Village Olympique Tokyo 2020 1

JO de Tokyo 2021 : chronique d'un échec à la japonaise

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Les Jeux Olympiques 🏅 de Tokyo 2021 commencent dans quelques jours à peine. Comme nous le prédisions il y a bientôt un an peu après le report d'un été, et contre l'avis à la fois des Cassandre en tout genre mais surtout de la population japonaise elle-même, ils n'ont été ni annulés ni reportés à nouveau (ce qui ne signifie pas que leur tenue dans ces conditions nous enchante).

Cela ne se déroule toutefois pas sans mal et, à bien des égards, ce qui devait être un coup de balai sur le douloureux épisode de Fukushima en 2011, puis la preuve de la victoire sur le Coronavirus 🦠 selon les communications officielles successives, s'est transformé en un évènement bourré de casseroles en tout genre qui le font aujourd'hui ressembler à une mascarade ou presque.

On se retrouve en tout cas très loin de la fête attendue ou espérée, et l'on se demande bien :

  • d'abord qui aujourd'hui approuve ces JO, à part évidemment le CIO qui empoche l'essentiel des recettes ;
  • et peut-être surtout quelle trace laisseront-ils dans l'Histoire et quelles conséquences sur l'image du Japon sont à prévoir ?

Tour d'horizon (parfois douloureux) des circonstances et erreurs qui conduisent aujourd'hui, avant même qu'ils n'aient démarré, à l'échec attendu de Jeux Olympiques qui ont perdu tout leur esprit.

🙅 L'absence totale de spectateurs

C'est évidemment l'écueil le plus visible de l'évènement, ainsi qu'une triste première dans l'Histoire.

Le 21 juin, les autorités japonaises assuraient encore que jusqu'à 10.000 Japonais pourraient assister aux épreuves. Une loterie devait être organisée pour choisir les porteurs de billets qui auraient eu le droit d'y accéder, alors même que l'obtention initiale des billets avait fait l'objet d'une... loterie. Le couperet final est tombé le 8 juillet : la déclaration d'un nouvel état d'urgence étonnamment tôt (seulement 3 semaines après la fin du précédent) et jusqu'au 22 août conduit le gouvernement à décider de tenir les JO à huis clos. Les organisateurs ont même demandé au public de s'abstenir de venir assister aux épreuves de marathon qui se dérouleront à Sapporo, sur l'île septentrionale de Hokkaido pour cause de chaleur étouffante dans la capitale.

Les étrangers, eux, avaient déjà été écartés dès la mi-mars :

Tristement, les Tokyoïtes seront donc cantonnés à regarder leurs propres Jeux Olympiques comme tous les autres spectateurs du monde entier : devant la télévision. Et chacun devrait forcément ressentir le malaise face aux ambiances froides pendant les cérémonies ou les compétitions : sans applaudissements, sans encouragements (même si lorsqu'ils étaient encore autorisés, les spectateurs n'auraient de toute façon pas été autorisés à crier pour supporter les athlètes...). Avant l'apparition du pass sanitaire en Europe, lorsque les matches de foot ou de rugby se tenaient encore à huis clos, des enregistrements de foule étaient diffusés lors des retransmissions pour simuler l'ambiance ; un dispositif similaire devrait être mis en place pendant les JO pour compenser.

Outre les spectateurs lambda, le Japon cherche même à réduire le nombre des VIP internationaux qui pourront assister notamment à la cérémonie d'ouverture. Ainsi, le chiffre doit être abaissé à moins de 1.000 au total. Seuls quelques privilégiés seront de la partie (on parle de 15 leaders mondiaux), dont l'Empereur du Japon Naruhito, Emmanuel Macron (qui devrait aborder le terrible cas Vincent Fichot) ou encore la Première dame américaine Jill Biden. Le président sud-coréen Moon Jae In, avec lequel les relations diplomatiques japonaises sont au plus bas depuis des décennies, a annoncé quelques jours avant qu'il ne viendrait finalement pas. Des hauts responsables de Taïwan et bien d'autres nations ont également jeté l'éponge. Quant au président de l'OMS, il viendra au cours des Jeux échanger avec le Premier ministre Suga sur les mesures anti-Covid mises en place.

Pendant ce temps, le président du Comité International Olympique Thomas Bach, lui, se balade tranquillement au Japon depuis le 8 juillet, jusqu'à Hiroshima. Sa présence n'était déjà pas très appréciée par l'opinion japonaise, mais son retentissant lapsus (il a évoqué "le peuple Chinois" à la place des Japonais) ne devrait pas aider à faire remonter sa cote de popularité.

Enfin, au risque d'insister : quid du remboursement pour les fans ayant dépensé des sommes plus ou moins importantes pour obtenir difficilement des billets ? Les autorités nipponnes se montrent étonnamment peu disertes à ce sujet, affirmant juste que les billets déjà achetés seraient remboursés, sans détail sur un quelconque délai.

🦠 Le risque d'infections Covid mal maîtrisé

Au moment où cette décision du huis clos est annoncée, dans les premiers jours de juillet, la courbe des atteints par le Corona au Japon est alors très basse : on recense une moyenne hebdomadaire de 2.000 nouveaux cas par jour, soit un niveau jamais retrouvé par la France (qui teste certes beaucoup plus) à population constante. En cause du choix, évidemment, vient la crainte du variant Delta qui représente 1/3 des cas au Japon à la mi-juillet, et ses remontées spectaculaires vécues par les vagues des pays déjà submergés par cette version indienne du Coronavirus. Comme tous les autres, le Japon n'y coupera sans doute pas.

Il reste toutefois intéressant de comparer la différence de traitement avec une autre compétition assez proche dans son déroulé récent : l'Euro de foot, repoussé d'un an dans des conditions semblables. Ses matches se sont récemment tenus avec des dizaines de milliers de spectateurs : jusqu'à 60.000 à Wembley en Angleterre lors de la finale du 11 juillet, alors que le pays déclarait 32.000 nouveaux cas de Covid quotidiens en parallèle. En cause, l'avancée de la vaccination dans les deux pays : le Royaume-Uni a déjà injecté une première dose à près de 70% de sa population, quand le Japon qui lutte pour rattraper son retard atteint péniblement les 30%. On ne prend certainement pas la même décision quand plus des 2/3 de ses citoyens risquent de contracter une forme grave en cas de contamination...

Pendant ce temps, pour ajouter à l'hypocrisie de l'organisation japonaise, n'oublions pas de noter que les matches de baseball ou encore les tournois de Sumo en intérieur (celui de juillet à Nagoya vient juste de se terminer) accueillent tranquillement plusieurs milliers de spectateurs depuis la fin du premier état d'urgence il y a un an !
Mais, alors que la courbe des cas au Japon a repris sa dynamique à la hausse depuis déjà un mois, en particulier chez les jeunes non vaccinés comme partout ailleurs, nul doute que les JO sont le coupable idéal de la flambée à venir... Quant au CIO, rejettera-t-il a posteriori sur l'organisation japonaise les problèmes qui ne manqueront pas de survenir pendant ces 2 semaines sous tension ?

🔥 L'absurde relai de la flamme olympique

Après un démarrage du relai sur l'archipel le 25 mars, la flamme olympique est arrivée à Tokyo le 9 juillet. Elle est alors remise à la gouverneure Yuriko Koike (qui sortait depuis peu d'une dizaine de jours d'hospitalisation pour surmenage, tiens donc !) dans un nouveau stade olympique parfaitement vide. Tout le relai Tokyoïte se tiendra de la même manière : hors des voies publiques sans spectateurs.

Mais les 3 mois et demie de circuit à travers le Japon avaient de toute façon déjà donné le ton :

  • spectateurs exclus la plupart du temps ;
  • annulation totale du relai sur certains territoires (à Okinawa et Fukuoka notamment) ;
  • personnels testés positifs après le passage de la flamme (par exemple à Kagoshima) ;
  • annulation de la participation de célébrités porteuses ;
  • ...

Pendant ce temps, d'autres évènements locaux (telles que les sorties ou rencontres universitaires) sont bloqués ou annulés sur l'autel de ces JO. Et nombre de Japonais se résignent à ne pas partir en vacances cette année, cet état d'urgence couvrant jusqu'à Obon inclus, en râlant sur les Jeux qu'ils tiennent responsables.

🏃 Des athlètes dans une bulle en cage

Les 44 hectares du village olympique à Harumi dans la baie de Tokyo, tout proche d'Odaiba, sont officiellement le seul espace où les 18.000 sportifs participants et leur staff (venant de 200 pays différents), privés de leurs familles et supporters, auront le droit de déambuler en-dehors des stades. En réalité, les restaurants, la salle de fitness et la clinique du village ne suffisent évidemment pas aux athlètes. Puisqu'ils doivent quitter le pays pas plus tard que 2 jours après leur dernière épreuve, autant profiter du Japon quand ils en ont l'occasion : ils sont donc régulièrement vus déambulant dans les rues de Tokyo, ou encore à la recherche de partenaires sur Tinder ! Il faut dire que 160.000 préservatifs leur ont été distribués comme le veut la tradition, à ceci près que les organisateurs leur ont demandé de ne pas les utiliser sur place... mais plutôt de les conserver en souvenir.

Comble : les athlètes n'ont pas d'obligation de vaccination pour participer aux épreuves, bien qu'ils soient testés quotidiennement par prélèvement salivaire pendant la compétition. Ainsi, 3 premiers cas parmi les footballeurs sud-africains sont détectés dans le village dès le week-end précédent le démarrage, avec 21 cas-contacts, suivis par une gymnaste états-unienne. Avant même ces cas, un premier cluster était apparu dans un hôtel 🏨 de quarantaine où séjournaient des Brésiliens.
Comble du comble : ce sont les Chinois (qui, rappelons-le, organisent les JO d'hiver à Pékin dans à peine plus de 6 mois) qui se font un malin plaisir à se plaindre de mesures sanitaires trop laxistes de la part des Japonais ! Dans leurs hôtels, ils croisent en effet des touristes japonais n'ayant rien à voir avec les JO, dans le lobby ou le restaurant de l'établissement.

Quant aux outils logistiques fournis par l'organisation nipponne, sans surprise concernant la technologie moderne, ils se montrent particulièrement poussifs : reporting par Excel, absence de réponse aux emails, applications qui ne fonctionnent pas... Les référents s'arrachent les cheveux et doivent faire preuve d'un sacré mental, comme les athlètes, pour subir de telles conditions.

🎥 Les rares visiteurs autorisés tenus en laisse

Par "visiteurs" s'entendent bien sûr quasi exclusivement les quelques médias accrédités pour venir suivre et diffuser / reporter l'évènement. Parmi eux d'ailleurs, même le community manager francophone n'est pas considéré comme un VIP, et ne peut donc pas entrer au Japon pour relayer la communication !

Pour être certain que personne parmi les autorisés ne brise les règles de la quarantaine, le gouvernement japonais n'a rien trouvé de mieux à faire que de demander aux 55.000 magasins du pays qui proposent la vente en duty-free de dénoncer les visiteurs suspects... Quelle belle preuve d'Omotenashi, la fameuse hospitalité japonaise !
Même du côté des entreprises, l'ambiance n'est pas toujours de mise. Ainsi l'hôtel Excel Tokyu à Akasaka dans la capitale a choisi de segmenter ses ascenseurs en prévision des JO : Japonais et étrangers ne doivent pas se croiser...

Avec l'état d'urgence de la 4ème vague japonaise, les restaurants sont censés fermer dès 20 heures et les bars ne peuvent pas servir d'alcool ; ainsi les fameux Beer Gardens, pourtant plaisir non feint de l'été japonais, deviennent cette année des "non-beer gardens".
Mais comme pour les athlètes, comment en vouloir à ces quelques 70.000 étrangers privilégiés à venir au Japon cet été (un pays quasi totalement fermé depuis 16 mois), alors que depuis un bon moment les Japonais eux-mêmes ne respectent plus leurs propres états d'urgence, ni d'ailleurs leurs règles de quarantaine de retour au pays après un voyage à l'étranger ? Toute culpabilisation serait bien hypocrite à notre goût...

Pour être tenu(e) informé(e) le jour-même de l'annonce de la réouverture des frontières aux touristes francophones, n'oubliez pas de vous inscrire à la newsletter Kanpai :

😡 Des professionnels (notamment du tourisme) furieux

Cet étouffement des Jeux Olympiques a pour conséquence des recettes touristiques nulles pour les restaurants, hôtels, boutiques de quartiers touristiques (Asakusa, Ginza et consorts), agences de voyages, et autres entreprises réceptives. Allez donc expliquer aux restaurateurs et hébergeurs Tokyoïtes, dont les aides promises par le gouvernement ne tombent d'ailleurs pas toujours en temps et en heure (quand elles sont effectivement versées), qu'ils vont perdre des millions de clients cet été par rapport à ce qui était prévu depuis 8 ans... Et ne parlons même pas du merchandising lié à Tokyo 2020, qui risque fort de partir à la benne.

Il faut dire que les mesures anti-Covid domestiques du gouvernement japonais restent à la fois extrêmement limitées et particulièrement redondantes : aucune restriction de circulation, une simple pesée sur les bars et restaurants et une incitation gentillette au télétravail. Alors, quand la mairie de Tokyo annonce sur Twitter mi-juillet que ses métros 🚇 sont beaucoup plus calmes depuis le Covid, elle se prend une salve de réponses l'accusant de communication mensongère (ce qui était évidemment le cas pendant le premier état d'urgence du printemps 🌸 2020 ne l'est plus du tout sur ceux de 2021) et finit par supprimer son Tweet.

Des sponsors commencent par ailleurs à se désolidariser de la fête. L'un des plus importants, Toyota, vient d'annoncer que son président n'assisterait pas à la cérémonie d'ouverture comme il était prévu, et qu'aucune publicité liée au JO ne serait diffusée par sa marque.

La délation des duty-free, découverte plus haut, ne vous a pas suffi ? À peu près dans le même temps, le gouvernement Suga (décidément jamais à court de bonnes idées lorsqu'il sort de son apathie) projette de demander aux banques puis aux grossistes de dénoncer les bars qui continuent à leur commander de l'alcool. Devant le tollé, le rétropédalage a lieu dès le lendemain, excuses publiques à la clé... Peu importe, le mal est (encore) fait.

💴 Des coûts délirants et non rentabilisés

Contrairement aux prochains Jeux d'été de Paris 2024 ou Los Angeles 2028, le plan de Tokyo n'était pas d'utiliser des lieux déjà existants pour accueillir les épreuves, ce qui a occasionné un budget colossal : plus de 15 milliards de dollars, dont 1 milliard pour le seul nouveau stade olympique, dessiné par le fameux architecte Kengo Kuma. À quoi servira-t-il ? Pas à beaucoup de promotion internationale en tout cas, car seules les cérémonies d'ouverture et de fermeture l'exploiteront pendant toute la durée des JO.

Pour rappel, le ticket pour la cérémonie d'ouverture était vendu à 288.000¥ (~1.763€). Le stade accueillant 68.000 places, on vous laisse faire le calcul des recettes envolées en fumées juste pour cette soirée...
Quant au village olympique, soulignons que le décalage des "festivités" d'un an a repoussé la vente des 4.145 appartements, à des prix allant de 450.000 à 1,92 million d'Euros, dédommagements à la clé.
Avant la fin des Jeux, on apprend que 130.000 repas préparés pour les athlètes (soit un quart du total) ont été jetés...

Il était déjà compliqué de justifier et d'absorber 12 milliards de coûts pour ces Jeux de Tokyo 2020 (une bascule de près du double par rapport au budget initial tout de même), mais la facture actuelle incluant le report et son absence de retour sur investissement global risquent fort de rester en travers de la gorge des citoyens japonais imposables pendant un bon moment.

Outre la partie financière, les Nippons eux-mêmes garderont probablement une image désastreuse des évènements internationaux organisés sur leur territoire. Prochaine étape : l'Exposition Universelle d'Osaka 2025, pour laquelle les pays participants ne se bousculent pas au portillon jusqu'à présent.

🇯🇵 Une image dégradée pour le Japon

Nous nous en inquiétions en introduction de l'article : outre le naufrage marketing d'un évènement qui reste ponctuel (bien qu'il laissera certainement des traces dans l'Histoire), les conséquences à long-terme sont potentiellement bien plus risquées pour le Japon.

Pour l'illustrer, un dernier scandale éclate quelques jours seulement avant le début des Jeux : Keigo Oyamada / Cornelius, le compositeur des cérémonies d'ouvertures censé retranscrire la diversité et l'harmonie (!), avait déclaré en interview entre 1994 et 1995 avoir harcelé et torturé des jeunes handicapés (on vous passera les détails ici, ce lien vous permettra d'en savoir plus). Après de simples excuses publiques, l'affaire est d'abord enterrée, puis il est poussé à la démission. Son remplaçant, Sugiyama Koichi, est un ultra-nationaliste homophobe et révisionniste !
Puis, la veille seulement du démarrage, c'est le directeur de la cérémonie d'ouverture qui se voit remercié pour une ancienne blague sur l'Holocauste.

Politiquement, l'enchaînement depuis le début de la pandémie, et plus particulièrement les épisodes récents relevés dans cet article, s'avère une catastrophe pour le gouvernement Suga. Ce dernier a déjà connu un sacré revers dans les urnes Tokyoïtes le 4 juillet ; les élections nationales du 22 octobre risquent fort de montrer le ras-le-bol de la population et un décalage qu'il semble désormais très compliqué de combler, avec seulement 36% de soutien de l'opinion à l'heure actuelle. Gageons que cela permettra à des représentants plus jeunes et plus féminins de se renforcer dans un paysage politique nippon sclérosé qui en a plus que jamais besoin.

La seule solution qui nous apparaît encore viable pour sauver les meubles à court terme (mais quel pari !) : que les athlètes japonais raflent de nombreuses médailles. Réponse dans quelques jours.

Mis à jour le 30 août 2021 Tokyo 2021 Summer Olympics: Chronicle of a Japanese Failure