Fugu
đĄ Le goĂ»t pour le poisson-tueur japonais
Le fugu est un poisson-globe qui possĂšde une toxine mortelle pour l'homme : la tĂ©trodotoxine. ConsommĂ© dĂšs la prĂ©histoire au Japon, il a nĂ©anmoins Ă©tĂ© interdit lors de lâĂ©poque fĂ©odale pour sa dangerositĂ©. Sa rĂ©putation sulfureuse a persistĂ© jusquâĂ nos jours et constitue probablement un des attraits pour sa dĂ©gustation. Sa chair dĂ©licate est un mets rare et apprĂ©ciĂ© dont la prĂ©paration nâest autorisĂ©e quâaux professionnels spĂ©cialement formĂ©s.
Le fugu đĄ consommĂ© au Japon est un poisson đ du genre Takifugu que lâon trouve principalement dans les eaux entourant lâarchipel nippon, jusquâaux cĂŽtes de Chine et de CorĂ©e du Sud, et parfois en riviĂšre. Il possĂšde 4 dents formant une sorte de bec et un adulte peut mesurer jusquâĂ 85 cm selon lâespĂšce. Son surnom de poisson-globe vient du mĂ©canisme de protection qui lui permet de gonfler son abdomen pour paraĂźtre plus gros et se dĂ©fendre des prĂ©dateurs.
Cependant, le vĂ©ritable frein Ă sa consommation rĂ©side dans le fait quâil contient de la tĂ©trodotoxine (TTX), un poison mortel mĂȘme Ă trĂšs faible dose. En moyenne, un poisson contient assez de toxine pour tuer une 30aine de personnes. Elle agit en paralysant les muscles, provoquant un arrĂȘt respiratoire dans les heures qui suivent lâingestion.
Parties toxiques et statistiques dâempoisonnement
Pour les 22 espÚces de fugu dont la consommation est autorisée au Japon, la chair proprement dite est comestible sans danger, à condition d'avoir été bien préparée. La neurotoxine se trouve principalement dans le foie, la peau, les intestins, les ovaires et les gonades du poisson.
Les scientifiques pensent que la toxine sâaccumule dans lâorganisme du fugu en raison de son rĂ©gime alimentaire. Celui-ci comprend un certain type dâalgue contenant une bactĂ©rie qui produit la tĂ©trodotoxine. Les fugu dâĂ©levage ne consommant pas cette bactĂ©rie, ils sont en principe dĂ©nuĂ©s de poison. Toutefois, tous les mĂ©canismes de synthĂšse de la toxine nâĂ©tant pas connus, la prudence reste de mise concernant la prĂ©paration du poisson qui doit toujours ĂȘtre effectuĂ©e par un professionnel certifiĂ©.
Statistiques et symptĂŽmes dâun empoisonnement au fugu
Outre lâingestion dâun organe toxique tel que le foie, câest en effet une mauvaise manipulation du poisson lors de son nettoyage qui peut contaminer sa chair. Cela est dâautant plus difficile Ă dĂ©tecter que la neurotoxine est inodore, incolore et sans saveur. De plus, elle rĂ©siste Ă la cuisson.
Les premiers symptĂŽmes dâempoisonnement apparaissent entre 20 minutes et 3 heures aprĂšs lâingestion et, sans traitement, la mort peut survenir en 4 Ă 6 heures. Il nâexiste pas dâantidote Ă la tĂ©trodotoxine : le seul remĂšde consiste Ă hospitaliser la victime et Ă la placer sous assistance respiratoire jusquâĂ ce que ses effets se dissipent.
Les symptĂŽmes qui doivent alerter sont :
- un léger engourdissement de la bouche, de la langue et du bout des doigts ;
- une difficulté à marcher ;
- Ă©ventuellement des maux de tĂȘte ou de ventre.
Ensuite, la paralysie gagne progressivement tout le corps, la tension artĂ©rielle chute, les difficultĂ©s respiratoires apparaissent et sâaggravent jusquâĂ la perte de connaissance et lâarrĂȘt respiratoire.
NĂ©anmoins, et mĂȘme si le risque 0 nâexiste pas, la consommation de fugu dans les restaurants reste bien encadrĂ©e et assez sĂ»re. Selon les chiffres du ministĂšre de la santĂ© japonais, entre 2003 et 2023, on a recensĂ© 488 cas dâempoisonnement impliquant 672 personnes intoxiquĂ©es, pour un total de 20 morts dont 14 hors restaurant. La plupart des intoxications ont en effet lieu dans un cadre privĂ© (377 incidents sur les 488 rapportĂ©s, soit environ 77 %), souvent chez des pĂȘcheurs qui ont mal prĂ©parĂ© le poisson.
Le maßtre-fugu, un chef certifié
Avant de dĂ©guster du fugu, il est donc nĂ©cessaire de sâassurer quâil a bien Ă©tĂ© prĂ©parĂ© dans les rĂšgles de lâart par un chef certifiĂ©, ayant suivi une formation dispensĂ©e dans sa prĂ©fecture dâexercice. Tout restaurant servant du fugu est dans lâobligation de le faire cuisiner par un maĂźtre-fugu.
Officiellement interdite au XVIe siĂšcle, la consommation du fugu est de nouveau autorisĂ©e Ă la fin du XIXe siĂšcle, dâabord dans la prĂ©fecture de Yamaguchi, puis progressivement dans le reste du pays.
Câest Ă partir de 1947 que des mesures de rĂ©gulation sont prises au niveau national, mais chaque prĂ©fecture conserve ses propres critĂšres de certification des chefs. Depuis 2019, le gouvernement japonais a mis en place une unification des pratiques pour tendre vers un examen commun qui vĂ©rifie les connaissances :
- thĂ©oriques, avec des tests Ă©crits sur lâhygiĂšne alimentaire et le fugu en gĂ©nĂ©ral ;
- pratiques : identification de lâespĂšce de fugu, de ses organes, nettoyage dâun poisson et gestion des tissus toxiques.
Une connaissance approfondie des espĂšces de fugu est nĂ©cessaire car toutes ne prĂ©sentent pas les mĂȘmes risques. Par exemple, pour les 2 types de fugu les plus prisĂ©s, une des diffĂ©rences rĂ©side dans la comestibilitĂ© de la peau : on peut manger celle du torafugu, mais pas celle du mafugu qui contient de la tĂ©trodotoxine.
De plus, le changement climatique impacte les poissons sauvages qui tendent Ă se dĂ©placer hors de leur habitat normal et Ă se mĂȘler Ă dâautres espĂšces de fugu, crĂ©ant ainsi des espĂšces hybrides et apportant encore plus de variations aux parties qui peuvent ĂȘtre toxiques ou non.
Les dĂ©chets toxiques du fugu doivent ĂȘtre conservĂ©s Ă part dans des contenants scellĂ©s, avant dâĂȘtre incinĂ©rĂ©s. De mĂȘme, les ustensiles ayant servi au dĂ©coupage de ce poisson ne sont utilisĂ©s que pour celui-ci et stockĂ©s Ă part pour Ă©viter toute contamination.
Ă noter que certaines parties, comme le foie notoirement lĂ©tal, sont interdites Ă la vente, ainsi que la chair de fugu dâune espĂšce non-autorisĂ©e.
Comment déguster le fugu ?
Le fugu, principalement le fugu sauvage, est considĂ©rĂ© comme un mets dâhiver et sa consommation est privilĂ©giĂ©e entre octobre et mars, mais on en trouve toute lâannĂ©e. Les professionnels ont dâailleurs Ă©lu le 9 fĂ©vrier comme jour du fugu au Japon, les caractĂšres kanji de la date offrant plusieurs variations de lecture dont une qui sâapproche de fugu (2 = fu et 9 = ku).
Le fugu sauvage (怩ç¶ă”ă tennen fugu) est capturĂ© principalement au sud dâHokkaido et dans la mer du Japon jusquâĂ Fukui, et reprĂ©sentait en 2022 un total de 6.266 tonnes. Le fugu dâĂ©levage (é€æźă”ă yoshoku fugu) est quant Ă lui produit dans lâouest de l'archipel, principalement autour de Kyushu et dans la Mer IntĂ©rieure de Seto. En 2022, il reprĂ©sentait 2.812 tonnes et Ă©tait le 7Ăšme poisson dâĂ©levage au Japon.
Les différents plats de fugu
Quâils soient issus de la pisciculture ou de la pĂȘche, les fugu sont traitĂ©s de la mĂȘme façon et accommodĂ©s en :
- sashimi, un plat appelĂ© tessa ou fugusashi ă”ăćșă, le plus connu. La chair du poisson est dĂ©coupĂ©e en fines tranches translucides, disposĂ©es artistiquement en forme de fleur de chrysanthĂšme dans une grande assiette dont les motifs sont visibles par transparence. Les cuisiniers peuvent exprimer leur crĂ©ativitĂ© en agençant les sashimi en motifs traditionnels, comme des grues aux ailes dĂ©ployĂ©es. Le sashimi est accompagnĂ© dâune sauce soja aux agrumes, la sauce ponzu.
- fugu nabe (aussi appelĂ© chiri ou tecchiri), qui est un ragoĂ»t de fugu, oĂč les morceaux de poisson et ses arĂȘtes sont cuits avec des lĂ©gumes et du tofu dans un bouillon dashi Ă base de konbu. Les morceaux cuits sont trempĂ©s dans de la sauce ponzu. Ă la fin du repas, le bouillon restant est utilisĂ© pour cuire du riz et produire une sorte de porridge, le fugu zosui ă”ăéç, et profiter de toutes les saveurs du poisson.
- karaage fugu, comme le poulet, ce poisson peut ĂȘtre servi panĂ© et frit, sa chair façonnĂ©e dans une forme facile Ă manger. On peut lâassaisonner de sauce ponzu et de sel.
- fugu hirezake ă”ăăČăé est du sakĂ© infusĂ© avec une nageoire de fugu grillĂ©e ou fumĂ©e.
- shirako est la laitance du fugu, dont la disponibilitĂ© est soumise Ă sa pĂ©riode de reproduction. On en trouve gĂ©nĂ©ralement de janvier Ă mars. Elle prĂ©sente une consistance crĂ©meuse et est proposĂ©e crue, en tempura đ€, grillĂ©e ou cuite dans un zosui (soupe de riz).
Lorsquâelle est comestible, la peau de fugu est rĂ©putĂ©e pour sa teneur Ă©levĂ©e en collagĂšne. De mĂȘme, sa chair est trĂšs riche en protĂ©ine et peu calorique.
Gustativement parlant, ce poisson à chair blanche présente une saveur subtile et sa texture varie en fonction de la préparation :
- cru, sa chair est trÚs ferme, légÚrement caoutchouteuse voire craquante sous la dent ; son goût est fin, frais et agréable ;
- cuit, il se distingue peu des autres poissons, mais sa chair devient tendre.
- en friture, son goût est un peu plus relevé ;
- en hirezake, au contraire, la puissance des arĂŽmes de la nageoire est surprenante.
A priori, il y a peu de diffĂ©rence gustative entre un fugu sauvage et un fugu dâĂ©levage.
OĂč manger du fugu ?
Shimonoseki, dans la prĂ©fecture de Yamaguchi Ă lâextrĂȘme ouest de Honshu est rĂ©putĂ© pour ĂȘtre la Mecque du fugu. Il y est dâailleurs appelĂ© fuku, en homophonie avec le mot fuku signifiant "bonheur", tant ce poisson a participĂ© Ă la richesse de la rĂ©gion. Shimonoseki est le point de transit principal des approvisionnements en fugu, quâil soit dâĂ©levage, sauvage ou dâimportation. Les Ă©tals de son marchĂ© aux poissons Karato Market proposent la plupart des plats de fugu existant, dĂ»ment prĂ©parĂ©s par des poissonniers certifiĂ©s. Le fugu conditionnĂ© est aussi expĂ©diĂ© dans tout le pays.
Un festival du fugu a lieu tous les ans au port de pĂȘche Nanfu Tomari de Shimonoseki, pendant une matinĂ©e autour du 11 fĂ©vrier. L'accĂšs est gratuit et l'on peut y dĂ©guster toutes sortes de plats au fugu Ă prix rĂ©duit.
FidĂšle Ă sa rĂ©putation de cuisine du Japon, câest Ă Osaka quâon mange le plus de fugu (60 % de la production nationale y est engloutie chaque annĂ©e !) ; il y est surnommĂ© teppo éç Č en rĂ©fĂ©rence Ă la mort aussi rapide quâune balle de fusil qui peut toucher le consommateur. Câest aussi Ă Osaka que lâon trouve le plus de maĂźtres-fugu certifiĂ©s : environ 110.000, soit 5 fois plus quâĂ Tokyo et 14 fois plus quâĂ Shimonoseki ! Le fugu y est accommodĂ© de prĂ©fĂ©rence en nabe, un plat convivial que lâon cuit et que lâon partage Ă table. Les restaurants historiques Zuboraya, dont l'enseigne reprĂ©sentait un fugu gĂ©ant en papier, sont malheureusement dĂ©finitivement fermĂ©s.
Enfin, on peut naturellement dĂ©guster du fugu Ă Tokyo, oĂč de nombreux restaurants ont pignon sur rue dans le sud-est de la ville, vers lâancien marchĂ© de Tsukiji et jusquâĂ Asakusa notamment. Il convient de sâassurer que le poisson est prĂ©parĂ© par un chef certifiĂ©, une obligation lĂ©gale pour tout Ă©tablissement servant du fugu. De mĂȘme, il vaut mieux rĂ©server Ă lâavance pour sâassurer une expĂ©rience de qualitĂ© et surtout ne jamais suivre de rabatteur.
Un repas de fugu nĂ©cessite un budget consĂ©quent : compter au minimum 5.000„ (~30,96âŹ) par personne pour un menu dĂ©couverte dans un restaurant de chaĂźne spĂ©cialisĂ©e. Nous recommandons de choisir ce type de formule oĂč le poisson est dĂ©clinĂ© en diffĂ©rents plats pour en explorer toutes ses facettes. On peut notamment citer Guenpin Ă Honshu et Hokkaido, ou encore Torafugu-tei Ă Tokyo et alentours, certains Ă©tablissements proposant mĂȘme la livraison Ă domicile ou des plats Ă emporter (quantitĂ© minimale pour 2 personnes).
Pour lâanecdote, lâempereur du Japon a encore aujourd'hui lâinterdiction de manger du fugu.