Souvenirs de Marnie (critique) : la paralysie Ghibli
Ces deux dernières années furent plutôt fastes pour un Studio Ghibli généralement habitué à plus de pondération. 2013 a, ainsi, notamment vu la sortie au Japon de deux gros morceaux : Le vent se lève et Le conte de la princesse Kaguya, chants du cygne respectifs plus ou moins officiels de Hayao Miyazaki et Isao Takahata.
L’annonce de la retraite du premier, en tout cas sur les longs-métrages d’animation, a semé sur l’avenir du studio un grand vent de doute alimenté par les déclarations plus récentes de Toshio Suzuki, retranscrites cet été avec une rigueur pour le moins fluctuante (comme souvent) dans les médias occidentaux.
Car hormis ses deux hommes forts et depuis la disparition prématurée de Yoshifumi Kondo, Ghibli semble ne plus compter que sur deux réalisateurs pour reprendre le flambeau : Goro Miyazaki, fils du maître tombé dans la marmite un peu par hasard et Hiromasa Yonebayashi, qui a gravi les échelons uns à uns jusqu’à se voir confier Arrietty et le petit monde des chapardeurs en 2010.
Une deuxième chance
C’est ce même Yonebayashi que l’on retrouve donc ici avec son deuxième film d’animation : Souvenirs de Marnie, sorti cet été au Japon et que nous avons eu l'opportunité de découvrir en projection presse deux mois avant sa sortie au cinéma en France.
Librement inspiré du roman anglais de Joan Robinson Quand Marnie était là (1967), cité par Hayao Miyazaki dans sa liste des 50 livres qu'il faut avoir lus, le long-métrage aborde le mal-être d’Anna, une adolescente de Sapporo qui peine à s’assumer et à trouver sa place. Le séjour chez son oncle et sa tante va être l’occasion de rencontrer la mystérieuse Marnie et de nouer avec elle une étonnante relation d’amitié.
À première vue, le film ne surprendra aucun habitué du studio, à commencer par sa direction artistique. Les celluloïds habituels, animés à la main, déambulent dans des décors saisissants qui retranscrivent toujours aussi bien le charme de la 2D. Si l’action se déroule principalement autour de Sendai, le film arbore pourtant une touche très occidentale construite entre Marnie elle-même, son manoir et le moulin abandonné.
Sans trop en dévoiler, le scénario avait suffisamment de latitude pour s’offrir de belles sorties fantasmatiques, mais il reste pourtant très terre-à-terre et ne s’autorise jamais à s'extirper de rebondissements somme toute très convenus. On trouve d'ailleurs un trou d’air confondant à mi-film qui accuse clairement le manque de maîtrise du rythme.
Heureusement, la bande-son de Takatsugu Matsumura accompagne très joliment le déroulement jusqu'à sa charmante conclusion, et il faut noter l'étonnante chanson thème de Priscilla Ahn, qui illustre tout en anglais le générique de fin.
Le symbole d’un Ghibli qui va perdre de sa superbe ?
Autant l’écrire assez franchement : nous n’avons pas trouvé Marnie plus inoubliable qu'Arrietty et, aussi plaisants soient-ils, ces deux-là cristallisent bien toute la difficulté d’équilibre éditorial du Studio Ghibli. Avec les créations de deux têtes de proue aussi puissantes et identitaires, il semble une gageure d’espérer vouloir faire sa place derrière elles.
Lorsque Miyazaki et Takahata étaient encore en activité, les productions de leurs collègues venaient comme une dose de respiration entre des chefs-d’œuvre quasi inévitables : par exemple Je peux entendre l'océan (1993) et Si tu tends l'oreille (1995) entre Porco Rosso (1992), Pompoko (1994) et Princesse Mononoké (1997).
Alors que la voie est désormais libre, les su(rv)ivants sont désormais pris d’une paralysie toute japonaise : par respect pour ceux qui resteront à jamais des senpai déifiés, impossible de se libérer de leur joug qui plane sur Koganei. La sortie tonitruante de Mamoru Hosoda lors de la production du Château 🏯 ambulant en témoigne d’ailleurs on ne peut mieux.
Seul un a réussi cet exploit : Hiroyuki Morita et son Royaume des chats 🐈. Inspiré, créatif et libre tout en assumant sa filiation Ghibli, il a su trouver son identité en respectant les codes du studio. Pourquoi, alors, ne pas lui donner à nouveau sa chance plutôt que d’insister avec deux réalisateurs soit mal à l’aise, soit peu téméraires ?