Shimonoseki (Yamaguchi), marché aux poissons Karato Market

Fugu

🐡 Le goĂ»t pour le poisson-tueur japonais

⏱ 10 minutes

Le fugu est un poisson-globe qui possĂšde une toxine mortelle pour l'homme : la tĂ©trodotoxine. ConsommĂ© dĂšs la prĂ©histoire au Japon, il a nĂ©anmoins Ă©tĂ© interdit lors de l’époque fĂ©odale pour sa dangerositĂ©. Sa rĂ©putation sulfureuse a persistĂ© jusqu’à nos jours et constitue probablement un des attraits pour sa dĂ©gustation. Sa chair dĂ©licate est un mets rare et apprĂ©ciĂ© dont la prĂ©paration n’est autorisĂ©e qu’aux professionnels spĂ©cialement formĂ©s.

Le fugu 🐡 consommĂ© au Japon est un poisson 🐟 du genre Takifugu que l’on trouve principalement dans les eaux entourant l’archipel nippon, jusqu’aux cĂŽtes de Chine et de CorĂ©e du Sud, et parfois en riviĂšre. Il possĂšde 4 dents formant une sorte de bec et un adulte peut mesurer jusqu’à 85 cm selon l’espĂšce. Son surnom de poisson-globe vient du mĂ©canisme de protection qui lui permet de gonfler son abdomen pour paraĂźtre plus gros et se dĂ©fendre des prĂ©dateurs.

Cependant, le vĂ©ritable frein Ă  sa consommation rĂ©side dans le fait qu’il contient de la tĂ©trodotoxine (TTX), un poison mortel mĂȘme Ă  trĂšs faible dose. En moyenne, un poisson contient assez de toxine pour tuer une 30aine de personnes. Elle agit en paralysant les muscles, provoquant un arrĂȘt respiratoire dans les heures qui suivent l’ingestion.

Guenpin Kagurazaka (Tokyo), assiette de sashimi de fugu

Parties toxiques et statistiques d’empoisonnement

Pour les 22 espÚces de fugu dont la consommation est autorisée au Japon, la chair proprement dite est comestible sans danger, à condition d'avoir été bien préparée. La neurotoxine se trouve principalement dans le foie, la peau, les intestins, les ovaires et les gonades du poisson.

Les scientifiques pensent que la toxine s’accumule dans l’organisme du fugu en raison de son rĂ©gime alimentaire. Celui-ci comprend un certain type d’algue contenant une bactĂ©rie qui produit la tĂ©trodotoxine. Les fugu d’élevage ne consommant pas cette bactĂ©rie, ils sont en principe dĂ©nuĂ©s de poison. Toutefois, tous les mĂ©canismes de synthĂšse de la toxine n’étant pas connus, la prudence reste de mise concernant la prĂ©paration du poisson qui doit toujours ĂȘtre effectuĂ©e par un professionnel certifiĂ©.

Statistiques et symptîmes d’un empoisonnement au fugu

Outre l’ingestion d’un organe toxique tel que le foie, c’est en effet une mauvaise manipulation du poisson lors de son nettoyage qui peut contaminer sa chair. Cela est d’autant plus difficile Ă  dĂ©tecter que la neurotoxine est inodore, incolore et sans saveur. De plus, elle rĂ©siste Ă  la cuisson.

Les premiers symptĂŽmes d’empoisonnement apparaissent entre 20 minutes et 3 heures aprĂšs l’ingestion et, sans traitement, la mort peut survenir en 4 Ă  6 heures. Il n’existe pas d’antidote Ă  la tĂ©trodotoxine : le seul remĂšde consiste Ă  hospitaliser la victime et Ă  la placer sous assistance respiratoire jusqu’à ce que ses effets se dissipent.

Les symptĂŽmes qui doivent alerter sont :

  • un lĂ©ger engourdissement de la bouche, de la langue et du bout des doigts ;
  • une difficultĂ© Ă  marcher ;
  • Ă©ventuellement des maux de tĂȘte ou de ventre.

Ensuite, la paralysie gagne progressivement tout le corps, la tension artĂ©rielle chute, les difficultĂ©s respiratoires apparaissent et s’aggravent jusqu’à la perte de connaissance et l’arrĂȘt respiratoire.

NĂ©anmoins, et mĂȘme si le risque 0 n’existe pas, la consommation de fugu dans les restaurants reste bien encadrĂ©e et assez sĂ»re. Selon les chiffres du ministĂšre de la santĂ© japonais, entre 2003 et 2023, on a recensĂ© 488 cas d’empoisonnement impliquant 672 personnes intoxiquĂ©es, pour un total de 20 morts dont 14 hors restaurant. La plupart des intoxications ont en effet lieu dans un cadre privĂ© (377 incidents sur les 488 rapportĂ©s, soit environ 77 %), souvent chez des pĂȘcheurs qui ont mal prĂ©parĂ© le poisson.

Tsukiji (Tokyo), devanture de restaurant de fugu Tentake

Le maßtre-fugu, un chef certifié

Avant de dĂ©guster du fugu, il est donc nĂ©cessaire de s’assurer qu’il a bien Ă©tĂ© prĂ©parĂ© dans les rĂšgles de l’art par un chef certifiĂ©, ayant suivi une formation dispensĂ©e dans sa prĂ©fecture d’exercice. Tout restaurant servant du fugu est dans l’obligation de le faire cuisiner par un maĂźtre-fugu.

Officiellement interdite au XVIe siĂšcle, la consommation du fugu est de nouveau autorisĂ©e Ă  la fin du XIXe siĂšcle, d’abord dans la prĂ©fecture de Yamaguchi, puis progressivement dans le reste du pays.

C’est Ă  partir de 1947 que des mesures de rĂ©gulation sont prises au niveau national, mais chaque prĂ©fecture conserve ses propres critĂšres de certification des chefs. Depuis 2019, le gouvernement japonais a mis en place une unification des pratiques pour tendre vers un examen commun qui vĂ©rifie les connaissances :

  • thĂ©oriques, avec des tests Ă©crits sur l’hygiĂšne alimentaire et le fugu en gĂ©nĂ©ral ;
  • pratiques : identification de l’espĂšce de fugu, de ses organes, nettoyage d’un poisson et gestion des tissus toxiques.

Une connaissance approfondie des espĂšces de fugu est nĂ©cessaire car toutes ne prĂ©sentent pas les mĂȘmes risques. Par exemple, pour les 2 types de fugu les plus prisĂ©s, une des diffĂ©rences rĂ©side dans la comestibilitĂ© de la peau : on peut manger celle du torafugu, mais pas celle du mafugu qui contient de la tĂ©trodotoxine.

De plus, le changement climatique impacte les poissons sauvages qui tendent Ă  se dĂ©placer hors de leur habitat normal et Ă  se mĂȘler Ă  d’autres espĂšces de fugu, crĂ©ant ainsi des espĂšces hybrides et apportant encore plus de variations aux parties qui peuvent ĂȘtre toxiques ou non.

Les dĂ©chets toxiques du fugu doivent ĂȘtre conservĂ©s Ă  part dans des contenants scellĂ©s, avant d’ĂȘtre incinĂ©rĂ©s. De mĂȘme, les ustensiles ayant servi au dĂ©coupage de ce poisson ne sont utilisĂ©s que pour celui-ci et stockĂ©s Ă  part pour Ă©viter toute contamination.

À noter que certaines parties, comme le foie notoirement lĂ©tal, sont interdites Ă  la vente, ainsi que la chair de fugu d’une espĂšce non-autorisĂ©e.

Comment déguster le fugu ?

Le fugu, principalement le fugu sauvage, est considĂ©rĂ© comme un mets d’hiver et sa consommation est privilĂ©giĂ©e entre octobre et mars, mais on en trouve toute l’annĂ©e. Les professionnels ont d’ailleurs Ă©lu le 9 fĂ©vrier comme jour du fugu au Japon, les caractĂšres kanji de la date offrant plusieurs variations de lecture dont une qui s’approche de fugu (2 = fu et 9 = ku).

Le fugu sauvage (怩然ごぐ tennen fugu) est capturĂ© principalement au sud d’Hokkaido et dans la mer du Japon jusqu’à Fukui, et reprĂ©sentait en 2022 un total de 6.266 tonnes. Le fugu d’élevage (é€Šæź–ă”ă yoshoku fugu) est quant Ă  lui produit dans l’ouest de l'archipel, principalement autour de Kyushu et dans la Mer IntĂ©rieure de Seto. En 2022, il reprĂ©sentait 2.812 tonnes et Ă©tait le 7Ăšme poisson d’élevage au Japon.

Guenpin Kagurazaka (Tokyo), préparation pour la fondue fugu nabe

Les différents plats de fugu

Qu’ils soient issus de la pisciculture ou de la pĂȘche, les fugu sont traitĂ©s de la mĂȘme façon et accommodĂ©s en :

  • sashimi, un plat appelĂ© tessa ou fugusashi ごぐćˆșし, le plus connu. La chair du poisson est dĂ©coupĂ©e en fines tranches translucides, disposĂ©es artistiquement en forme de fleur de chrysanthĂšme dans une grande assiette dont les motifs sont visibles par transparence. Les cuisiniers peuvent exprimer leur crĂ©ativitĂ© en agençant les sashimi en motifs traditionnels, comme des grues aux ailes dĂ©ployĂ©es. Le sashimi est accompagnĂ© d’une sauce soja aux agrumes, la sauce ponzu.
  • fugu nabe (aussi appelĂ© chiri ou tecchiri), qui est un ragoĂ»t de fugu, oĂč les morceaux de poisson et ses arĂȘtes sont cuits avec des lĂ©gumes et du tofu dans un bouillon dashi Ă  base de konbu. Les morceaux cuits sont trempĂ©s dans de la sauce ponzu. À la fin du repas, le bouillon restant est utilisĂ© pour cuire du riz et produire une sorte de porridge, le fugu zosui ごぐ雑炊, et profiter de toutes les saveurs du poisson.
  • karaage fugu, comme le poulet, ce poisson peut ĂȘtre servi panĂ© et frit, sa chair façonnĂ©e dans une forme facile Ă  manger. On peut l’assaisonner de sauce ponzu et de sel.
  • fugu hirezake ごぐăČれ酒 est du sakĂ© infusĂ© avec une nageoire de fugu grillĂ©e ou fumĂ©e.
  • shirako est la laitance du fugu, dont la disponibilitĂ© est soumise Ă  sa pĂ©riode de reproduction. On en trouve gĂ©nĂ©ralement de janvier Ă  mars. Elle prĂ©sente une consistance crĂ©meuse et est proposĂ©e crue, en tempuraÂ đŸ€, grillĂ©e ou cuite dans un zosui (soupe de riz).

Lorsqu’elle est comestible, la peau de fugu est rĂ©putĂ©e pour sa teneur Ă©levĂ©e en collagĂšne. De mĂȘme, sa chair est trĂšs riche en protĂ©ine et peu calorique.

Gustativement parlant, ce poisson à chair blanche présente une saveur subtile et sa texture varie en fonction de la préparation :

  • cru, sa chair est trĂšs ferme, lĂ©gĂšrement caoutchouteuse voire craquante sous la dent ; son goĂ»t est fin, frais et agrĂ©able ;
  • cuit, il se distingue peu des autres poissons, mais sa chair devient tendre.
  • en friture, son goĂ»t est un peu plus relevĂ© ;
  • en hirezake, au contraire, la puissance des arĂŽmes de la nageoire est surprenante.

A priori, il y a peu de diffĂ©rence gustative entre un fugu sauvage et un fugu d’élevage.

OĂč manger du fugu ?

Shimonoseki, dans la prĂ©fecture de Yamaguchi Ă  l’extrĂȘme ouest de Honshu est rĂ©putĂ© pour ĂȘtre la Mecque du fugu. Il y est d’ailleurs appelĂ© fuku, en homophonie avec le mot fuku signifiant "bonheur", tant ce poisson a participĂ© Ă  la richesse de la rĂ©gion. Shimonoseki est le point de transit principal des approvisionnements en fugu, qu’il soit d’élevage, sauvage ou d’importation. Les Ă©tals de son marchĂ© aux poissons Karato Market proposent la plupart des plats de fugu existant, dĂ»ment prĂ©parĂ©s par des poissonniers certifiĂ©s. Le fugu conditionnĂ© est aussi expĂ©diĂ© dans tout le pays.

Un festival du fugu a lieu tous les ans au port de pĂȘche Nanfu Tomari de Shimonoseki, pendant une matinĂ©e autour du 11 fĂ©vrier. L'accĂšs est gratuit et l'on peut y dĂ©guster toutes sortes de plats au fugu Ă  prix rĂ©duit.

Shimonoseki (Yamaguchi), marché aux poissons Karato Market 2

FidĂšle Ă  sa rĂ©putation de cuisine du Japon, c’est Ă  Osaka qu’on mange le plus de fugu (60 % de la production nationale y est engloutie chaque annĂ©e !) ; il y est surnommĂ© teppo 鉄ç Č en rĂ©fĂ©rence Ă  la mort aussi rapide qu’une balle de fusil qui peut toucher le consommateur. C’est aussi Ă  Osaka que l’on trouve le plus de maĂźtres-fugu certifiĂ©s : environ 110.000, soit 5 fois plus qu’à Tokyo et 14 fois plus qu’à Shimonoseki ! Le fugu y est accommodĂ© de prĂ©fĂ©rence en nabe, un plat convivial que l’on cuit et que l’on partage Ă  table. Les restaurants historiques Zuboraya, dont l'enseigne reprĂ©sentait un fugu gĂ©ant en papier, sont malheureusement dĂ©finitivement fermĂ©s.

Enfin, on peut naturellement dĂ©guster du fugu Ă  Tokyo, oĂč de nombreux restaurants ont pignon sur rue dans le sud-est de la ville, vers l’ancien marchĂ© de Tsukiji et jusqu’à Asakusa notamment. Il convient de s’assurer que le poisson est prĂ©parĂ© par un chef certifiĂ©, une obligation lĂ©gale pour tout Ă©tablissement servant du fugu. De mĂȘme, il vaut mieux rĂ©server Ă  l’avance pour s’assurer une expĂ©rience de qualitĂ© et surtout ne jamais suivre de rabatteur.

Un repas de fugu nĂ©cessite un budget consĂ©quent : compter au minimum 5.000„ (~30,96€) par personne pour un menu dĂ©couverte dans un restaurant de chaĂźne spĂ©cialisĂ©e. Nous recommandons de choisir ce type de formule oĂč le poisson est dĂ©clinĂ© en diffĂ©rents plats pour en explorer toutes ses facettes. On peut notamment citer Guenpin Ă  Honshu et Hokkaido, ou encore Torafugu-tei Ă  Tokyo et alentours, certains Ă©tablissements proposant mĂȘme la livraison Ă  domicile ou des plats Ă  emporter (quantitĂ© minimale pour 2 personnes).

Pour l’anecdote, l’empereur du Japon a encore aujourd'hui l’interdiction de manger du fugu.

Vocabulaire

En japonais Transcription Signification
ごぐ Fugu fugu ou poisson-globe (graphie la plus courante)
æČłè±š Fugu fugu ou poisson-globe
鉄ç Č Teppo surnom du fugu Ă  Osaka
怩然ごぐ Tennen fugu fugu sauvage
é€Šæź–ă”ă YĂŽshoku fugu fugu d'Ă©levage

ごぐ懊理枫 ou ごぐèȘżç†ćž« ou ă”ăć–æ‰±ç™»éŒČ者

Fugu shori shi ou Fugu chÎri shi ou Fugu toriatsukai tÎroku-sha, etc. maßtre-fugu, chef certifié spécialiste de la préparation du fugu (les dénominations varient selon les préfectures)
ăƒ†ăƒˆăƒ­ăƒ‰ăƒˆă‚­ă‚·ăƒł Tetorodotokishin tĂ©trodotoxine
ごぐćˆșし Fugu-sashi sashimi de fugu
どっさ Tessa autre nom du sashimi de fugu, surtout employĂ© Ă  Osaka
ă”ăé‹ Fugu nabe pot-au-feuÂ đŸ”„ ou fondue de fugu
どっちり Tecchiri autre nom du nabe de fugu
ごぐ雑炊 Fugu zosui porridge ou bouillie de riz au fugu
ç™œć­ Shirako laitance de fugu
ごぐăČれ酒 Fugu hirezake sakĂ©Â đŸ¶ infusĂ© de nageoire de fugu
Mis Ă  jour le 13 mars 2025