Reiwa : la nouvelle ère japonaise sous l'Empereur Naruhito
Le Japon change de calendrier impérial au 1er mai 2019 avec l'accession au trône du Prince Naruhito et pour la première fois de son histoire, on connaît un mois en avance son 元号 gengo (nom officiel) : il s'agit de l'Ère 令和 Reiwa, la 248ème période impériale de l'Histoire du Japon.
Pour éviter toute fuite d'informations, l'actuel Secrétaire général du Cabinet, Yoshihide Suga, l'a dévoilé en conférence de presse depuis le bureau du Premier Ministre Shinzo Abe, et cela directement à l'issue des délibérations du comité en charge de ce choix délicat et de la promulgation par le gouvernement d'une ordonnance au 1er avril 2019 (au début de l'année fiscale japonaise).
Depuis le 14 mars 2019, une sélection d'intellectuels et de spécialistes en littérature et histoire orientale a planché sur une liste d'une trentaine de noms possible. Ensuite, le Cabinet du Japon a retenu cinq noms qui ont été étudiés dans une ultime commission gouvernementale avant l'élection finale que l'on connaît désormais. Les quatre autres finalistes ont été dévoilés sur la chaîne de télévision NHK dans la foulée, il s'agissait de 英弘 Eikô, 久化 Kyûka, 広至 Kôshi, 万和 Banna et 万保 Banpô.
Bien que les circonstances soient exceptionnelles, le choix du titre respecte la traditionnelle procédure dictée par la loi de 1979, "Era Name Act", déjà utilisée pour le précédent changement d'ère de Showa à Heisei en 1989. Ainsi, le nom Reiwa se caractérise par :
- une décision collégiale prise par les instances du pouvoir politique en place : le gouvernement et les chambres parlementaires de la Diète (mais pas par la famille impériale qui doit rester neutre) ;
- une première lettre originale afin de ne pas être confondue avec les périodes les plus récentes : "R" ;
- une transcription en deux caractères kanji facile à lire et à écrire par le plus grand nombre : 令和 ;
- une signification en accord avec l'époque et les aspirations nationales perçues.
Sur les deux derniers points, il y a débat, depuis l'annonce du nom de la nouvelle ère et surtout de son interprétation en kanji. En effet, le choix des caractères n'est jamais anodin dans la langue japonaise et plusieurs notions peuvent se dégager d'une seule expression écrite. À chacun de faire son propre avis sur la question.
Deux lectures possibles pour rei et wa
Pour la première fois de l'histoire, les idéogrammes choisis sont issus de la littérature classique japonaise et non chinoise. L'expression 令和 reiwa est tirée d'un court poème waka sur la floraison des pruniers ume, issu du plus vieux recueil éclectique de poésie japonaise baptisé Manyoshu (daté du VIIIe siècle).
Pour justifier le nom de "Reiwa", le Premier Ministre Shinzo Abe expliquait en conférence de presse le 1er avril à Tokyo :
"Le printemps 🌸 vient après l'hiver sévère, ce nom veut marquer le début d'une période qui déborde d'espoir"
Si l'on s'en tient au discours officiel de Shinzo Abe, Reiwa est le mariage entre :
- 令 rei pour la "bonne fortune" ou de "bonne augure"
- et 和 wa pour la "paix" ou l'"harmonie"
Ainsi, cette ère suivrait logiquement les pas de son aînée 平成 Heisei, traduite par la "paix achevée". Dans un monde inter-connecté, la nation japonaise continue de faire vivre ses traditions et les partage dans une bienveillance générale et acceptée : en "bonne harmonie". Cette explication, aussi noble et porteuse d'espoir soit-elle, n'en serait toutefois peut-être que la version politiquement correcte. En effet, certains traducteurs et/ou observateurs occidentaux y voient une signification bien plus souverainiste.
C'est le premier idéogramme 令 qui amène le plus d'interrogations. Dans l'un de ses emplois courants, il peut signifier "ordre", "commande", "règle", "loi" ou "mandat". On se rapproche ainsi d'un univers lexical lié à l'autorité et à l'injonction. Quant au deuxième kanji, 和 s'avère être bien celui de la "paix" ou de l'"harmonie". Il est également utilisé dans certains mots pour qualifier tout ce qui a attrait au Japon ; par exemple, 和食 washoku que l'on traduit par "nourriture japonaise". De cette façon, Reiwa pourrait se comprendre par une "harmonie ordonnée" voire un "Japon ordonné et pacifiste". Cette dernière transcription fait écho aux penchants nationalistes connus du gouvernement et pose donc un regard moins idéalisé sur cette nouvelle ère qui s'ouvre.
Shinzo Abe lui même explique d'ailleurs :
"Le nom est censé refléter l'unité spirituelle des Japonais"
Par ailleurs et sur Internet 📶, le nom de domaine reiwa.com, qui appartient à l'institut immobilier de l'Australie Occidentale ("Western Australia's Real Estate Institute" en anglais), a vu sa visibilité exploser en quelques minutes sur les réseaux sociaux, à la suite de la déclaration de Yoshihide Suga. Dans un communiqué, l'établissement a même déclaré avoir fait 70% de son trafic au 1er avril uniquement en provenance du Japon ; de quoi semer la confusion dans les esprits des citoyens nippons !
À noter que dès le jour de l'annonce, les entreprises nippones se sont engouffrées avec frénésie dans une stratégie marketing virale et de masse : il est maintenant possible de trouver au Japon toute sorte d'objets, de jeux et aussi la cuisine locale estampillés 令和 Reiwa.
Impact sur le calendrier japonais
Au quotidien, les Japonais utilisent deux calendriers pour définir une date : le jour et le mois tiennent compte du classique système grégorien, tandis que l'année peut également être définie suivant un décompte national basé sur les règnes successifs des empereurs.
Par exemple, l'année 2018 correspond à l'an 30 de l'ère Heisei et elle est ainsi nommée couramment de ces deux façons. De nombreuses administrations publiques utilisent les ères impériales pour leurs formalités et papiers officiels. Il en va de même pour le Japan Rail Pass par exemple. Chaque citoyen connait ainsi son année de naissance dans les deux systèmes de comptage, et la version japonaise est le marquage d'une ambiance d'époque.
À cheval sur deux ères, l'année 2019 se définit désormais différemment suivant les mois :
- de janvier à avril : 平成31年 Heisei 31 (dernière année du règne Akihito)
- de mai à décembre : 令和1年 Reiwa 1 (première année du règne Naruhito)
Comme pour le bug de l'an 2000 annoncé lorsque l'on a basculé de siècle, les systèmes informatiques au Japon se sont préparés au changement de date. C'est d'ailleurs l'une des raisons invoquées début 2019 par Shinzo Abe, pour justifier la divulgation en avance du nom de la prochaine ère. Pour une transition en douceur et sans panne d'ordinateur, il reste un mois aux Japonais pour se faire définitivement à l'idée de ce changement de règne inédit et anticipé du début à la fin.
Intronisation de l'Empereur Naruhito
Alors que les cérémonies d'abdication de l'Empereur Akihito ont commencé dès la mi-mars, celles qui concernent le couronnement du Prince débuteront le 1er mai 2019 avec deux évènements solennels et interdits au public. Au cours du premier protocole, baptisé "Kenji to Shokei no Gi", Naruhito héritera des trois insignes sacrés du Trésor impérial du Japon (une épée, un miroir de bronze et un magatama porte-bonheur). Puis il se présentera auprès des chefs du pouvoir politique lors de la cérémonie nommée "Sokuigo Choken no Gi".
L'Agence Impériale a annoncé le 4 mars 2019 qu'une apparition publique du nouveau couple couronné au balcon du palais impérial de Tokyo est prévue le 4 mai 2019 et pendant les dix jours des vacances exceptionnellement longues de la Golden Week cette année.
Autrement, il faudra attendre le 22 octobre 2019 pour assister à une célébration publique de grande envergure ; une parade dans la capitale serait en cours d'organisation.
Mise à jour du 18 octobre 2019 -- La cérémonie d'intronisation de l'Empereur Naruhito se déroule à Tokyo le 22 octobre à huit clos ; la parade publique dans les rues de la capitale est reportée au 10 novembre à cause des dégâts causés par le passage du typhon 🌀 Hagibis le 12 octobre dernier.
Par ailleurs, 550.000 personnes délinquantes sont amnistiées le jour de l'intronisation du nouvel empereur.