Tokyo Vice
Livre de Jake Adelstein
Tokyo Vice est un roman écrit par Jake Adelstein et publié aux éditions Marchialy en 2016, traduit par Cyril Gay. Il fut initialement publié aux États-Unis en 2009 sous le titre Tokyo Vice, An American Reporter on the Police Beat in Japan aux éditions Pantheon.
Comment donc un Américain blanc, lambda, juif, a-t-il pu se retrouver journaliste dans l’un des plus grand médias du Japon ? Amateur ou fin connaisseur du Japon, nous savons tous qu’il n’est pas facile de comprendre et de s’intégrer dans la société japonaise de nos jours. Et il l’était encore moins dans les années 90. Pourtant, Jake Adelstein a réussi cet exploit, qui en plus de surprendre tout au long du récit, fascine et choque au fur et à mesure des chapitres.
Devenu journaliste au Yomiuri Shinbun, il s’investit corps et âme dans la recherche de l’évènement qui créera l’article exclusif. Malgré de nombreuses divergences culturelles entre le Japon et l’occident, la fibre journalistique et les méthodes d’enquête se ressemblent. Adelstein ne fait pas de cadeau à ses concurrents journalistes et réciproquement.
Dans Tokyo Vice, on suit son apprentissage des codes sociétaux de l’entreprise, du journalisme et de la sécurité policière. On le voit passer de jeune étudiant pataud à journaliste obligé de fuir le Japon pour survivre. C’est sans masque 😷 qu’il nous livre ici ses expériences de journaliste, d’une plume vive, acérée et incisive. Ironique et cynique, il ne déguise jamais la réalité. N’espérez pas de romanesque ni de belles histoires ; ses anecdotes sont d’une véracité dérangeante.
La belle capitale nippone se défait de son habit d’apparat touristique, la gentillesse des Japonais et leur dévouement sont exacerbés, et c’est pour le meilleur comme pour le pire qu'Adelstein les découvre et parvient à en faire son quotidien. Adelstein furette et creuse de partout, il court au scoop et rédige jour après jour, oublie de dormir, de manger et se perd dans les méandres de Kabukicho. Il se fond dans la masse journalistique et gagne, année après année, la reconnaissance de ses pairs, du public... et de ses ennemis.
Avec la subtilité légendaire d’un Américain et d’autant plus d’un journaliste, il met le pied là où il ne devrait pas, franchissant les barrières du bon-sens. Plus il gravit de places au Yomiuri Shinbun, plus il s’enfonce dans les profondeurs des quartiers douteux de Shinjuku : bars à hôtesses, trafic humain et rencontre les tenanciers de cet autre monde : les Yakuza.
Groupe au nom fantasmé, craint ou encore moqué en Occident, on apprend aux côtés d’Adelstein comment cette "mafia" japonaise fonctionne, avec leurs propres codes et langages. Les Yakuza n’ont pas bonne presse au Japon, surtout dans le début des années 2000 où la culture du Japon s’exporte en masse et commence à nous faire rêver, petits blancs fascinés. Les expatriations se font de plus en plus nombreuses, et les expat’ apprécient les filles japonaises autant que les Japonais apprécient les Occidentales. Entre autres activités, certains groupes de Yakuza se penchent avec ferveur sur ce nouveau marché, contournant avec créativité les lois anti-prostitution.
Adelstein nous délivre de la belle image que nous avons du Japon, il jette une vague de vérité criante sur ce qui se déroule au-delà des robots et des Pokémon ; on plonge avec lui dans la moiteur de Tokyo et on y perd son souffle, jusqu’au bout. Une enquête de trop, Adelstein fouille là où il n’aurait pas dû le faire. On fuit avec lui, on hésite, et le principe de liberté d’expression prend moins d’ampleur quand sa vie en est l’enjeu.
Ce n’est ni une belle histoire, ni une enquête policière. Et ce n’est pas non plus un documentaire sans sentiments. C’est une vérité nue et crue sur Tokyo, qui bouscule les idées préconçues, et nous offre une vision à la fois sombre et éclairée de notre capitale préférée.
-- On apprend en mai 2020 que le roman va être adapté en une série de 10 épisodes réalisée par Michael Mann, avec les acteurs Ansel Elgort et Ken Watanabe comme protagonistes, pour la chaîne américaine HBO.