Perfect Blue
Satoshi Kon
Reconnu par -quasiment- tous comme étant l'un des fers de lance de la nouvelle animation japonaise, Perfect Blue s'impose au public international grâce à des qualités aussi intéressantes qu'un scénario impressionnant et une mise en scène étourdissante. Alors, "simple" film d'animation ou œuvre d'art cinématographique ?
Les bases du scénario
Mima et deux autres jeunes femmes constituent le groupe Cham, un trio de chanteuses propulsées en tant qu'idol très appréciées, sans doute moins pour leurs qualités artistiques que pour leur plastique irréprochable. Après plusieurs mois passés sur le devant de la scène, Mima semble (entre un imprésario prêt à tout et Rumi-chan, sa nounou ancienne idol elle-même) vouloir réaxer sa carrière vers le métier d'actrice. Mais ses débuts dans le septième art apparaissent plutôt difficiles : on ne lui propose que très peu de rôles, qui ne sont que brèves apparitions ou passages dénudés particulièrement choquants. D'autant plus que l'environnement de Mima semble de plus en plus louche, entre un entourage suspect et des fans douteux qui divulguent des informations étonnamment précises sur la jeune actrice. Le film, focalisé sur la conscience de plus en plus trouble de Mima, constitue une mise en scène brillante d'une perte de repères progressive.
Proposition de critique du film
Certes, Perfect Blue semble ne pas respecter la qualité de production technique habituellement offerte dans les films d'animation japonais. En effet, l'ensemble de la réalisation apparaît comme plutôt inégal. Le graphisme simpliste des personnages et les foules immobiles tranchent avec un travail sur les ombres, les reliefs et les lumières particulièrement intéressant ; l'animation réduite des visages et des mouvements banals contrebalance des passages chorégraphiés bien plus impressionnants. Mais mis au service d'une intrigue efficace, le spectateur ne tiendra bientôt plus compte de ces quelques variabilités. Rétrospectivement, bien sûr, on ne peut qu'être déçu ; néanmoins, dans le même temps, je n'ai pu m'empêcher d'évoquer l'idée qu'une réalisation époustouflante ou grandiose n'aurait peut-être pas servi le synopsis. Car le principal intérêt du film, tout du moins dans sa deuxième partie, réside en l'intensité progressive de la descente vers la folie, et non en une mise en scène plus conventionnelle qui ferait se focaliser le spectateur sur des décors plusieurs secondes durant - comme dans Princesse Mononoke par exemple. On cherche réellement dans Perfect Blue à s'accrocher à la moindre bribe de réalité. Et la réalisation que d'aucuns qualifieront de "simpliste" participe, qu'on le veuille ou non, de cette recherche. On préfèrera ainsi (tenter de) suivre l'intelligence de la mise en scène plutôt que de remarquer les défauts techniques du film. D'autant plus que Perfect Blue n'a pas à faire dans le grandiose et le magistral, se focalisant uniquement sur la psychologie d'un protagoniste.
Pour ce qui est du son, il paraît intéressant de noter que le background musical accompagne parfaitement l'intrigue du film et sa montée en intensité. De rythmes rapides et gais au début du film (Cham est un groupe d'idol), la pression se fait de plus en plus sentir, et en soi, l'OST transcrit parfaitement la tension qui règne durant la deuxième moitié de Perfect Blue. Concernant le doublage, il s'avère -une fois encore- extraordinaire, en particulier pour les protagonistes et surtout Mima. Du grand seiyû !
La psychologie, vous l'aurez compris, se révèle donc comme un des thèmes majeurs du film. Et Perfect Blue ne rejoint pas dans son contexte global un Mon Voisin Totoro ou Card Captor Sakura, mais se rapproche beaucoup plus -tout du moins dans la noirceur qui le caractérise- d'un Le Tombeau des Lucioles ou d'un Blood : The Last Vampire. Ne vous fiez pas aux vingt premières minutes du film ; Perfect Blue relate, dans un milieu que l'on aurait tendance à trop idéaliser, la descente aux enfers progressive d'une jeune idol. Et, profitant d'une réalisation particulièrement adaptée et efficace, le spectateur subit, à l'instar son "héroïne", une perte de repère ascendante assez impressionnante. L'intrigue ne nous laisse aucun temps mort, et l'intensité croissante de l'incompréhension, jusqu'à en être étouffante, révèle un sens de la mise en scène particulièrement efficient. Perdu dans Perfect Blue, on n'a d'autre choix que de suivre Mima, elle-même totalement démunie dans cet univers de plus en plus étrange et amalgamé.
Le film tente de se questionner sur l'importance de la comédie dans la vie de tous les jours, sur la place du virtuel dans le réel (sans aller aussi loin que Shinseiki Evangelion, tout de même) ; mais aussi, et surtout, sur l'existence étrange des idol et des otaku au Japon. Quelle est leur vie, leur rôle, leurs dangers ? Le point de vue abordé passe ici par des scènes très noires, très difficiles, très alambiquées ; il permet néanmoins de montrer au grand public japonais quelles peuvent être les ambiguïtés de ces personnes, il faut le rappeler, en nombre important au pays du soleil levant.
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Perfect Blue démontre avec brio que film d'animation réussi ne rime pas forcément avec mise en scène époustouflante ou budget astronomique. Il rappelle d'autant plus, contrecarrant ainsi les préjugés des japanophobes, que la réalisation technique et la représentation des protagonistes dans les films d'animation japonais reste protéiforme. Relativement simple graphiquement, le film n'en est pas moins complexe au niveau du scénario. KON Satoshi participe à démontrer une nouvelle fois la qualité des œuvres animées japonaises, dans un registre pourtant très différent des productions que l'Europe a l'habitude de se représenter.