Interdiction des étrangers aux JO de Tokyo 2021 : le faux pas du Japon
10 ans quasiment jour pour jour après le grand tremblement de terre du Tohoku et le tsunami corollaire, alors qu’on le supputait depuis des mois, c’est désormais confirmé : les Jeux Olympiques 🏅 de Tokyo 2021, qui démarrent le 23 juillet après un report d'un an lié à la crise sanitaire du Coronavirus 🦠, se tiendront pour la première fois de l'Histoire sans spectateurs venant de l'étranger.
Il y a 2 informations essentielles dans cette annonce de début mars, dont le communiqué de presse conjoint entre les organisateurs des JO au Japon et le Comité International Olympique a été publié le 21 :
- comme nous l'écrivions début septembre dernier, les Jeux n'ont été ni annulés ni reportés à nouveau ;
- seuls les spectateurs du Japon seront autorisés à y assister.
Raison invoquée par l'État japonais ? La vox populi (incluant les tatamisés) dont les sondages la placent depuis des mois à la fois mécontents de leur gouvernement Suga temporaire et contre l'accueil de touristes étrangers pendant les Jeux, renforcée par la propagation des variants du Covid-19. Notez que l’opinion japonaise est également majoritaire contre la tenue même de ces JO reportés mais cela, visiblement, le gouvernement n'y prête pas autant attention... Car au final, pourquoi les avoir repoussés d’un an, alors que cette non-solution aurait pu être choisie dès 2020 (les variants en moins) ?
En tout cas, puisque les droits de retransmissions télévisées pour un milliard de téléspectateurs, à 73% du total perçu par le CIO, pèsent bien plus dans la balance que la billetterie (90 milliards de Yens / ~546,9 millions d'euros seulement pour cette dernière, à minimiser car estimés avant le Covid), le comité touchera bien sa rémunération grâce aux sponsors engagés. Les supporters étrangers sont donc le fusible en forme de sacrifice qui permet aux Jeux Olympiques de se tenir, non plus dans l'esprit confraternel ni celui de la relève du Japon post 11 mars 2011, mais bien d'un évènement visant à éponger les dettes pourtant fraîches de ces Jeux d'été parmi les plus chers de l'Histoire.
L'annulation des JO coûterait 1,81 billions de Yens au Japon (~11 milliards d'euros), alors que leur tenue même sans spectateurs rapportera 1,66 billions de Yens (~10,1 milliards d'euros) et 146,8 milliards de plus (~892,1 millions d'euros) avec seulement les spectateurs japonais.
À l’heure où ces lignes sont écrites, le site officiel écrit toujours "Tokyo est prêt à accueillir les spectateurs du monde entier pour les Jeux !" et liste de nombreux liens pour préparer son voyage, réserver son hébergement ou encore "profiter de Tokyo pendant les Jeux". À vos captures d’écran ! Car sur place, la boutique officielle situé à Tokyo a fermé ses portes le 21 mars...
Qui pourra assister aux Jeux Olympiques 2021 ?
C’est donc très clair : les visiteurs en provenance de l'étranger ne seront pas autorisés à entrer au Japon pour assister aux JO, quand bien même ils auraient acheté des billets pour les cérémonies ou les compétitions.
Sous ce climat estival japonais chaud et humide, défavorable aussi bien aux performances des athlètes qu’à la propagation du Covid, il n'est même plus question de mesures visant à maîtriser le virus pendant l’évènement :
- les tests PCR négatifs, déjà imposés depuis le printemps dernier avant et après le vol d’arrivée ;
- l’éventuel "passeport vert" d’une vaccination mondiale à marche forcée, qui semble pourtant remplir ses objectifs (réduction des risques de forme grave) et même au-delà (lutte contre les variants voire jusqu’à la propagation elle-même) d'après les premiers retours empiriques ;
- ni même encore d'une quarantaine de 3 jours dans un hôtel désigné à l'aéroport puis de 14 jours dans son lieu d'hébergement, qu’un certain nombre de fans et de proches des athlètes auraient sans doute acceptée sous la contrainte…
Ainsi, le Japon a tranché : c'est un NON ferme et définitif pour l'accueil des visiteurs extérieurs à l'archipel, qui étaient pourtant près d'1 million à détenir des billets pour ces Jeux Olympiques de Tokyo 2021, soit 15 à 20% du total selon les sources croisées… Imaginerions-nous le futur Championnat d’Europe de football de juin (à la trajectoire étonnamment similaire aux JO avec leur report d’un an) dans laquelle chaque pays hôte interdirait la venue des étrangers ? L'UEFA a déjà dit non !
Parmi les étrangers, seuls les athlètes, leurs staffs et les médias journalistiques (outre les personnels du CIO, bien entendu) seront autorisés à entrer au Japon pendant les 15 jours que dure l’évènement. Qu'ils s'estiment heureux, ces 94.000 78.000 53.000 gaijin (ils devaient être 180.000 avant l'arrivée du Covid !) dont 15.000 sportifs compétiteurs, autorisés à montrer patte blanche pour servir pourtant le cœur de l'évènement. Car seuls les 500 meilleurs des 8.000 bénévoles qui prévoyaient de venir de l'étranger seraient autorisés en plus d'eux.
Courant février, le comité organisateur japonais nous apprenait déjà que les sportifs devraient porter le masque 😷 en permanence (sauf pour manger, dormir et s’entraîner), qu’ils seraient confinés dans le village olympique et qu’ils auraient à subir des tests PCR au moins tous les 4 jours. Début mars, on apprend que les mesures imposées leur seraient encore plus coercitives. À peine quelques jours après, on parlait d'un test PCR quotidien... Et il reste encore plus de 4 mois avant les compétitions pour de nouvelles surprises ! Fin mai, on annonce ainsi leur demander de signer une reconnaissance de risque de décès !
Du côté des spectateurs étrangers, seuls les expatriés pourront donc assister à l'évènement, dans la limite du nombre de spectateurs autorisés qui sera annoncée courant avril juin (mise à jour -- après le chiffre de 10.000 spectateurs masqués avec 50% de la capacité des stades au maximum, l'état d'urgence est redéclaré début juillet et les JO se tiendront finalement sans aucun spectateur). On déplorera qu’il n’ait jamais été question d’appliquer un tel seuil également aux visiteurs étrangers ; le gouvernement a préféré les interdire tous en bloc. Quant au protocole sanitaire d’accès aux stades, il n’est pas connu à ce jour ; tout juste sait-on que la température corporelle sera prise à l’entrée avec des thermomètres frontaux au laser, sans mention d’une éventuelle interdiction d’accès au-delà d’un certain degré mesuré.
Mise à jour :
Concernant les invités étrangers des sponsors officiels, le couperet n'est pas encore tombé, mais il concerne un nombre de personnes beaucoup plus restreint. Même les officiels seront en nombre limité (qui reste encore à définir). Alors que la France accueillera les JO 2024, son actuel Président Emmanuel Macron assistera lui aux cérémonies d'ouverture et de fermeture à Tokyo cet été. Mais comme les autres VIP, il ne pourra pas y rencontrer ses athlètes.
Quid des remboursements pour ces ~600.000 tickets restants, souvent achetés depuis plusieurs années ? Comment sera choisi le numerus clausus de spectateurs du Japon qui pourra entrer dans les stades ? Tant de questions restent encore en suspens et mettent en lumière une fois de plus l'incapacité des Japonais à bien gérer une situation inédite dans l'urgence. Si ce n'est pas parfait, alors ce n'est tout simplement pas possible...
Ce que l’on comprend aussi en creux, même s’il s’agissait d’un secret de polichinelle, c’est que les frontières japonaises n’ouvriront donc pas au tourisme avant septembre 2021 au plus tôt, après la fin des Paralympiques.
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La politique de l’autruche comme négation de la propagation et de ses mesures limitatives
Inutile de revenir sur les gigantesques difficultés induites par la crise sanitaire mondiale depuis plus d’un an. Le casse-tête du report des Jeux Olympiques reste évidemment influencé par de nombreuses instances dont certaines ont le bras long, et où à la fois la politique et les gros sous orientent largement les décisions. Toutefois, ces derniers mois ont fait montre de plusieurs espoirs qui auraient pu conclure à une issue plus favorable.
Ainsi, avec ou sans public, de nombreux évènements sportifs se tiennent sans que les spectateurs ne soient nécessaires pour transmettre le Covid :
- l’Open de tennis en Australie en février a eu beau mettre en place des confinements inédits pour les athlètes, le virus a été introduit dans la compétition par un personnel de l’hôtel ;
- dans le rugby, les bulles sanitaires à la fois fidjienne de la coupe d’automne, puis française au cours du tournoi des 6 nations ont été percées par les joueurs et le staff eux-mêmes.
Il y a tout lieu de penser que la courbe des contaminations à Tokyo, qui va déjà logiquement remonter dans les semaines qui suivront la fin de l’état d’urgence le 21 mars, connaisse une accélération du nombre de cas à cause des Jeux Olympiques à partir de fin juillet, sans que l’on ne puisse alors rejeter la faute sur les spectateurs étrangers.
Par ailleurs, il serait hypocrite d’imaginer que les vaccins contre le Covid, trouvés dans un temps record pour des raisons qui s’expliquent très simplement, n’aient pas leur poids dans l’évitement d’une annulation pure et simple de ces Jeux. Par sa décision, alors qu’il a actuellement les pieds dans le tapis de son planning de vaccination, le gouvernement japonais nie ainsi à la fois ce progrès scientifique majeur et les avancées du nombre de vaccinés à l’extérieur de sa population.
Car près d’un mois après le lancement de sa campagne, le Japon a péniblement injecté une première dose à seulement un peu moins de 150.000 personnels médicaux, et aucun civil. Mais dans le même temps, les États-Unis vaccinent à coup de 2 millions de personnes par jour ! Conséquence logique : alors qu’en juillet, l’archipel devrait avoir protégé uniquement ses plus de 65 ans (cela reste à prouver dans les faits tant leur retard se montre confondant jusqu’à présent), à la même période les États-Unis auront probablement atteint l’immunité collective, pour une population quasiment 3 fois supérieure.
Début avril, la Corée du Nord annonce qu'elle ne participera pas aux JO de Tokyo 2021.
Une faute illogique, diplomatique et cruelle
Rappelons l’idée même de la candidature des Jeux Olympiques de Tokyo, choisie en 2012 : il s’agissait de dépasser "Fukushima" et de montrer au monde une belle facette du Japon qui a su se relever d’une catastrophe naturelle et d’un accident nucléaire majeurs, tourné vers un avenir où l’objectif d’accueil des étrangers, déjà multiplié par près de 5 en 10 ans (de 6,8 millions de visiteurs en 2009 à 31,9M en 2019), devait encore doubler à l’horizon 2030 (à 60 millions) pour devenir l’une des destinations touristiques majeures mondiales. Cela a encore été confirmé par le Premier ministre Suga peu après son accession au pouvoir en fin d’été dernier.
Après la Coupe du monde de rugby superbement organisée à l’automne 🍁 2019, qui a satisfait tant de fans accueillis avec maestria et qui a positivement surpris tant de spectateurs internationaux, la dynamique est ici abruptement giflée par cette décision protectionniste. Et cela va bien au-delà de la catastrophe économique attendue à la fois pour le budget des JO en tant que tel, mais également pour les acteurs du tourisme tels que les hôteliers.
La communication officielle japonaise explique sans relâche qu’il est sûr de retourner vivre dans la plupart des régions sinistrées du Tohoku. Kanpai est ainsi régulièrement invité par les locaux à participer à des voyages de presse dans le nord-est du Japon. Alors, puisque l’on peut résider dans les régions touchées par l’accident nucléaire mais pas accueillir seulement 3% des étrangers qui ont foulé le territoire en 2019 à un évènement inédit au Japon depuis près de 60 ans, est-ce à dire que le Covid-19 est plus fort que les radiations de Fukushima ? Il y a fort à parier que les complotistes de tout poil ne vont pas manquer de s’emparer de ce message désormais involontairement induit.
Rappelons également les chiffres de contamination sur l’archipel nippon : actuellement on relève environ 1.000 cas par jour, soit 20 fois moins qu'en France pour une population 2 fois supérieure, autrement dit le Japon est officiellement 40 fois moins touché à population constante. Et cela alors même que l'état d'urgence hivernal, actuellement sur sa fin, ne concernait qu'un nombre limité de préfectures et n'a rien fermé du tout : ni bars et restaurants, ni salles de sports, ni lieux culturels ! Pour ainsi dire, seul le télétravail est encouragé dans les grandes villes, puisque le port du masque et autres gestes-barrière étaient généralisés au Japon depuis bien avant le Covid.
La réalité, c'est que le Japon se retranche tellement derrière cette peur ancestrale de l'étranger comme porteur des virus (bien avant le Corona) qu'il est prêt à balayer complètement l'esprit et les valeurs des Jeux Olympiques. Sauf que l’Histoire donne toujours tort aux xénophobes, comme pas plus tard qu’il y a quelques mois : les variants n'ont pas eu besoin de frontières ouvertes pour s'infiltrer puisque dès la mi-décembre, ils ont été ramenés au Japon par des autochtones partis au Royaume-Uni pour des affaires (et non testés de retour au pays).
Enfin, pour synthétiser cette erreur grossière voire inhumaine : que penser de tous ces athlètes qui s'entraînent depuis des années et qui vont devoir arriver seuls aux JO, sans le soutien de leur famille et de leurs amis ? Et ce, alors même qu'on les a empêchés de venir repérer, s’imprégner des lieux et s'entraîner en conditions réelles depuis déjà plusieurs mois.
Plus largement, comment accepter ces Jeux Olympiques inéquitables où les athlètes japonais, déjà favorisés par le lieu, seront les seuls à avoir leurs supporters dans les tribunes ? Le gouvernement pense-t-il contrebalancer cette injustice en leur interdisant simplement de crier, comme il l'a déjà fait ?
Pourtant, la communication officielle, quelques jours après l'annonce, montre des athlètes internationaux évidemment heureux comme tout (en passant sous silence le fait que les signes anti-raciaux comme lever le poing ou mettre un genou à terre seront punis) :
La gouverneure de Tokyo Yuriko Koike est, elle, hospitalisée mi-juin pour cause de "fatigue sévère" (autant dire burnout) et y reste 2 semaines, plus que prévu initialement.
L’impact négatif pour l’image du Japon sur la scène internationale
Jusqu’à début 2020, l’organisation des Jeux Olympiques de Tokyo était sur un petit nuage, avec des processus bien respectés "à la japonaise". Depuis le report, toutefois, la dynamique semble moins favorable. Parmi les gros camouflets, on pense évidemment au retrait d'un millier de volontaires à la suite des propos sexistes de Yoshiro Mori, l'ancien responsable japonais des Jeux qui a fini par être poussé à la démission. Ceux-ci n'auront ni vaccins, ni tests PCR gratuits, ni masques, mais... du désinfectant. À début juin, ce sont 10.000 sur 80.000 qui ont abandonné !
Plus récemment encore, c'est le relai la flamme olympique qui donne le ton de ces Jeux (coût total : 11,6 milliards de Yens / ~70,5 millions d'euros) en écartant déjà les spectateurs dès son démarrage le 25 mars, même en extérieur, et en réduisant le périmètre de son parcours ; plusieurs célébrités se sont défaussées et même le Premier ministre Suga n'y assistera pas. Osaka, devant sa résurgence de cas en avril, s'en est d'ailleurs écartée en interdisant le public (Okayama, Hyogo, Hiroshima et Hokkaido la rejoignent ensuite). Miyakojima à Okinawa, Fukuoka et Chiba l'annulent totalement sur leurs territoires respectifs. À Kagoshima, 6 personnels sont testés positifs après le passage. Mais puisque les caisses sont vides, on propose aux porteurs d'acheter leur torche pour 70.000¥ (~425,40€). Et le 1er cas de contamination d'un porteur a été avéré fin avril. Pour appuyer encore l'hérésie, on demande aux fans de ne pas se déplacer entre préfectures pour y assister, alors même que la campagne Go To Travel a incité et même financé l’inverse pendant le second semestre 2020, contribuant au pic de contaminations hivernal.
Dans la rubrique économique, on citera également le coût de l'application de traçage de la santé pour les 1,2 millions de visiteurs prévus avant l'annonce : 7,3 milliards de Yens (~44,4 millions d'euros).
Également, le chef des cérémonies a démissionné à son tour mi-mars après avoir proposé à l'actrice ronde de Naomi Watanabe de se déguiser en cochon pour l'appeler "Olympig"...
Enfin, les villes se désistent les unes après les autres pour accueillir les athlètes olympiques. Mi-mai, elles étaient déjà au moins 31 sur 528.
Que penser, alors, du plus grand évènement sportif mondial où le pays organisateur interdit la venue des étrangers telle la plus rigide des dictatures ? On assistera cet été, en lieu et place d'un évènement fraternel pour les citoyens du monde, à des Jeux discriminants du repli sur soi et de la peur de l'autre. L'image de Tokyo 2020 2021 sera donc celle de spectateurs dans l'entre-soi, réduite à une banale compétition sportive bien loin de son envergure et de sa ferveur initiales.
Et cela, 6 mois plus tard (autant dire demain), il y a fort à penser que les voisins et éternels ennemis du Japon ne vont pas se priver de le mettre en lumière. Les Jeux Olympiques d'hiver vont se dérouler à Pékin en février 2022, et on peut légitimement imaginer que la Chine (seul pays du monde à la croissance positive en 2020, et peu importe qu'il soit à l'origine de la pandémie de Coronavirus) se fera un malin plaisir de mettre un pied de nez au Japon en ouvrant grand ses frontières aux spectateurs, prenant comme précaution désormais habituelle le test PCR négatif et éventuellement la patte blanche de la vaccination. Ils ont d'ailleurs déjà commencé leur communication, quelques jours seulement après l'annonce japonaise, en indiquant offrir des vaccins à tous les athlètes de Tokyo 2021 et Pékin 2022. Le CIO leur emboîte le pas en mai.
Japon, nous te pardonnerons évidemment ce faux pas malhabile et retournerons visiter ton magnifique pays dès qu'il sera rouvert, que ce soit à l'automne 2021 ou même si, à cause de ton retard dans la vaccination, tu nous fais patienter jusqu’à début 2022. Mais nous n'oublierons pas que ce qui fait ton charme, c'est également ton absence quasi-totale de flexibilité et ton incompréhension des valeurs humaines mondiales.