L'herbe plus verte du Japon
Expatriation difficile
Le Japon attire, c'est indéniable.
Quel que soit le biais initial (sa culture populaire pour ma part), l'archipel nippon possède cet attrait impressionnant à travers une identité forte qu'on ne retrouve peut-être dans aucun autre pays du monde. Il y a un petit quelque chose en plus, un je ne sais quoi que chacun complètera, qui fait le charme indéfectible du Japon.
Que l'on ait cédé ou non aux sirènes du voyage au Japon, facilité ces dernières années grâce à l'afflux d'informations et les baisses du budget nécessaire, il y a de plus en plus un objectif, me semble-t-il, au-delà du simple séjour de quelques jours à quelques semaines : l'expatriation.
Qu'elle soit pour plusieurs mois, quelques années ou toute une vie, l'expatriation à l'étranger peut prendre sa source dans de nombreuses raisons. Les plus courantes restent évidemment :
- l'envie de changer d'air, le désir de multiplier les expériences et de plus s'ouvrir au monde ;
- la volonté de rejoindre sa moitié japonaise, de s'installer définitivement ensemble dans son pays ;
- ou encore un certain ras-le-bol de son environnement immédiat : familial, professionnel ou même national (politique ou sociétal).
Mais il me semble qu'en filigrane de tout cela et peut-être concernant le Japon en particulier, outre le fait de noircir le tableau pour son propre pays et/ou ses pairs, certains ont tendance à idéaliser l'archipel : l'herbe est toujours plus verte chez le voisin.
On se base sur les idées générales rapportées ici et là, sur les merveilleuses expériences connues lors de ses voyages au Japon qui se transforment alors petit à petit, sans crier gare, en vue de l'esprit. La société japonaise vit ainsi dans une harmonie totale et un niveau de civilisation élevé qui conduit à un bien-être général saupoudré de zen et d'animisme bienfaisants. Bref, un petit paradis sur terre !
Perceptions multiples
Sauf que... seule une chose est à peu près sûre : quel que soit l'accueil réservé aux touristes, le Japon ne veut pas particulièrement de vous en tant qu'expatrié ! Peu importe son vieillissement démographique voire sa dépopulation, l'archipel n'a pas prévu d'ouvrir ses portes migratoires et encore moins morales aux étrangers. Pour être plus prosaïque encore, si vous savez ce que vous cherchez au Japon, posez-vous surtout la question de savoir à quoi vous servirez en terre nipponne. Car de l'autre côté de la barrière, on a déjà une réponse toute prête à cette problématique et le curseur oscillera plutôt entre "rien" et 邪魔 "une gène". De leur point de vue, rares sont finalement les exemples à pouvoir les contredire.
Ce n'est pas que les Japonais soient fondamentalement racistes, en tout cas probablement pas plus qu'ailleurs, mais un étranger restera à jamais "estranger" au Japon : quelque soit son niveau d'intégration et de connaissance, il sera toujours vu a priori comme le 外人 gaijin, la personne de l'extérieur qui a beau faire des efforts et maîtriser la langue japonaise, mais reste au mieux un gentil sauvage irrémédiablement inadapté à la société japonaise.
Oh, pas d'inquiétude : on ne vous le dira que très rarement de cette manière-là. En revanche, on saura vous le faire ressentir à intervalles réguliers, par un petit indice comportemental ou une réflexion déguisée. Libre à vous d'y prêter attention voire de le prendre personnellement, ou au contraire d'aborder votre position au Japon par l'axiome du 仕方ない shikata-nai, une forme de "c'est comme ça, on n'y peut rien" qui place alors des œillères protectrices.
L'idée n'est certainement pas pour moi de gâcher ici l'idée d'un Japon accueillant ou de nier les expériences réussies une fois le visa en poche, mais peut-être plutôt d'avertir modestement celles et ceux qui croient qu'une installation au Japon ressemblera plus ou moins à un voyage de longue durée. Une douche froide, ce n'est jamais très agréable et mieux vaut s'y préparer pour apprécier une expatriation à la juste valeur de ce qui nous attend.