Arts martiaux : s'entraîner au Japon
Pratiquer dans un dojo japonais
S’entrainer au Japon est un rêve pour beaucoup de pratiquants avec tout ce que cela implique en termes de mythes. Être Uchi-Deshi et s’entrainer sous la direction du maitre des lieux, tout en effectuant les taches ménagères pour obtenir le gite et le couvert. Bien que possible, cette pratique est de plus en plus rare mais il reste heureusement d’autres moyens de pratiquer au Japon.
Plusieurs lieux peuvent accueillir les pratiquants, et pour chacun d’eux les formalités sont différentes. Une lettre de recommandation n’est pas toujours nécessaire, mais souvent recommandée.
Les Hombu Dojos des grandes associations
Ils sont probablement les plus accessibles pour les Gaijin. Accessibles aux locaux comme aux étrangers, ces « headquarters » proposent de nombreux cours par jour et il est possible d’y aller pour quelques jours ou plusieurs mois. On trouve les plus célèbres à Tokyo : Kodokan, Aikikai, Kyokushinkai, et leurs sites internet 📶 donnent un certain nombre d’infos utiles.
A ma connaissance, avoir une recommandation pour ces lieux n’est pas nécessaire mais elle peut ouvrir quelques portes. Si Christian Tissier vous recommande chaudement auprès de l’Aikikai, votre visite ne sera certainement pas la même.
Les disciplines plus confidentielles
Qu’il s’agisse de Koryus ou d’écoles traditionnelles dont le but premier n’est pas de développer le nombre d’adhérents, c’est tout de suite plus compliqué et une recommandation sera vivement recommandée voire absolument nécessaire. Cette lettre de recommandation ne peut pas être écrite par n’importe qui et engage clairement son auteur. Ça implique donc de connaitre du monde, mais aussi que le « monde » en question vous connaisse suffisamment pour prendre ce risque. A noter aussi qu’il est difficile de recommander une centaine de personnes par an…
Ce sont personnellement les disciplines qui m’attirent le plus, ne pratiquant pas l’un des grands Budo.
Il m’aura fallu presque 2 ans entre mon arrivée en Asie et mon premier entrainement dans un dojo de ce type. Recommandé par Roland Hernaez, j’avais pu rejoindre un groupe de pratiquants du Nihon Tai Jitsu et m’entrainer avec les maitres du Seibukan, du Daito Ryu Takumakai et du Gyokushin Ryu Aikido (ex Yoseikan Aiki). Sans cette recommandation, je chercherais probablement encore la porte d’entrée.
Chez certains maitres, c’est au contraire beaucoup plus facile. J’ai ainsi pu rencontrer Akuzawa sensei, fondateur de l’Aunkai, très facilement grâce à l’un de ses élèves avancés.
En revanche, si l’accès est difficile, ces lieux sont aussi plus personnels. Une fois rentré, vous faites partie de la famille. Le Kodokan voit passer des milliers d’élèves tous les ans, dont un tres grand nombre d’étrangers. Si c’est un bon endroit pour travailler avec des pratiquants d’autres cultures, le mythe du petit dojo et de la relation privilégiée avec le maitre est loin.
Plusieurs autres éléments sont à considérer pour pratiquer au Japon, notamment la barrière de la langue, le niveau de pratique et le logement.
La barrière de la langue
Comprendre une pratique martiale fine sans y mettre les mots me semble tenir de la gageure. C’est bien sur faisable, en subissant les techniques et en se faisant corriger directement par l’enseignant mais cela reste assez limité.
En ce qui me concerne j’ai eu la chance de rencontrer des enseignants qui parlaient suffisamment anglais ou qui avaient prévu un traducteur. La différence est incommensurable et je n’ose imaginer ce que j’aurais pu tirer de mes séjours si tout avait été en Japonais.
Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a une vie après l’entrainement et qu’il serait malheureux de faire 12,000 kms pour se regarder dans le blanc des yeux pendant les repas sans être capable d’échanger deux mots. Ne serait-ce qu’en Anglais à défaut de parler Japonais.
A titre personnel je suis convaincu que parler la langue ne peut qu’ouvrir des portes. Le simple fait de bredouiller deux mots étant déjà fortement apprécié. Le Japon reste un pays avec ses codes, difficiles a décrypter sans une compréhension ne serait-ce que partielle de la langue.
Le niveau de pratique
Être Japonais ne signifie pas être un bon pratiquant/enseignant. Encore moins a l’heure ou le base-ball est le sport national au pays du soleil levant. Si les maitres d’une qualité exceptionnelle y existent, on peut également en trouver plus proches de chez nous. On peut aussi y trouver des pratiquants médiocres et il me semble important de faire cette recherche en amont pour éviter d’être déçu.
A l’inverse, avoir soi-même un niveau minimum me semble souhaitable pour profiter au maximum de cette expérience.
Le logement
Dormir au dojo fait partie du rêve, mais comme on peut le deviner, ça n’est pas toujours possible, les associations étant souvent locataires. C’est là que Kanpai intervient pour vous donner des bons plans !
Entre rêve et réalité
Il me semble utile de casser quelques mythes. Un voyage au Japon est une expérience particulièrement riche et pour beaucoup une chance unique de pratiquer à la source, mais cela peut vite virer au cauchemar.
Tout d’abord il ne faut pas croire que les Japonais sont forcément meilleurs. J’ai parfois entendu qu’un 1er dan Japonais valait un 3ème dan Français. C’est mignon et ça participe au mythe mais c’est bien évidemment faux.
Bien sûr on peut trouver au Japon des maîtres remarquables, qui n’ont que peu de concurrence à travers le monde, à l’image de Kuroda Tetsuzan par exemple. Mais pour beaucoup, le niveau n’est pas nécessairement supérieur à celui que l’on peut trouver plus près de chez soi, le folklore en moins. Je me souviens par exemple d’une démonstration il y a quelques années, qui avait de quoi rendre plus d’un pratiquant dépressif. La coupe d’un bambou au sabre qui finit avec la lame coincée, des Aikidokas pourtant gradés manifestement sous sédatif, etc. Peut-on vraiment considérer que l’on apprendra plus du Doshu a l’Aikikai que de Christian Tissier à Vincennes ? Probablement pas, mais c’est le Doshu et l’Aikikai. Difficile de lutter.
Un maître, où qu’il soit, a deux jambes, deux bras. Il s‘habille tous les matins, comme nous et n’est pas doué de super-pouvoirs. Si certains ont des capacités hors du commun, elles sont liées à leur travail et à des qualités innées, mais finalement assez peu à la géographie. Alors oui, bien sûr, on peut considérer que le pays source devrait avoir plus de pratiquants, une meilleure transmission et donc au final de plus grands maîtres. Mais ce serait oublier le fait que les arts martiaux, et en particulier les Koryus, n’ont pas tellement la cote au Japon. Le sport le plus pratiqué est probablement le Baseball. Le Judo comme le Kendo sont très pratiqués car obligatoires à l'école mais tous les arts ne sont pas dans ce cas. Trouver des écoles de Jujutsu n’a rien d'évident, de même pour tous les arts anciens. A l’exception des Budo modernes, la pratique reste confidentielle.
A titre de comparaison, la France doit compter environ 60,000 Aikidokas, et 10 fois plus de Judokas. Les disciplines plus confidentielles y sont relativement bien représentées, avec du Daito-Ryo, du Kokodo, du Yagyu Singan Ryu, etc. pour ne parler que du Japon. Et bien entendu les enseignants parlent français, ce qui ne peut que faciliter les choses. Sans compter un coût incomparablement plus faible et le fait d’avoir un enseignant qui peut vous suivre sur plusieurs années.
S'entraîner au Japon se prépare soigneusement. Un tel voyage implique de rencontrer les bonnes personnes et de s’assurer qu’elles vous enseigneront quelque chose de qualité. De même, ce n’est pas parce qu’une pratique est de qualité qu’elle vous apportera quelque chose si ça n’est pas ce que vous cherchez (en allant pratiquer un autre style par exemple) et il est important d’en être conscient.
La frontière entre le rêve et la désillusion est mince et c’est la façon dont vous préparerez ce séjour qui fera toute la différence.