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Japon : le pays des femmes

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Alors que l'opinion française s'écharpait début 2014 sur les théories du genre, n'osons chercher à imaginer ce qu'un tel débat pourrait susciter comme réactions au Japon.

Dans un pays où le rôle des sexes, comme celui de beaucoup d'autres concepts, doit être bien rangé et ne pas en bouger, le fait de vouloir gommer les différences entre hommes et femmes paraît totalement ubuesque.

L'image d'Épinal

Le Japon traîne, comme dans de nombreux autres domaines, ce cliché qui consiste à penser que l'homme passe son temps au travail, délaissant ainsi son épouse : la bonne petite femme / mère au foyer. Le mâle japonais, rustique peu viril, ne pipe rien à la galanterie et n'en a d'ailleurs que faire alors que, bien soumise, madame n'oserait broncher.

Dans une certaine mesure, cette vue par le prisme occidental n'est pas tout à fait inexacte. Elle étend pourtant son hégémonisme jusqu'à l'abject, en témoignent les sorties insupportables de Julien Blanc que le grondement de la foule a, heureusement, su faire taire au moins en surface.

Les médias nippon eux-mêmes s'amusent du supposé "sexe faible", n'hésitant pas à dresser un portrait robot de la femme japonaise idéale :

  • visage kawaii mais pas sexy, maquillage naturel
  • mensurations : 160cm, 48kg et C en tour de poitrine (selon le calcul japonais)
  • parfum aux senteurs de savon
  • hobby : cuisine / animaux : un petit chien / manga favori : One Piece
  • travaille à mi-temps dans un café
  • de bonnes notes mais pas première de la classe
  • n'aime pas l'exercice physique...

Pas étonnant que la femme japonaise soit propulsée sur un piédestal d'idol / femme-objet.

Le fait est que, selon les rapports de l'OCDE et du forum économique international, en 2013 seules 63% des Japonaises étaient actives, dont 35% à mi-temps ou en baito, contre respectivement 85% et 10% chez leurs homologues masculins. Et elles représenteraient moins de 10% des postes d'encadrement ou de direction.

Plus de la moitié des femmes japonaises quittent leur emploi au moment de la naissance du premier enfant. En cas de divorce, l'écrasante majorité d'entre elles conservent la garde du (des) rejeton(s).

Naturellement, l'image globale parfois grossière cache une réalité bien plus complexe.

La Japonaise au cœur de sa propre société

Vous êtes-vous déjà baladé(e) au Japon en semaine pendant la journée, aux horaires de bureau ? Au-delà des campagnes où l'on rencontre surtout des retraités (les Japonais étant leurs premiers touristes), les grandes villes et en particulier les centres commerciaux offrent un spectacle éloquent : on y croise une étonnante majorité de femmes, de la vingtaine à la cinquantaine.

Cette icône de la ménagère, au Japon, consiste en bien plus qu'une simple représentation : une fois mariée, la petite princesse nipponne tient la bourse du ménage et tire un grand nombre de ses ficelles. Le grand marketing ne s'y est pas trompé non plus, lui déroulant le tapis rouge.

Ainsi, certaines compagnies de métro 🚇 à Tokyo prévoient, pendant le rush hour du matin, des wagons entiers 女性専用車 "Women Only" / réservés aux femmes pour lutter contre les 痴漢 chikan, ces harceleurs amateurs de photos volées voire d'attouchements (quand bien même ce serait de la faute des tenues de ces dames selon certains). À en croire les études de ces mêmes compagnies, 70% des femmes l'auraient subi au moins une fois.

Dans le même genre, nombreux sont les établissements en tous genres à proposer des réductions aux demoiselles, et pas seulement à l'entrée en boîte de nuit : au restaurant, dans les bars, au cinéma... De plus, le nombre de magazines féminins disponibles en kiosque ou en konbini frise l'absurde, alors que les conseils font preuve d'une symétrie hallucinante d'un titre à l'autre. Quant à la publicité au Japon, quelque soit le support, elle semble viser majoritairement les femmes.

Plus insolite d'un point de vue extérieur : dans les toilettes des grands magasins, et même dans le Shinkansen 🚅, on trouve des salles de maquillage. Les toilettes japonaises 🚽, elles, vont jusqu'à diffuser différentes simulations de sons pour masquer d'éventuels bruits naturels moins élégants.

Enfin, le Japon doit être l'un des rares pays au monde où des loisirs plus intimes ne sont pas réservés qu'aux hommes. Ainsi, les maid cafés ont leur pendant avec les 執事喫茶 shitsuji kissa et les bars à hosts semblent désormais presque plus nombreux que ceux à hostess.

Relents de masculinisme

D'aucuns n'hésitent pas à affirmer que les Japonaises ont pris progressivement le pouvoir après-guerre, sur les bases de l'américanisme et d'un capitalisme consumériste exacerbé.

Le fait est que l'archipel a longtemps œuvré pour tenir ses femmes dans l'ombre, à tel point qu'on en voit encore aujourd'hui des stigmates parfois étonnantes. Ainsi l'ascension du mont Ômine, montagne shinto sacrée dans la préfecture de Nara, est purement et simplement réservée aux hommes !

En 2014 c'est l'artiste plasticienne "Rokudenashiko", alias Megumi Igarashi, qui a fait les gros titres de la presse mondiale, avant d'être inculpée en fin d'année à deux ans d'emprisonnement pour avoir enfreint la loi relative à l'obscénité. Son crime ? Avoir diffusé un scan 3D de son vagin suite à un projet de financement participatif, puis réalisé un canoë 🛶 moulé sur la base de ce scan.

Pourtant, chaque premier dimanche d'avril, des hordes de touristes se ruent dans une étrange allégresse au Kanamara matsuri à quelques encablures de Tokyo, pour... le festival shinto de la fertilité, où l'on transporte des pénis géants.

Alors que la classe politique parvient encore a faire pleurer ses représentantes à l'Assemblée avec des remarques sexistes dégradantes, il semble une fois de plus que Miyazaki avait vu juste : la bande des Mamma Aiuto, les grands enfants de son Porco Rosso, ne sont-ils pas une juste représentation des bien puérils mâles nippons ?

Mis à jour le 16 février 2021 Japan: Land of Women