la "mablette" (pour manette-tablette), officiellement nommée GamePad. Connaissant Nintendo, je n'étais pas inquiet sur l'ergonomie, mais après avoir constatée que la manette classique (baptisée Wii U Pro) est juste pompée sur celle de la Xbox 360, on pouvait attendre d'avoir la mablette en main pour crier ouf. Soyez rassurés : le GamePad est un contrôleur extrêmement efficace dans sa prise en main et son interface utilisateur. Léger (500g), confortable, agréable, précis et très complet dans ses fonctionnalités, il passe la charte qualité Nintendo sans effort. Je n'ai eu aucun problème de calibrage, que certains avaient noté. Mais il n'est pas exempt de défauts non plus : l'autonomie est faible (3 à 5 heures annoncées), et il fait chuter le framerate de 60 à 30 images par seconde dès que deux GamePads fonctionnent simultanément.
J'attendais également de voir son écran en action. Certes, il s'avère assez impressionnant en situation de jeu, sur une diagonale intéressante de 6,2 pouces, bien qu'il semble un peu "flotter" sur un GamePad finalement assez large. Je m'étonne aussi à demi-mot de la qualité du rendu, que j'ai trouvé assez peu contrasté face aux télés HD. On est très loin d'un écran Retina d'iPhone ou iPad, par exemple. Idem pour le toucher : n'étant pas multipoint, impossible de zoomer en pinçant par exemple.
C'est un peu le constat que je fais sur l'ensemble du hardware : après l'avoir tâté pendant plusieurs heures, je le reconnais comme un beau produit mais qui manque d'un tout petit poil de finition, et surtout de véritables concepts qui le justifient. Ma principale inquiétude est sur le positionnement marketing de sortie : alors que le grand public commence à peine à comprendre qu'il s'agit d'une nouvelle console différente de la Wii, Nintendo communique sur la Wii U et surtout le GamePad en le présentant presque comme un nouvel accessoire compatible, au même titre que le reste de la gamme (Wiimote en tête, Balance Board et manettes classiques également). Et comme la Wii U est physiquement très proche de sa grande soeur...
C'est bien là le problème : pressentie à 300€, livrée avec un GamePad et Nintendo Land, pour un prix de GamePad seul à 100€ minimum, la Wii U semble déjà galérer pour afficher Batman Arkham Asylum aussi bien que sur PS360, alors qu'elles ont déjà 7 ans. Comment se débrouillera-t-elle avec le multisupport dans un an et demi, quand la nouvelle génération Microsoft / Sony sera sur le marché ? Comment justifier l'absence de disque dur, à l'heure où même Nintendo veut se mettre au DLC ? Et même en restant sur les jeux exclusifs Wii U, imaginez le budget nécessaire pour jouer avec ses amis et profiter de l'expérience ludique complète de la compilation livrée avec la machine...
Nintendo Land
Correctement présenté partout comme le Wii Sports de la Wii U, Nintendo Land était sans doute l'expérience la plus intéressante de la présentation. Il s'agit tout bêtement d'une compilation de jeux de société pour se familiariser avec les nouvelles fonctionnalités, utilisant les licences Nintendo. 12 mini-jeux seront présents sur la galette lors de la sortie ; seuls 5 étaient jouables hier.
Luigi's Ghost Mansion et Animal Crossing Sweet Day sont assez proches l'un de l'autre. Il s'agit de clones de Pac-Man Vs., sorti à l'époque sur GameCube et Game Boy Advance. Ces deux jeux se jouent à 5, avec un chat 🐈 au GamePad qui cherche à attraper les souris aux Wiimotes. Les systèmes fonctionnent bien : on se prend vite au jeu et les contrôles très intuitifs (même avec la désynchronisation des sticks pour contrôler deux chasseurs dans AC) incitent à la communication et les rires. Mais le vrai problème est qu'a priori, ils se jouent uniquement à 5 ! J'ai bien peur pour le coût total de l'expérience et la difficulté de regrouper simultanément 5 joueurs volontaires.
D'ailleurs, avec le GamePad, pour Nintendo, 5 est le nouveau 4 !
Zelda Battle Quest est un banal shooter sur rails, jouable à 3, qui n'a de Zelda que le nom : le style graphique très pauvre n'exploite que quelques rares éléments graphiques de l'univers légendaire, et les protagonistes y sont des Miis. Son gameplay est également très limité : on n'y dirige pas les personnages mais seulement les coups d'épée et le bouclier pour les deux Wiimotes, et un arc avec des flèches pour le GamePad.
Restent deux jeux en solo. Je passe rapidement sur un autre rail shooter, Takamaru Ninja Castle, où l'on se contente de frotter l'écran du GamePad en visant la télé pour lancer des shurikens sur des ninjas. Le plus intéressant était sans doute Donkey Kong Crash Course, héritier des jeux d'arcade à l'ancienne, proposant un die and retry au gyroscope. Après l'avoir essayé, on ne veut plus le lâcher !
Cet éventail ne proposait que 5 des 12 jeux disponibles dans la version finale, mais je suis relativement circonspect sur ce Nintendo Land. Il devrait être "offert" avec la console, mais on sent quand même l'ensemble de démos technologiques développées dans le cadre de la recherche et développement sur le GamePad, et rapidement maquillées avec une couche de peinture Nintendo. Il y a du très bon là-dedans, ne serait-ce que pour appréhender la machine et ses routines, mais pour l'instant, rien d'aussi percutant que Wii Sports à son époque. Et si Nintendo Land ne le fait pas, qui endossera ce rôle ?
New Super Mario Bros. U
Grosse déception que cette présentation lors de l'E3 : alors que j'attendais un vrai nouveau Mario triple A du niveau qualitatif de Mario Galaxy, on se retrouve avec un énième titre de plate-forme 2D dans lequel le rôle du GamePad est limité à créer des blocs en tapant sur son écran pour aider ou gêner les joueurs ! Je n'en reviens toujours pas qu'un produit aussi bon, mêlé à cette prestigieuse licence, le tout passé entre les mains des designers de Nintendo, donne un résultat aussi futile.
À force de faire jouer la cash-machine sans même plus se donner la peine de renouveler les concepts, Nintendo va finir par non seulement tuer la poule aux oeufs d'or, mais également dégrader l'image d'une saga qui a toujours conservé la barre très haut. En l'état, je ne vois aucun intérêt à acheter ce New Super Mario Bros. U. Je ne suis même pas certain qu'il offre un intérêt pour les petits et encore moins pour les casual gamers, alors que New Super Mario Bros. Wii est facilement trouvable à un prix très intéressant.
Le plus inquiétant est que Rayman Legends, des Français d'Ubisoft décidément très en forme ces temps-ci, propose un gameplay 2D qui tire réellement partie des fonctionnalités du GamePad, en plus d'être magnifique et très fun. Quitte à acheter un plateformer 2D sur Wii U fin 2012, il est évident que la balance va nettement pencher vers le nouveau Rayman.
Les autres : Pikmin 3, Zombi U, Wii Fit U, Game & Wario
Je suis, une fois de plus, très étonné par Pikmin 3. Le retour de cette série devait marquer un contrepoids efficace au paysage vidéoludique actuel. Certes, le jeu est très agréable visuellement, avec son 1080p tilt-shift, mais alors quel ratage de timing ! Le titre n'est même pas jouable au GamePad, qui sert de carte alors que l'on dirige ses Pikmin à la Wiimote. Ce mode de contrôle est évident, mais dans ce cas, pourquoi ne l'avoir pas sorti directement sur Wii qui s'y collait si bien ? En l'occurrence, le bonus Wii U est pratiquement inexistant. Les joueurs qui l'essayaient ne masquaient même pas leur déception : "ah, mais il ne sert qu'à ça, l'écran de la manette ?" . Ajoutons que ce Pikmin 3 n'aura pas de mode en ligne, et la messe est dite : ce jeu a six ans de retard.
Je m'étonne également de la petite hype qui s'est formée autour de Zombi U, éminemment symptomatique de l'absence de vrai titre fort sur Wii U. Soyons honnête : ce jeu, c'est le Red Steel de la Wii U. Deux mois après sa sortie, on le trouvera par brouettes à 15€ sur PriceMinister ou Ebay. En l'occurrence, il s'agit d'un FPS / survival horror relativement classique, à l'exception près que l'écran du GamePad permet de gérer son inventaire ou résoudre des énigmes. Ah, et il est particulièrement peu impressionnant techniquement. Quelques mois après la sortie de la Wii U, on l'aura déjà oublié...
Pas grand chose à dire non plus sur Wii Fit U. Il s'agit plutôt d'un add-on aux deux premier opus de la série, offrant de nouveaux mini-jeux compatibles avec la Wii Balance Board. J'attendais plutôt de voir la compatibilité GamePad et les nouveaux concepts qui en découleraient. Il y a du bon et du moins bon dans ce que j'ai pu essayer : parfois la mablette est inutilisée, ailleurs elle fait partie du mini-jeu. J'espère en fait beaucoup plus du jeu décentralisé de la télé, "tout sur le GamePad", qui permettra vraiment de s'entraîner sans gêner toute la pièce à vivre.
Enfin, un petit mot sur Game & Wario. On en a très peu entendu parler pendant l'E3, d'ailleurs il n'était pas présenté lors de la conférence Nintendo. Pourtant, c'est typiquement l'un des jeux porte-étendards des nouveaux gameplay Nintendo. Encore une fois : petite déception, car les mini-jeux proposés lors de cet essai duraient plusieurs dizaines de secondes. Où est le charme de l'enchaînement fou auquel le GamePad se serait si bien prêté ? J'espère qu'un mode plus rythmé est prévu pour la version finale.
Bilan en demie-teinte
Vous l'aurez compris, je ne suis certainement pas encore convaincu par la Wii U après cette longue prise en main. Le concept est accrocheur quoique limité (mais Nintendo nous y a habitués), mais ce que je déplore le plus, c'est un line-up famélique en vrais concepts qui portent la console et son GamePad. Les démonstrateurs passaient leur temps à nous vanter les mérites des nouvelles fonctionnalités. C'est leur job, évidemment, mais il y avait quelque chose d'assez grotesque à s'entendre dire avec enthousiasme : "si vous penchez le GamePad, l'angle du shuriken change !" ou encore "regardez, vous pouvez créer des plateformes pour vos amis en cliquant sur l'écran !" .
Plus grave, après s'être coupé de beaucoup de gamers, Nintendo prend le risque de s'éloigner d'une partie de ses fans, lassés des redites fainéantes et de l'absence de véritable bonne exploitation de ce concept pourtant prometteur. Il est loin le temps du "shut up and take my money !" . La crise et la consommation d'applis smartphones 📱 / tablettes sont passés par là, et le budget demandé par Nintendo pour profiter de l'expérience Wii U semble disproportionné. Justement, le grand public va-t-il s'y retrouver ? Rien n'est moins sûr, et la donne risque d'être différente si la mayonnaise ne prend pas.
Après avoir trébuché lors du lancement de sa 3DS et frôlé la catastrophe à cause d'un manque de bons jeux et un prix prohibitif, Nintendo s'apprête à réitérer exactement les mêmes erreurs avec sa Wii U. À eux de me faire mentir, mais je ne lui prévois pas un lancement de folie et, dans cette prévision, il n'est pas conseillé de se jeter dessus dès sa sortie...
Je suis d'autant plus déçu qu'avec le relatif immobilisme de ses deux constructeurs concurrents, et leur frilosité à nous servir autre chose que les jeux de guerre abrutis et les jeux à la troisième personne dans des couloirs, Nintendo avait un boulevard pour nous servir leur véritable innovation et la créativité qui renouvelle le marché. Avec cette Wii U j'ai l'impression qu'ils se sont reposés sur leurs lauriers, proposant un mélange naïf du gyroscope / accéléromètre de la Wiimote avec l'écran tactile DS. Résultat, un concept intéressant mais bancal pour les non-gamers, une nouvelle console que la communication n'a pas éclaircie, un tarif étrangement élevé (à confirmer), et un manque cruel de jeux pour supporter le tout.
À suivre entre fin novembre et début décembre, lors de la sortie mondiale, que je vais essayer de vous faire vivre depuis le Japon.