Kyoto et Nara vidées de leurs touristes à cause du Coronavirus
Visite hallucinée des sites touristiques déserts au printemps 2020
Bien au-delà de la crise sanitaire et des centaines de milliers de décès dans le monde, le Covid-19 a des conséquences terribles sur l'industrie du tourisme au Japon. À partir de fin mars 2020, l'archipel a largement fermé ses frontières et n'accueille depuis quasiment plus aucun voyageur en provenance de l'étranger. La situation devrait encore durer jusqu'au courant de l'été.
Alors que les préfectures japonaises sont toutes sorties de leur état d'urgence sanitaire, nous sommes allés parcourir Kyoto et Nara sans touriste, évidemment, et notamment leurs sites les plus courus par les visiteurs en temps normal. Les anciennes capitales impériales offrent un terrain de jeu beaucoup plus parlant que Tokyo, en ce sens qu'elles regroupent sur un espace restreint des lieux quasi exclusivement dédiés au tourisme, devenu si massif ces dernières années. En temps de pandémie donc, certaines zones de ces villes se montrent assourdissantes de vide, et le contraste saisissant voire glacial.
Les photos qui suivent ont été prises tout début juin 2020 sur des journées en milieu de semaine.
Arashiyama et sa bambouseraie
Nous arrivons à Arashiyama un peu avant 10 heures du matin, dans un train 🚅 Hankyu avec seulement 5 voyageurs au terminus, puisque les salary-men étaient descendus aux arrêts précédents. Au sortir du quai vide et de la gare déserte, des taxis et jinrikisha (pousse-pousse) attendent, blasés, les clients qui ne viennent pas.
Les rues sont désertes et les locations de vélos ont le rideau baissé. Quelques rares chaînes de magasins sont ouvertes mais ceux tenus par des individuels restent fermés ; de plus, aucun restaurant n'accueille de client. Peut-être tous ceux-là n'ouvrent-ils que le week-end. Sur le long pont Togetsukyo, au maximum 15 personnes marchent en même temps.
La bambouseraie, d'habitude bouillonnante, est vide. Si vide qu'on y entend le silence, à peine perturbé par le chant des oiseaux. Des locaux font leur jogging ou du vélo 🚲 entre les bambous ! Depuis combien de temps n'avaient-ils plus pu le faire ? On croise quelques expatriés, mais surtout des Japonais.
L'employé à l'entrée du temple Tenryu-ji nous glisse que la fréquentation dépend surtout de la météo ; pourtant aujourd'hui, il fait très beau. On discute et il nous explique qu'il voit un peu plus de monde les samedis et dimanches, en particulier des Japonais qui profitent de l'absence des touristes.
Kinkaku-ji
Arrivée faite avant la fin de matinée. On est surpris de constater que les bus de ville n°59 ou 12, qui desservent plusieurs temples du coin en temps normal, voient certains de leurs arrêts touristiques condamnés car essentiellement utilisés par des voyageurs internationaux, absents en cette période de frontières fermées. Au Kinkakuji même, il y aura finalement peu de dispositions Covid à l'exception du spot où on jette les pièces, condamné par une bâche verte.
Tous les magasins de la zone devant le temple sont fermés, sauf celui de cartes postales. L'ensemble des vigiles sont présents, mais ils ne croulent évidemment pas sous le travail... Après les caisses, on découvre l'allée principale surréaliste, sans un chat 🐈. Un calme incroyable a pris ses quartiers partout dans le domaine : on entend bruit des oiseaux et celui de la cascade à des distances inhabituelles. Les quelques Japonais sur place en même temps que nous parlent doucement. Nous en avons donc profité pour prendre un bol de matcha 🍵 tranquillement, bercés par le bruit du petit filet d'eau du jardin entendu depuis la maison de thé.
En une petite heure sur place, nous aurons croisé en tout et pour tout 15 personnes, dont pour seuls étrangers une petite famille d'expatriés Pakistanais.
Centre-ville : Shijo-Kawaramachi, Gion et alentours
Ici, on est au cœur de l'ancienne capitale, qui vit moins à but uniquement touristique. Il y a plus de fréquentation à Shijo-Kawaramachi, peut-être car il est un peu plus de midi. Des gens vivent ici, ils sortent forcément.
Quoi qu'il en soit, les quais de la rivière Kamogawa sont totalement dépeuplés. Peut-être qu'avec le soleil à son zénith, la chaleur décourage jusqu'aux plus téméraires. Il en va de même pour l'entrée du sanctuaire Yasaka.
Il n'y a pas foule non plus à Gion, même si les travaux y continuent un peu partout. Beaucoup de magasins sont restés fermés, à l'exception d'une file d'attente d'environ 10 personnes devant un café de warabi-mochi, une pâtisserie populaire. Les voitures 🚙 et scooters en profitent pour rouler à fond. On y repassera en fin d'après-midi : il y aura encore moins de monde.
Pontocho, elle, est déserte...
Ni/Sannenzaka et Kiyomizu-dera
On se dirige ensuite vers Higashiyama, l'est de Kyoto. Quasiment tous les commerces sont fermés à Ninenzaka : on ne croise absolument personne dans cette allée piétonne d'ordinaire grouillante de touristes. Un jinrikisha attend le chaland et s'ennuie à mourir. Dans la rue du récent hôtel 🏨 Park Hyatt (d'ailleurs resté fermé), 5 personnes déambulent à tout casser.
Il y a un tout petit peu plus de monde à Sannenzaka, mais la moitié des magasins sont restés fermés. Comme à Arashiyama, seules les grosses chaînes ont remis du personnel, qui n'est manifestement pas débordé.
Puis l'on arrive au fameux Kiyomizu-dera. Devant l'entrée du sanctuaire, 3 personnes prennent des photos. Cette esplanade vide est absolument surréaliste : pas une seule âme ne fait la queue à l'entrée (!). On entre pour faire la visite sans aucun touriste, accompagnés des bruits de la nature et des oiseaux. On se pose sur les pilotis, seuls, pendant 5 bonnes minutes.
En une heure passée sur place, nous aurons croisé moins de 30 personnes.
Fushimi Inari Taisha
Vers 16 heures, l'un des plus gros spots touristiques de la ville nous attend. Direction le sud et l'emblématique sanctuaire de Fushimi. Dès la zone des 2 couloirs de torii ⛩️, il n'y a pas un chat.
Naturellement, même constat pendant la randonnée vers le sommet. Arrivés en haut pour admirer le coucher du soleil, les bancs ont été retirés, sans doute pour encourager la distanciation physique.
Comme à Kiyomizu, seule une bonne vingtaine de personnes auront été vues en 1h30. Parmi elles, un groupe de 8 Japonais en visite. Le reste ? Des expatriés chinois, et des locaux venus pour prier au sanctuaire.
On croise plus de monde en faisant de la randonnée en montagne en temps normal, qu'en ce moment dans ce lieu pourtant d'ordinaire si fréquenté.
Nara
Sur une autre journée, nous arrivons en milieu de matinée à la gare Kintetsu du centre-ville de Nara.
On trouve un peu de monde dans la shotengai (allée commerçante couverte), et uniquement des locaux. L'ensemble des boutiques touristiques sont fermées, même les chaînes. Le magasin de mochi qui présente ses fameuses animations de maillets en profite pour refaire sa vitrine. L'avenue principale qui mène à la gare JR voit environ 1 magasin sur 20 d'ouvert ; même l'office de tourisme est fermé. Sur tout le trajet, on ne croise aucun jinrikisha.
Arrivés à Kofuku-ji dans le courant de la matinée, on découvre un lieu quasi désert. Les bâtiments sont tous fermés, y compris le dernier, refait il y a 2 ans. Dans l'enceinte, on croise 5 personnes à tout casser.
Les seules personnes aperçues dans le parc de Nara sont une famille en train de faire un pique-nique et trois vendeuses de senbei (biscuits) pour les cerfs 🦌 shika. Ces derniers, moins nombreux que d'habitude, dorment pour la plupart ou sont couchés par terre au milieu des chemins. Une des vendeuses nous glisse qu'ils s'aventurent dans la ville car ils ont moins à manger, et vont même déranger certains habitants dans leurs maisons. Puisqu'ils mangent moins varié, on lit également que leurs excréments sont plus durs !
On arrive au Todai-ji, cœur de la visite de la ville, vers midi. Tous les magasins de l'allée sont fermés sauf un ; c'est pire qu'à Kyoto. On ne croise personne à l'intérieur du temple, donc on y entend une résonance très inhabituelle et malaisante. Todaiji est ouvert, mais avec des restrictions :
- le masque est obligatoire pour les visiteurs sur tout le secteur ;
- l'entrée dispose de couloirs balisés pour se rendre aux caisses (une sur deux seulement est ouverte) ;
- l'esplanade principale du temple a 2 sens de circulation distincts, délimités par des barrières rouges sur la photo ;
- la narine de bouddha (hashirakuguri), dans laquelle on passe allongé, est clôturée ;
- le pindora où l'on touche Bouddha pour se soigner est également fermé ;
- des moines effectuent des prières pour continuer à éviter la pandémie au Japon.
Au déjeuner, notre petit boui-boui habituel a seulement dressé 2 tables. Nous sommes évidemment seul dans le restaurant.
Sur le chemin en direction du Kasuga Taisha, on ne croise personne pendant 10 minutes. Dans l'enceinte du sanctuaire, on se croirait à Fushimi Inari, mais en pire : on aura pas vu plus de 5 personnes par grappe.
Le musée national est naturellement fermé. Nous n'avons pas poussé, ni jusqu'à Nigatsudo, ni Naramachi, qui sont peu fréquentés même en temps normal, les touristes se limitant souvent aux quelques pôles cités plus haut.
Notre ressenti sur cette journée à Nara est le même qu'à Kyoto (voir ci-dessous), Nara étant encore plus tributaire du tourisme que la capitale du Kansai. Sur les quelques heures passées sur place, les seuls étrangers rencontrés auront été 2 Chinoises.
Le sentiment de Kanpai
Notre constat est mitigé, car le sentiment personnel très paradoxal. Il y a à peine 3 mois, on n'y aurait tout simplement pas cru !
Le fait de pouvoir parcourir ces spots aussi vides est comme irréel. C'est un souvenir unique que nous pourrons partager pendant longtemps après la crise ; on se sent presque chanceux d'avoir vécu cela au moins une fois dans sa vie. Même au moment du SRAS en 2003 ou de la grippe H1N1 en 2009, la situation n'avait pas atteint ce pic, puisque non seulement les frontières n'étaient pas fermées, mais en outre les Japonais continuaient à venir eux-mêmes sur les sites.
Le vrai côté positif, c'est le calme retrouvé bien sûr, même de manière temporaire, ainsi que la sérénité inattendue de la balade dans des lieux pour certains sacrés, parfois gâchés par la foule ingérable de ces dernières années.
En corolaire, la prise de photos est d'une facilité déconcertante. Les sites reprennent de leur superbe.
Le revers de la médaille, c'est le secteur réceptif qui souffre. Sur un plan économique, la période est désastreuse pour les acteurs du tourisme. Les temples voient leurs donations en chute libre ; on s'attend à des faillites de commerçants et de restaurateurs. Les agences de voyages spécialistes tirent la langue.
La situation en elle-même sur place est très perturbante par son côté presque post-apocalyptique, alors même que le Japon a été très peu touché par le virus. Jusqu'aux photos prises nous mettent mal à l'aise ; la ville y semble alors presque fausse.
Même quand la crise du Coronavirus 🦠 sera derrière nous, ce spectacle alors lointain d'une ville fantôme ne devra pas faire oublier qu'il existe une infinité de lieux exceptionnels au Japon, hors des sentiers battus, que nous nous efforçons de compléter plusieurs fois par semaine sur Kanpai dans notre guide de visites.
D'aucuns auront beau râler sur les hordes de touristes à Kyoto et Nara, celles-ci nous rappellent qu'au moins, la vie y foisonne en temps normal !